L'erreur fatale ?

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Comme d'habitude, je n'ai pas eu le temps de profiter de la chambre. Tant pis, j'ai pu visiter la ville, ce qui m'arrive rarement, planning oblige !
Ce matin, on décolle pour Paris, puis ce sera le tour de la plupart des capitales européennes. Certains me disent que mon job est vraiment cool, que je fais le tour de la planète ! C'est vrai qu'en onze ans de carrière, j'ai eu le temps de la parcourir.
Qu'est-ce que j'ai vu ? Rien ou presque, je me contente de passer de ma chambre d'hôtel au studio où sur un lieu de tournage déterminé et à la fin de la journée, je fais le chemin inverse, la routine s'installe vite durant les tournages.

La promotion n'est guère mieux, je quitte la chambre d'hôtel pour me rendre sur un plateau télévisé et vice-versa. Parfois, je n'ai même pas besoin de sortir de l'hôtel, je me limite à sortir de la chambre pour rentrer dans une nouvelle.
On enchaîne les interviews comme des réflexes mécaniques. Les questions des journalistes et des présentateurs sont souvent les mêmes. Alors, il faut savoir susciter l'intérêt pour ne pas rendre l'interview ennuyeuse. Il n'y a rien de pire que de s'ennuyer de sa propre personne.

....
Après l'Europe, place au Canada, le plus difficile lors d'une promotion est le décalage horaire. Il paraît que les changements répétitifs de fuseaux horaires jouent sur notre santé et que l'on peut perdre jusqu'à cinq ans d'espérances de vie. Quelle tuile !

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Quelques semaines plus tard, changement radical de climat, le soleil et la chaleur d'Athènes sont remplacés par la pluie et la fraîcheur d'Ottawa. Je me camoufle dans mon trench.
Dernière ligne droite avant de finir la promotion en Amérique du Nord.
Je me dirige d'un pas vif en direction du Landmark Cinema où a lieu la première. La pluie battante rend le bitume glissant. À faire vite, je n'ai pas vu la flaque d'eau, mes sneakers sont complètement inondés, ce qui veut dire foutu. Je suis quitte à faire la conférence pieds nus, cela devient une habitude chez moi. On va finir par croire que c'est ma marque de fabrique.

Je monte avec le reste de l'équipe sur l'estrade, on salue le public et les journalistes. Les fans sont survoltés, certains sont pratiquement en transes. C'est flippant et excitant à la fois ! Des cris, des larmes, des applaudissements, la scène est vite recouverte de cadeaux en tout genre. Quand je leur adresse un simple bonjour et un « comment ça va ? » dans le micro, les cris redoublent d'ampleur.
On finit par s'asseoir dans les fauteuils prévus à cet effet. Les fesses à peine posées sur l'assise, j'entends la salle se mettre à rire. Je comprends vite ce qui les amuse. Ils font naturellement référence à l'absence de mes chaussures. Je croise les jambes et adosse  mon coude sur ma cuisse. Je m'adresse à eux avec dérision.

- Vous avez remarqué ! J'ai eu un léger souci en venant ici, apparemment ma rencontre avec vous se mérite.

Je baisse la tête vers mes pieds en les faisant tournoyer sur eux-mêmes.

Les fans s'esclaffent !

L'interview débute, les fans sont invités à poser des questions au même titre que les journalistes. Les questions s'enchaînent les unes après les autres. Un journaliste resté en retrait depuis le début de l'entretien se manifeste soudainement.

- Mademoiselle Watters, est-ce vrai qu'en début d'année vous ayez eu recours à l'avortement ? Cette grossesse était-elle en contradiction avec votre carrière ?
- Je ne vois pas le rapport avec notre film. Revenons au sujet, voulez-vous ! Dis-Je agacée.

Après quelques questions posées par d'autres journalistes, celui-ci revient à la charge.

- Mademoiselle Watters, vous avez été agressé cet été, le simple vol me semble douteux. Avait-il un rapport entre votre agression et votre avortement ?

Je prends sur moi pour ne pas déclencher d'esclandre.

- Il n'y a toujours aucun rapport. Je vous demanderai de respecter ma vie privée.

Celui-ci ne l'entend pas de cette oreille. Il persiste avec ses questions d'ordre privé et ne lâche rien. Je préfère le laisser parler et éluder ses questions. Mais entre chaque entretien, il revient inlassablement à la charge.

- Vous avez rompu avec votre petit ami de l'époque. Est-ce lui qui vous a obligé à avorter ? Il ne voulait pas de cet enfant ? C'est la raison pour laquelle vous avez rompu ? Vous n'avez pas supporté qu'il vous sépare de votre fils ?

Mais comment sait-il que c'est un garçon ? Ma patience a des limites ce journaliste va beaucoup trop loin.

- Je vous ai dis que je ne répondrai à aucune question d'ordre privé. Vos questions sont hors de propos. Veuillez rester dans le contexte, vos allégations n'intéressent personne. Si je serais un homme, vous m'auriez posé ses questions ? Bien-sûr que non, alors pour la dernière fois, rester à votre place !

Paul, lui-même sidéré par le comportement du journaliste vient à mon aide.

- Monsieur, soit vous restez dans le cadre et vous laissez mademoiselle Watters tranquille concernant sa vie privée soit je vous fais évacuer de cette salle. Vous m'avez compris ?

Le journaliste fait signe de la tête pour confirmer son approbation. Il s'est enfin décidé à me lâcher la grappe. Il a fallu que Paul et donc un homme intervienne pour qu'il renonce. La voix d'une femme n'a aucune valeur aux yeux de ce genre d'homme. Mais comment connaissait-il autant de détails concernant ma vie intime ?

