Isla ne lâcha pas son regard même si le sentiment de peur qui l'assaillait devenait de plus en plus fort.
- Avez-vous d'autres questions ? Demanda-t-il d'une voix grave.
Oh oui elle en avait !
Et elle se donnait le droit de les poser.
- D'où vient votre cicatrice ?
- De mon père, répondit-il à sa plus grande surprise.
Il prit une gorgée de whisky puis reposa lentement son verre, les mâchoires crispées.
- J'avais vingt ans, il s'en ai prit à ma mère, il a tenté de la poignardé je me suis interposé et il m'a laissé ce petit souvenir.
Isla nota une raideur dans sa voix comme s'il refusait d'aller dans la profondeur du sujet.
- Je suis désolé, murmura-t-elle soulagée lorsque le serveur se matérialisa devant leur table.
- Vous avez choisi ? Demanda-t-il en sortant son bloc note.
- Oui, nous avons fait notre choix, dit-il sans prendre la peine d'ouvrir la carte des menus.
Isla s'empressa de l'ouvrir pour la survoler car dans cet échange à la résonance d'un jeu dangereux Isla en avait oublié de la consulter. Mais à peine eut-elle le temps de lire les entrées qu'il commanda pour lui...et pour elle.
Sidérée, Isla referma la carte en lui adressant un regard mécontent.
- C'est une habitude chez-vous de commander à la place des autres ?
- Seulement avec vous, répondit-il en esquissant un lent sourire.
- Imaginez deux minutes que je n'aime pas l'agneau ?
- Vous n'aimez pas l'agneau ? Pourtant sur le questionnaire vous l'avez mis en pôle position.
Isla se pinça les lèvres, sourcils froncés.
- Vous avez retenu le questionnaire ? Demanda-t-elle d'une voix surprise.
Il esquissa un sourire qui n'inspirait aucune arrogance.
- Dans les moindres détails, affirma-t-il en appuyant son regard dans le sien : Cela semble vous surprendre.
- Évidemment, je pensais qu'il s'agissait d'un ridicule questionnaire qui avait pour but de me mettre hors de moi.
- Je devais en apprendre davantage sur vous afin que notre histoire paraisse crédible.
Grandement étonnée Isla le dévisagea un long moment avant de tenter l'impossible.
- Puis-je vous poser une question sensible ?
- Essayez toujours et nous verrons si j'y répond.
Isla inspira profondément.
- Pour quelle raison avez-vous divorcé ?
Comme elle s'attendait, l'homme d'affaires reprit son expression de marbre, impassible et sans émotions.
- Vous avez raison, c'est une question sensible.
- Autant que la votre l'était, rétorqua Isla.
Sans vergogne ni délicatesse il lui avait posé une question intime et qui l'avait mis mal à l'aise.
- La mienne était différente et comme je vous l'ai dit, je n'avais pas besoin de vous la poser pour le savoir.
- Mais vous l'avez quand même fait et vous m'avez rendu mal à l'aise, j'estime avoir le droit de vous poser cette question.
Son regard devint si noir qu'elle se recula contre le dossier de sa chaise.
- Elle s'appelait Amélia, nous nous sommes rencontré peu après ma réussite lors d'une soirée privée. Je suis rapidement tombé sous son charme. À cette époque je m'étais promis de donner une chance à une femme, ce que j'ai fait. Nous nous sommes mariés soit un an après notre rencontre. J'avais des désirs, notamment d'avoir une famille. Elle me disait aspirer aux mêmes désirs que moi. Puis peu de temps après notre mariage, elle a commencé à changer. Elle se montrait hautaine avec mon personnel et passait ses journées à organiser des réunions entre femmes dans lesquelles elles partageaient sur les dernières tendances de mode et de décoration. À cette époque ma fortune s'estimait à trente millions de dollars...une fortune assez conséquente pour qu'elle en profite. Puis la bribe d'amour que j'avais pour cette femme a fini par s'estomper à mesure qu'elle devenait vaniteuse et méprisante.
Il rompit son récit pour prendre son verre. Isla de son côté avait remarqué qu'il en parlait avec détachement.
- Puis un soir je suis rentré plus tôt et je l'ai entendu dire à l'une de ses amies qu'elle avait en horreur l'idée d'avoir un enfant. Qu'il était hors de question qu'elle sacrifie son corps pour si peu.
Il poussa un rire amer puis esquissa un sourire diabolique.
