Le corps de Maze était bien trop léger entre mes bras. Je ne l'avais pas beaucoup portée ainsi, je devais l'avouer. Warren avait toujours été l'homme qui était intime avec Maze et je ne comptais pas changer ça. Seulement, je pouvais sentir les os de Maze bien qu'elle est toujours été une femme avec des muscles.
Ses bras étaient accrochés à ma nuque et elle pleurait silencieusement. J'avais essuyé mes propres larmes avant de débarquer aux urgences les plus proches. Ma voiture n'avait pas été endommagée par l'explosion de celle de Mazakeen, heureusement. J'avais donc conduit jusqu'ici.
Je passai directement par les urgences. Maze était en assez mauvais état. Elle avait une de ses jambes brûlées, mais cela me semblait être au premier degré. Elle aurait une marque, mais rien de grave. Elle était en état de choc à cause de l'accident et j'avais l'impression que son bras était fracturé, mais comme elle ne disait rien, je n'en savais rien. Elle avait posé son bras dans son giron et ne le bougeait pas. Les radios nous le diraient. La peur qui m'avait pris au ventre quand la voiture s'était retournée ne voulait pas partir et j'étais sur le point de vomir encore une fois. Je l'avais fait avant de grimper dans ma bagnole pour amener Maze ici.
— Il me faut un médecin ! criai-je en entrant dans les urgences.
Les vêtements de Maze étaient pour la plupart en train de tomber en lambeau. Elle avait sûrement une commotion, car sa pupille droite était assez dilatée pour me donner des sueurs froides. Sa cheville était moche et bleue, mais je n'avais pas l'impression qu'elle était cassée.
— Un médecin ! insistai-je.
L'infirmière me regarda pendant plusieurs secondes avant d'appeler quelqu'un d'autre.
— Ça va, geignit Mazakeen entre deux sanglots. Je ne sens rien. Je peux attendre.
— Elle a eu un accident de voiture, récitai-je. Son bras est cassé, je crois. Et elle a une cheville foulée. Sa pupille droite est dilatée. La voiture a fait beaucoup de tonneaux. Oh et les brûlures sur sa jambe sont moches.
— L'explosion, marmonna Maze d'une voix pâteuse.
— Elle est encore consciente ? souffla l'infirmière en me poussant dans un box.
— Vous êtes son mari ? me questionna le médecin.
Je le regardai et pendant un instant je voulus lui mentir, mais ne réussis pas. Et merde.
— Non. Je suis un ami. Mais...
— Alors, vous devez sortir s'il vous plaît. Nous allons nous occuper d'elle maintenant que vous l'avez amené ici.
— Bebel, grogna Maze. Bebel pars pas hein. Je te jure que si tu me laisses ici avec eux, je me mets à hurler.
Je haussai un sourcil et un rire nerveux m'échappa.
— Tu m'as appelé comme ça une fois parce qu'on s'était cuité comme des rats morts, Maze. Je pensais que ça resterait entre nous.
Je la déposai délicatement sur le lit que l'infirmière m'indiqua. Mazakeen tira sur mon t-shirt et colla son nez au mien.
— Je te jure, sur la tête de ma... mère, grimaça Maze, que si tu me laisses ici...
— Chut, chut, dis-je en posant un doigt sur sa bouche gercée et explosée par le feu. Sois sage. Ou je ne te donnerais pas de cigarette alors que tu es bloquée ici.
Elle geignit un peu plus fort et secoua la tête. Elle tira un peu plus sur mon t-shirt et soudain, ses sanglots revinrent à la charge.
— Elle me manque, Bel, souffla Maze d'une voix rauque et presque sifflante. Elle me manque tellement...
La douleur qui m'étreignit me fit souffler brusquement. Je posai mon front contre le sien et elle écrasa un sanglot. Je glissai ma main sur sa nuque, tentant de lui apporter un peu de réconfort. Elle semblait si fragile en ce moment que je détestai Warren pour l'avoir laissée derrière lui.
— Tu aurais dû sortir de cette voiture, Keen, murmurai-je contre son visage. Je te jure que tu aurais dû...
— Monsieur, s'il vous plaît, insista l'infirmière.
Le médecin commençait à s'agiter autour de Mazakeen. Je déglutis et tentai de détacher les mains de mon amie, mais elle s'accrochait.
— Aller Keen, fais pas la maligne. J'ai sauvé ton cul de cette putain d'explosion, crois-moi que tu vas te faire soigner.
— Abel, gémit Mazakeen.
Je me reculai en détachant ses doigts de mon t-shirt noirci par le souffle de l'explosion. Maze pressa la seule main qui voulut bien se lever vers son visage et se mit à pleurer en silence.
Je sortis du box avec beaucoup de mal. Mon lycan gronda dans ma gorge. Il voulait protéger celle qu'il avait toujours considérée comme un membre de la meute. Surtout depuis que Warren avait fait comprendre à tout le monde que c'était elle avant lui. Maze n'avait jamais su ce détail et Warren avait toujours fait en sorte d'être là au bon moment quand il s'agissait de la sauver, elle. Mais les ordres avaient été clairs.
