Perdue dans ses pensées Isla dut cligner des yeux à plusieurs reprises pour revenir à la réalité. Et cette réalité semblait figée car les deux hommes continuaient à s'affronter du regard avant que l'un d'eux prenne la parole.
- Je pensais que tu avais changé après toute ces années mais je me suis trompé.
- Je n'ai pas la moindre envie de changer comme tu n'en a pas envie aussi mon fils, renchérit Vitali en le suivant du regard alors qu'il s'était levé.
- J'ai changé, déclara-t-il en jetant quelques billets sur la table : J'ai suffisamment changé pour être sûr d'une chose.
Isla sentit la main ferme de Ragnar encercler son bras afin qu'elle se lève.
- Je ne suis pas et je ne serais jamais comme toi, acheva Ragnar rictus amer aux lèvres.
Isla réprima un frisson alors qu'ils achevaient l'un comme l'autre leur dernier regard, comme si cette ultime rencontre était un adieu définitif.
Sans un mot il l'entraîna vers le hall d'entrée pour qu'elle récupère ses affaires. Son regard était dur et empli d'émotions. Colère, contrariété, amertume et enfin...le soulagement. Lorsqu'ils quittèrent l'hôtel luxueux il se mit à enjamber le trottoir seul, oubliant presque qu'elle était là. Isla s'entoura de ses bras et le suivit à distance raisonnable. Il marchait si vite qu'elle crut le perdre de vue avant qu'il ne s'arrête soudain, le dos raide. Il tourna sur lui même et sa paire d'yeux gris parcourait avec inquiétude les passants. Isla se pinça les lèvres nerveusement tout en avançant vers lui. Enfin il croisa son regard et il rejeta sa tête en arrière en fermant les yeux avant de la rejoindre d'un pas rapide.
- Pardonne-moi, murmura-t-il en prenant son visage en coupe.
Ragnar avait eu tellement peur de l'avoir perdue qu'il sentait encore son cœur battre contre ses tempes. Comment avait-il pu oublier sa présence, songea-t-il en dévisageant son visage pâle et ses joues roses. De son pouce il caressa l'une de ses pommette alors qu'elle lui souriait.
- Quand je t'ai vu partir au loin je me suis dit que tu avais probablement besoin d'être seul.
- Je suis ivre de rage et cette rage m'a fait oublier que tu étais là, rétorqua-t-il d'une voix ruisselante de colère et de remords mêlés.
Il déposa un baiser sur le sommet de son front avant de reprendre.
- En réalité j'avais espéré qu'il ait changé, lui confia-t-il avec un triste sourire aux lèvres.
- Certaines personnes peuvent changer Ragnar, tu en es la preuve.
Il releva les yeux vers l'horizon en esquissant un faible sourire tout en secouant de la tête.
- Tu as dû mal à me croire n'est-ce pas ? Demanda-t-elle transpercée par une pointe de déception.
- Ton jugement est dirigé par tes sentiments, déclara-t-il le visage marqué par une émotion indescriptible : Je te crois Isla mais je ne veux pas que tu me mentes, je ne le supporterais pas.
Isla fit de son mieux pour ne pas lui montrer à quel point elle se sentait blessée par ses doutes.
Alors elle recula pour planter son regard dans le sien.
- Mes sentiment n'ont absolument rien à voir avec mon jugement Ragnar. Si tu avais continué à te comporter comme un véritable enfoiré crois-moi je ne serais pas avec toi en ce moment. Je suis peut-être une femme avec un cœur en sucre mais je sais ce qui est bien ou mal pour moi.
Comme il s'apprêtait à lui répondre Isla reprit la parole.
- Ce que j'ai vu à travers ton père ce n'est pas toi. Ce qui m'a démontré que tu es bel et bien un homme avec une âme c'est d'avoir appris que malgré tout le mal qu'il a pu te faire tu lui as offert ta main qu'il n'a pas saisie...
- Et donc pour toi ce simple geste te suffit à croire que je suis l'opposé de mon père ?
À cet instant Isla sentit son corps s'affaisser intérieurement. Sa mission semblait plus difficile qu'elle ne l'aurait crû.
- Tu es fatiguant Ragnar, lança Isla avant de rebrousser chemin.
Il n'en fallut pas plus pour qu'il se saisisse de son bras.
- Crois-moi Isla, je fais des efforts pour te croire mais j'ai passé ma vie à fermer mon cœur aux autres jusqu'à devenir insensible à leur peine.
Isla le confronta du regard et lut dans ses yeux un tourbillon d'émotions contradictoires.
- Tu ne l'as pas été avec moi.