- Je me suis contenté de monter à l'étage j'ai pris toutes ses affaires et je l'ai mise dehors sans la moindre pitié. Elle m'a évidemment supplié à genoux mais ça n'a pas été suffisant. J'ai demandé le divorce, elle a obtenu une sommes d'argent suffisante pour rester dans le cercle de la haute société et moi je me suis promis de ne plus jamais accorder ma confiance à une femme.
Il leva son verre pour ponctuer cette promesse et le porta à ses lèvres.
Isla ne put s'empêcher d'éprouver de la compassion pour lui. Malgré le monstre qui sommeillait en lui, Isla en venait presque à lui trouver une excuse de se montrer si insensible et dénué de douceur.
- Je suis navrée pour vous, s'entendit-elle murmurer.
- Ne le soyez pas, dit-il sur un ton abrupt : car des années plus tard je suis devenu l'homme le plus implacable et le plus crains sur cette terre.
Isla frémit et remercia le ciel lorsqu'elle vit le serveur s'approcher. Une partie d'elle voulait poursuivre cette conversation et l'autre lui criait de s'arrêter là.
- Et cela vous suffit ? Ne put s'empêcher de demander Isla.
- Amplement, de quoi d'autre aurais-je besoin ?
- Toutes les femmes ne sont pas comme Amélia.
Il plissa des yeux l'observant derrière cette fente impénétrable.
- Pourtant chaque femme qui a partagé mon lit avait un seul et unique but, devenir la prochaine madame Amadeus parée de diamant.
- Je ne vous crois pas, dit-elle en secouant de la tête : Vous êtes un homme incroyablement séduisant, toutes les femmes vous courent après, je doute que ce soit seulement votre richesse qui les motive.
- Certes, mais le désir ne veut pas dire qu'il y a des sentiments derrière et c'est exactement pour cette raison que je met toujours un point d'honneur à les avertir. Leur numéro de charme peut parfois cacher la véritable motivation.
Isla prit sa fourchette entre sa main moite.
- Pour moi, le désir est indissociable à l'amour mais comme vous le savez, je suis mal placée pour vous donner une leçon.
Il sourit légèrement en inclinant sa tête.
- Pour moi ils sont facilement dissociables.
Elle préféra baisser les yeux, laissant échapper un soupir tremblant. Ce soir elle venait de rencontrer Ragnar Amadeus dans sa totalité...dénué de sentiment, implacable, haïssant les femmes jusqu'à ses chairs. Mais pourquoi avait-elle voulu tant le connaître ? Lui qui la retenait captive d'un contrat en échange de sa maison.
Parce que malgré toutes volontés à le refuser, Isla était secrètement fascinée par cet homme troublant et sévère.
- Je voudrais en profiter pour vous dire quelque chose Isla.
- Allez-y, dit-elle en sortant de sa torpeur.
Impassible, il la regardait avec intensité.
- Je vous désire.
Retenant de justesse un hoquet elle s'empourpra jusqu'à la racine de ses cheveux.
- Je...je vous demande pardon ?
Une flamme ardente passa dans son regard gris.
- Je vous désire mais ce désir restera inachevé, dit-il d'une voix de gorge.
Sous le choc Isla ne savait pas si elle devait se sentir flattée ou en danger. Pire ! Il semblait furieux contre elle.
- Vous êtes une jeune femme dont la beauté farouche me trouble mais je dois m'en tenir à cela. Vous m'avez dit que toutes les femmes étaient différentes et vous avez raison. Vous êtes l'une d'entre elles et des plus rare. Si jamais je venais à céder à ce désir je vous briserais. Je me refuse à vous arracher votre vertu et les rêves auxquels vous aspirez.
Isla déglutit péniblement, luttant contre la peur qui l'assaillait devant cette paire d'yeux presque assassine.
- Sinon Lucifer ne sera plus un nom mais une réalité, reprit-il d'une voix plus amène.
- Votre sincérité me laisse sans voix.
- La vérité a un prix quel qu'il soit.
Isla esquissa un demi-sourire.
- Vous savez il s'agit que d'une comédie, vous êtes libre de faire ce que vous voulez dans votre vie....personnelle.
- J'en prend note, répondit Ragnar en serrant son poings contre sa cuisse.
Lui avouer le désir qu'elle lui inspirait avait pour but d'y mettre un terme. Mais le dire serait-il suffisant pour le faire disparaître ?
Arriverait-il à s'en tenir à quelques furtifs baisers pour le public ?
Ragnar serra les mâchoires jusqu'à s'en faire mal. Parce qu'il savait que cette mission s'annonçait périlleuse.