— Et ça va, avec Arthur ? demanda-t-il, tandis qu'ils sortaient du bus, non loin du lycée.

Il fixa sa meilleure amie. La question le hantait autant que ses cauchemars. Lui en avait-il parlé ? Savait-elle ce qu'il allait faire, quelques jours plus tôt ?

— Il est adorable, répondit-elle. Je crois que j'ai trouvé un petit frère encore plus collant que Martin. Et un qui ne soit pas ingrat.

— Et à la maison ?

— Ça peut aller. Tout le monde aimait beaucoup Yann, même mes parents. Ma mère, surtout. Mon père ne l'a pas vu beaucoup, mais comme il fonctionne à l'empathie, l'atmosphère est tendue. Sale période. Je crois que Martin n'a pas non plus digéré le fait de ne pas être venu à l'enterrement de Yann. Il voulait lui dire au revoir, aussi.

— Je sais.

— Dis... A propos de ce jour-là...

— Si tu as envie de parler de ce qu'il s'est passé, je préfère éviter. Ce n'est pas contre toi, mais je ne veux en parler à personne. Pour l'instant.

— Tu te rends bien compte qu'il va falloir que tu en parles ? Tu ne peux pas rester comme ça...

— Comme quoi ? Comme un connard ? J'ai dit ce que j'avais à dire à cette connasse.

— Elle n'est plus notre ennemie, souffla Pauline.

— Non, mais elle l'a été. Et c'est pareil pour tous ces faux-culs qui ont ramené leur tronche ici alors qu'ils s'en foutaient de lui. Est-ce qu'ils savaient au moins qu'il était en couple avec un garçon ?

— Sûrement, mais...

— Mais t'en sais rien. Vu les regards que je me suis coltiné, je suis sûr que ça fait au moins un bon moment qu'ils ne se sont pas vus. Est-ce qu'ils le connaissaient vraiment ? Non, bien sûr que non. Certains n'étaient sûrement là que pour parader, se dire qu'ils font partie de la famille ou de ses amis, que Yann les appréciait un peu, alors qu'il ne m'en parlait jamais, ou alors jamais de façon à ce que je puisse m'intéresser à eux. Qui te dit qu'il n'était pas le vilain petit canard de la famille ? Je ne pouvais pas supporter de rester avec ces idiots. C'est bon, tu as toutes les infos que tu voulais, on peut avancer ? J'aimerais récupérer ce stupide diplôme inutile pour passer à autre chose.

Il avança d'un pas contrarié, sec, vers le lycée dont le dernier étage commençait à devenir visible. Quelques mètres plus loin, il s'arrêta, attendit patiemment son amie et il se cala sur son rythme. Un rythme lent. Un rythme hors du temps.

— Désolé.

Il ne sut pas trop s'il pensa ou s'il murmura ses excuses. Pauline ne méritait pas sa colère. Elle aimait sincèrement Yann. Elle avait appris à l'aimer. Contrairement à tous ces imbéciles...

La masse grouillante de lycéens devant lui l'effraya ; malgré leur retard, il restait beaucoup de monde. Beaucoup trop. Ça cherchait leur nom, puis celui des copains, ça rigolait, ça exultait, ça se sautait dans les bras, ça pleurait même parfois, ça souriait, ça grondait, ça restait stoïque aussi, ça se pavanait, ça dansait, ça agitait cent bras dans tous les sens, ça murmurait une insupportable clameur, ça se comportait comme si tout était heureux et beau et magnifique et important.

Ridicule.

Il ne se jeta dans la foule que lorsque Pauline lui serra la main dans un élan de tendresse. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il avança malgré tout. Au moins pour elle. Pour lui. Lorsqu'il vit son nom affiché, il esquissa un petit sourire. Il aurait aimé pouvoir être heureux. Il aurait aimé que son nom soit juste à côté de celui de Yann. Il aurait aimé tant de choses.

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