- Comment aurais-je pu l'être, déclara-t-il d'une voix dure mais si douce à la fois.
- Je regrette de ne pas être rentrée dans ta vie plus tôt, je regrette tellement d'être celle qui doit se battre pour te prouver que le bonheur existe.
Isla réprima un sanglot et reprit :
- Est-ce que tu l'es avec moi Ragnar ? Est-ce que tu es heureux ?
Son silence la fit vaciller.
- Je suis heureux avec toi, répondit-il en caressant sa joue.
Isla déglutit péniblement.
- Il y a un mais n'est-ce pas ?
Il tiqua en secouant de la tête alors que ses yeux gris devenaient peu à peu sombre.
- Mais je ne peux pas m'empêcher de me rappeler comment je t'ai eu.
- Avec un contrat que tu as brûlé encore un signe que tu n'es pas le monstre que tu veux absolument être Ragnar.
Soudainement prise d'un horrible mal de tête Isla se prit les joues et sentit ses jambes trembler.
- Je veux rentrer s'il te plaît je ne me sens pas bien, je suis fatiguée.
Alerté par son teint très pâle Ragnar s'empressa de la soulever dans ses bras.
Profondément inquiet il siffla en direction de la voiture qui s'arrêta à leur hauteur.
- Cette fois-ci ne me dis pas que ce n'est pas de ma faute, lança Ragnar en colère contre lui-même.
- Oui cette fois-ci c'est de ta faute, murmura-t-elle en posant une main sur son front.
D'un geste elle balaya le chapeau et se mit à se gratter la tête.
- Ce chapeau me gratte, sa me pique ! Je suis en colère !
- Frappe-moi si ça peut te soulager, je le mérite.
La jeune femme tourna la tête vers lui, les lèvres retroussées, et son beau regard bleu nuit était voilé d'une immense tristesse.
- Je t'aime Ragnar mais je ne veux plus me battre contre tes démons intérieurs.
Ragnar eut l'impression de recevoir une météorite en plein visage. Immobile il dévisagea Isla longuement sans savoir quoi répondre à cette déclaration.
Elle venait de braver la dernière barrière. Elle venait de lui dire ce mot qu'il redoutait tant...et qu'il n'avait jamais entendu.
Aussi loin qu'il pouvait remonter dans ses souvenirs Ragnar ne se souvenait pas d'avoir entendu cette déclaration auparavant.
Ramené au présent, il fit face à la jeune femme qui portait sur son visage la tristesse de son silence. Elle dévia son regard vers la fenêtre pour se cacher. La gorge nouée, Ragnar garda le silence jusqu'à ce qu'il franchisse le seuil de la porte portant dans ses bras un précieux fardeau qu'il déposa sur le canapé.
- Ce que tu viens de me dire, je ne l'ai jamais entendu de ma vie, confia-t-il en l'aidant à ôter ses chaussures : Personne tu entends ?
- Pas même ta mère ? S'étonna la jeune femme.
- Je ne lui ai pas laissé l'occasion de le faire, répondit Ragnar en se relevant : J'ai beau être très protecteur avec elle je suis parti de la maison très tôt. Je suis parti faire mes études et ensuite j'ai créé mon entreprise puis je me suis installé à New-York tout en prenant le soin de la mettre à l'abris des besoins.
- Ta mère a certainement dû te dire je t'aime mais tu ne l'as pas entendu comme tu ne m'as entendu tout à l'heure.
- Je t'ai entendu Isla, crois-moi tes mots sont ancré en moi.
Il arrima son regard au sien.
- Je ne peux pas les ignorer et je regrette d'avoir agi de la sorte.
- Tu veux parler du silence qui a suivi ma déclaration ? S'enquit la jeune femme avec un semblant d'ironie.
Isla réprima les battements de son cœur qui lui faisaient mal.
- Pourquoi me l'as-tu dit maintenant ?
Elle haussa des épaules en se mordant la lèvres.
- Parce que je voulais que tu le saches, c'était important pour moi que tu l'entendes.
- Tu as dit que tu refusais de te battre avec mes démons intérieurs, poursuivit-il en fronçant des sourcils ; Est-ce que cela veut dire que tu envisages de me quitter ?
Isla affronta son regard dur sans ciller.
- Je préfère souffrir loin de toi que de souffrir à la seule pensée que je puisse aimer un homme qui ne m'aime pas en retour.
Ragnar resta de marbre devant cette réponse franche et douloureuse mais ce n'était rien comparé à ce qu'il ressentait à cet instant.
Au pied du mur il prenait peu à peu conscience qu'il risquait de perdre la seule femme qui comptait à ses yeux et qui sans le savoir faisait battre son coeur de multiples émotions.