....
Recroquevillée comme un fœtus à même le sol contre le mur de la salle de bain, je pleure à chaudes larmes. Elle me lave de ma culpabilité. Cette douleur intense et profonde ne partira donc jamais. Les dires du journaliste ont ravivé en moi cette souffrance que je peine à consumer.

J'entends frapper à la porte de la chambre mais je n'ai pas envie d'aller ouvrir. Je ne sais pas qui c'est mais il me gonfle à insister.

Une voix résonne derrière la porte.

- Kristy ouvre s'il te plaît, je sais que tu es là ! Ma chambre est mitoyenne à la tienne. Je t'entends pleurer depuis ma salle de bain.

Plus rien pendant plusieurs minutes, puis...

- Allez Kristy ouvre ... Je te préviens, je vais défoncer la porte et je mettrais la note à ton nom.

Aaaah ! Ce n'est pas vrai, il ne va pas me lâcher celui-là. On ne peut pas agonir seule dans cet hôtel ? Je me lève à contre cœur et d'un pas lent je vais ouvrir la porte en frottant mes pieds contre la moquette. Je m'essuie les yeux en reniflant.

- Darren, que puis-je faire pour toi ?

Il me montre du doigt.

- Euh, tu es en nuisette.
- Je n'étais pas censée avoir de la visite, vois-tu !
- Je peux entrer ?

Je me mets sur le côté pour le laisser passer et d'un geste du bras.

- Mais je t'en prie, fais comme chez toi !

Il me désigne un fauteuil.

- Je peux ?
- Bien-sûr, assis toi ! Je vais mettre un peignoir.

Quand je reviens envelopper dans mon peignoir, j'ai meilleure allure. Je me suis mouchée et essuyée le visage avec une lingette hydratante.

- Ne m'en veux pas, j'ai appelé le room service pour commander deux chocolats chauds. Je crois que c'est le moment de tout me raconter ? Je pense que ça te fera du bien de te confier à quelqu'un.

Il lève la main droite.

- Je jure de garder le secret pour toujours.
- Dis-moi, c'est que tu commences à être drôle !

Je ne comprends pas ce qui s'est passé. Je buvais mon chocolat chaud, assise en tailleur sur la moquette. Je racontais mon année de merde à Darren en évitant de mentionner Thelma, c'est devenu une habitude. Je me souviens avoir pleuré entre chaque phrase. Le reste c'est le trou noir, je me retrouve en pleurs dans ses bras, assise sur ses genoux.

On sent un courant électrique parcourir la pièce. Darren est accroché à ma taille, son regard si dense se confond dans l'atmosphère. Une alchimie aussi soudaine qu'irrésistible nous attire sans que l'on puisse en comprendre le sens ou s'y opposer. D'un accord parfait, nous nous offrons nos lèvres. Nos corps sont liés le temps d'une nuit. Rien ne peut nous arrêter, rien ne peut nous séparer.

L'épreuve de l'avortement m'avait retiré  une partie de ma féminité que je redécouvre ce soir, loin, très loin de Thelma.
Nos bras se caressent, nos bouches s'embrassent, nos corps s'enlacent, nos gestes sont naturels et évidents tel un couple amoureux qui se connaissent depuis un moment déjà, aspiré dans une nuit hors du temps.

....
Allongée sur le lit à côté de Darren, recouverte d'un simple drap, je réalise la bêtise que je viens de commettre.

- Qu'est-ce qu'on a fait ?
- Une belle connerie si tu veux mon avis. Il faut que tu saches que j'ai quelqu'un dans ma vie.

Je me prends la tête des deux mains.

- Et merde, pourquoi tu ne me l'as pas dit avant ?
- J'n'en sais rien, tout est allé si vite.
- Quelle connerie, je ne le te fais pas dire ! Moi aussi j'ai quelqu'un dans ma vie.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?  Comme si rien ne s'était passé ? C'est possible ça ?

Je suis complètement dépassée.

- Voilà, on va faire comme si rien ne s'était passé, on n'oublie tout !
- Tu vas pouvoir regarder ton mec droit dans les yeux après ce qui vient de se passer ? Je ne crois pas que je vais y arriver.

Je m'assoie dans le lit les genoux contre ma poitrine.

- Aaaah, moi non plus ! On est dans une impasse. En définitive, je ne vaux pas mieux que mon ex.
- Il t'a trompé pendant des mois et t'a laissé tomber alors que tu étais enceinte. Je ne crois pas que l'on puisse faire pire.
- Au moins ça a le mérite de dédramatiser la situation. Il faut que l'on trouve une solution pour finir la promotion en toute discrétion. Il ne faudrait pas que quelqu'un s'aperçoive de quelque chose. Et après, on se dit au revoir définitivement.
- En soit, on joue la comédie. Cela ne doit pas être très compliqué pour nous.
- Et si tu commençais par rejoindre ta chambre sans te faire remarquer.

Darren pousse le drap d'un geste vif ce qui a pour effet de me découvrir. Je récupère le drap à la volée.

- Et doucement, tu me fais de l'air !

Darren nu comme un ver, me fait la révérence.

- Toutes mes excuses, mademoiselle !

J'éclate de rire.

- Tu as l'air ridicule, c'est pourquoi tu es tout excusé !

Il se dirige vers le fauteuil où nos vêtements sont éparpillés. Il se baisse de dos pour ramasser ses affaires. Pendant qu'il se rhabille, j'en profite pour le contempler. Je n'avais pas remarqué jusque-là, à quel point il était beau.

KRISTY Les emmerdes arrivent aussi aux étoiles حيث تعيش القصص. اكتشف الآن