Être moi !

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Les interviews s'enchaînent, assise sur la terrasse d'une chambre d'hôtel en rez-de-chaussée sur Sunset Beach, face à la mer, lunettes de soleil sur le nez, je réponds avec dextérité et décontraction aux questions des journalistes cinématographiques. La communication est une seconde nature chez moi.
Le soleil tape, Darren ne cesse de changer de position sur son fauteuil pour tenter de protéger ses yeux des rayons du soleil, en vain !
Souvent, d'un journaliste à l'autre ce sont les mêmes questions qui reviennent, il faut savoir tourner une réponse dans plusieurs directions possibles pour ne pas donner la même formule tout en exprimant un discours identique. Surtout restée naturelle, c'est le secret d'une interview accomplie !
L'interview touche à sa fin, je crois que cela doit être la cinquième de la matinée. Une fois le journaliste parti, j'en profite pour me d'étirer,  cela me fait bailler. Darren fini son verre de soda.

- Tu veux qu'on échange de place ?
- Ça changerait quoi ?
- Que mon corps fasse barrage au soleil étant donné que tu as oublié tes lunettes de soleil.
- Ah oui, cool, merci !

On troque nos fauteuils.

- C'est mieux !
- C'est pas parfait mais ça ira !

Un nouveau journaliste prend place sur le fauteuil en face de nous, c'est reparti pour une bonne demi-heure.

- Comment allez-vous mademoiselle Watters ? Si l'on croit ce que disent les médias, vous avez eu une année mouvementée.
- Bien, merci, il ne faut pas croire tout ce qu'y est dit dans les médias. La plupart du temps, tout n'est que fabulation. Vous êtes bien placé pour le savoir.

Il me montre le portrait qui a été pris à la sortie de l'hôpital.

- Je pense que l'on ne peut inventer ceci, non ?
- Et moi, je pense que ce n'est pas le sujet du jour. Je vous remercie de vous soucier de ma santé, aujourd'hui tout va pour le mieux. D'autres questions d'ordre professionnel ?

L'interview reprend son cours légitime. Le polémiste a compris que je ne rentrerai pas dans son jeu.
Les journalistes défilent les uns après les autres jusqu'en fin d'après-midi. Ils viennent des quatre coins du globe pour être les premiers à publier l'interview du couple filmique le plus improbable. Lui, est un habitué des films d'action et de super héros. Elle, est une habituée des thrillers et des drames fantastiques. Sans Paul le réalisateur nous nous ne serons jamais rencontrés. Et pourtant, nous voilà réunis pour une comédie dramatique mettant en scène les tragédies d'un couple. Darren boit son énième soda, mais comment fait-il pour garder son corps d'athlète en buvant autant de cochonneries.

- Je suis lessivé, et toi ?
- Non, trop heureuse de pouvoir enfin reprendre le boulot.
- Tu veux aller dîner ou tu as prévu autre chose ?
- Je suis déjà prise ce soir mais on n'aura l'occasion de dîner ensemble pendant la promo, si tu te retiens sur la bouteille !
- Ah, tu n'as pas oublié !
- Comment oublié ce moment historique ?

On se met à rire à la pensée de cet instant embarrassant.

- Ok, je dois filer, je suis déjà en retard, à toute !

Je rejoins au plus vite Thelma sur le Abbot Kinney Boulevard. Mais c'est sans compter les embouteillages légendaires de Los Angeles, ici quelques kilomètres peuvent se parcourir en plusieurs heures.
Quand j'arrive enfin, toute fraîche, merci la climatisation ! Une foule immense bloque la majeure partie de la rue. Pour atteindre Thelma dans ce cohue, je dois d'abord retrouver le stand où elle effectue une représentation, afin de faire connaître sa profession, souvent victime de préjugé, aux festivaliers.
Après ce qui me semble être un parcours laborieux, j'aperçois les affiches publicitaires qui annoncent le concours des Bartenders. Je me faufile dans la foule jusqu'au kiosque d'exposition de Thelma. Elle fait le show comme si sa vie en dépendait, une manière pour elle d'exister.
Cela doit faire une dizaine de minutes que je l'observe avec les autres flâneurs quand elle se rend finalement compte que je suis là. Elle me fait signe de m'approcher. Je soulève la table battante pour passer de l'autre côté des comptoirs d'expositions. Elle me prend par le cou et dérape volontairement en voulant m'embrasser. Je recule spontanément et la questionne du regard, celle-ci n'a aucune réaction. Elle poursuit son show en m'ignorant totalement. Qu'est-ce qu'il lui prend, une mouche l'a piqué ?
Sur les comptoirs, plusieurs piles de dépliants ont été mises à disposition. Le concours est ouvert au public.
Le show de Thelma plaît aux flâneurs, ils sont toujours plus nombreux à s'agglutiner autour du comptoir. Plus ils sont nombreux plus elle me parait rentrée dans une sorte de transe. Trop flippante, ça doit faire partie du spectacle ! Elle se décide à se retourner vers moi et me demande de lui passer une bassine pleine de gobelets en carton jetable et recyclable. Je lui demande où la poser ? Elle me répond sur le comptoir à sa gauche. C'est à ce moment-là qu'elle se prend pour un goujat et me ridiculise en public en me mettant la fessée. J'en reste sans voix, je découvre son vrai visage. Je ne sais même plus comment réagir d'autant plus que je distingue un journaliste venant couvrir l'événement. Elle l'a fait délibérément, c'est sûr !
Trop, c'est trop ! Je n'ai pas besoin de ses manières machistes ni de ses humiliations. Elle va foutre en l'air ma carrière, vraisemblablement c'est ce qu'elle cherche à faire. Elle rêve !
Je ne me démonte pas et lui renverse sur la tête l'intégralité du contenu d'un de ses shakers, devant un public qui semble plus que ravi du spectacle. Sur ce, je tourne les talons sans me retourner.

Je ne rentre pas chez moi pour la nuit, je ne veux pas la voir quand ce sera son tour de rentrer. J'ai besoin de respirer ! Qui plus est, en allant chez mes parents, je suis sûre de tomber sur Christopher. En cherchant mes clés de voiture dans ma pochette, j'ai une intuition ! J'ouvre la fermeture éclair intérieure pour récupérer le petit bout de papier que Thelma m'avait donné après y avoir inscrit son numéro de téléphone. Celui-ci a disparu, simple coïncidence ?  Je suis pourtant persuadée de l'avoir soyeusement rangé à cet endroit.

Je roule les fenêtres ouvertes, à cette heure-ci, c'est plus agréable que la climatisation. C'est inexplicable, mais je me sens différente ! J'ai la sensation d'être de nouveau moi-même, de revivre comme désenvouter d'un flux d'énergie négatif. Je me sens légère et sereine, mon être est soulagé d'un poids dont je n'avais conscience auparavant. Mon esprit renaît et peut de nouveau réfléchir et agir. Tout en moi est plus fort, tout sauf le trou béant que m'a laissé la perte de mon fils. Je pose ma main sur ma poitrine à l'endroit de ma douleur mais également de la marque indélébile de mon amour envers lui.

Je suis déjà arrivée, à cogiter je n'ai pas vu défilé le trajet.
Je suis sur le point d'ouvrir la porte d'entrée quand j'entends un bruit provenant du jardin qui m'est familier. Je lâche la poignée et reviens sur mes pas. Je contourne la maison familiale bordée de bourraches bleues, de pavots jaune orangé et de poppy rose pour atteindre la cour privative. Je passe la porte Push, sans surprise je distingue Christopher assis sur l'une des balançoires.

- Salut frérot !

Il sursaute, il ne m'avait pas entendu arriver, trop occupé à contempler son téléphone portable. Je m'assoie à côté de lui sur la seconde balançoire.

- Salut sœurette, que fais-tu là ?
- Je te retourne la question, tu avais l'air ailleurs.
- Je prépare un nouveau défi pour dans quelques mois. Ça demande beaucoup de préparation et d'entraînement.
- Encore un de tes sports extrêmes ?
- Oui, je découvre le Slacklime et c'est trop génial !
- Attend, ce n'est pas ce sport où tu dois marcher sur un fil en équilibre dans le vide ?
- Si c'est trop cool, non ?
- C'est cool si tu enlèves la dangerosité du truc.
- Et toi alors, tu n'es pas avec ta moitié. Elle n'avait pas une représentation à faire ce soir ?
- Oh que oui ! Je peux te certifier que madame a fait le show ce soir.
- Explique-toi !

Je lui raconte ma drôle d'aventure car le moins que l'on puisse dire c'est quand ce moment, je les collectionne et ça commence franchement à m'irriter. Plus je parle et plus Christopher est mort de rire. Au moins ça a le mérite de l'amuser.

- Tu vas faire quoi ?
- Avoir une conversation franche et honnête avec elle mais seulement après la promotion de mon film car je dois d'abord me concentrer sur ma carrière. J'ai déjà raté une occasion, je ne peux pas me permettre d'échouer une seconde fois.
- Et bien voilà, là je te reconnais sœurette !

KRISTY Les emmerdes arrivent aussi aux étoiles Where stories live. Discover now