Je tirai sur mes cheveux et m'appuyai contre le mur du box. Je me laissai glisser à terre, tentant de calmer mon loup avec des pensées que je voulais rationnelles.
Elle était en sécurité.
Elle allait bien.
Elle allait être soignée par des gens capables.
Elle allait...
Deux mains me saisirent par le t-shirt et me dressèrent sur mes pieds. Je reconnus à peine Achilles qu'il me plaquait contre le mur en me hurlant dessus.
— Qu'est-ce que tu lui as fait bordel ? Hein ? C'était toi dans la voiture ? C'était toi qui l'a...
— Ach' bon sang ! s'écria Mak en tentant de le faire reculer.
Mon lycan craqua à ce moment précis. Mon poing s'écrasa contre la mâchoire d'Achilles.
— Retouche-moi et je te dépose au pied de notre Empereur, vociféra mon lycan. Tu n'as aucun droit de venir me tenir de tels propos, traître !
— Abel, souffla Mak.
— Je l'ai sauvée ! hurlai-je à mon tour. Elle allait rester dans cette putain de voiture, Makya ! Elle allait y crever !
Le visage du lieutenant blêmit. Achilles était déjà sur ses pieds, mais la main de Mak le força à s'arrêter. Je braquai mon regard sur lui, mauvais.
— T'approche pas d'elle ou je te bouffe les couilles ! cracha mon lycan, mauvais.
— Je t'attends, Kickett, rétorqua Achilles, véhément.
— Stop ! cria Mak.
Mon torse se souleva fort et vite. J'aurais aimé fracasser la tronche de cette enflure d'Achilles. Il n'était un lycan que de race, mais il n'avait rien d'autre pour lui. Pas de meute, pas de rang. Il pouvait bien fermer sa gueule et avancer droit. Je ne savais même pas pourquoi Maze l'avait accepté dans sa brigade.
— Pourquoi t'étais là, Abel ?
Je le regardai. Je me souvenais d'avoir entendu Ainsley. Personne n'ayant daigné bouger son cul, j'avais été prêt à la mang... à la renvoyer d'où elle venait. Puis, j'avais aperçu Maze l'embarquer. MAZE ! Avec l'abominable garce ? Impossible. Je les avais suivies pour pouvoir toucher deux mots à Mazakeen, mais elle avait pris une autre route. Ce n'était qu'en ayant entendu le bruit de l'accident que j'avais franchement accéléré pour la rattraper.
— Pas important. J'étais là et au bon moment. Vous êtes pas foutus de la protéger.
Je bousculai Mak et me rassis par terre, rageant en silence.
Mak regarda son bras qui avait du sang. Je fronçai les sourcils et le flic se pencha sur moi. Il leva mon bras gauche bien haut et découvris ma blessure.
— C'est rien, c'est déjà guéri, mentis-je.
Il fit la moue, mais accepta. Il répondit à sa radio et donna l'adresse de l'hôpital à son collègue. Je ne relevai pas. Je voulais savoir si elle était saine et sauve.
Quand le médecin sortit du box de Mazakeen, il y avait une dizaine de flics dans le couloir. Tous étaient tendus et tous se bousculèrent pour entendre ce que le médecin avait à dire. Je regardai l'équipe de Maze avec un creux dans le ventre. Évidemment qu'ils étaient tous là. Elle était entourée. Mais personne ne la comprenait vraiment en ce moment.
Personne n'avait vu les signes qui la poussaient à arrêter de se battre.
Pourquoi n'était-elle pas sortie de cette voiture ?
Je le savais.
Je le savais bien, mais je ne voulais pas accepter ce simple fait. Warren avait cessé d'exister au moment où il avait donné la permission à son lycan de prendre le dessus en l'écrasant. Pour qu'il ne soit plus présent, plus apte à réfléchir.
Pour qu'il oublie tout ce qu'il avait pu dire à Maze.
Pour qu'il oublie tout ce qu'Ashika avait vécu avant de mourir.
La gamine n'avait laissé que des fragments d'âme derrière elle. Le savait-elle ? Pouvait-elle le voir là où elle était ?
— Docteur, souffla Mak, nous sommes sa brigade.
— Aucun membre de la famille ? soupira l'homme.
Tout le monde et personne à la fois. Ne comprenait-il pas ?
J'avais envie de l'égorger pour simplement sous-entendre que nous n'étions pas de sa famille. Du moins, que je ne l'étais pas. Les autres pouvaient aller se faire foutre.
Je me redressai et croisai mes bras sur mon torse.
— La patiente est dans un état critique. Elle a besoin de plusieurs opérations. Son bras est cassé et elle a un hématome au cerveau qu'il faut aller drainer. Les radios nous en diront plus, mais nous avons dû la sédater à cause de...
Le docteur me trouva dans la foule et grimaça. À cause des sanglots. Parfois, ils étaient tellement fort qu'ils avaient fait trembler Maze. Je me doutais que les forts soubresauts et les fractures n'allaient pas de paire.
— À cause de quoi ? questionna Achilles.
Je sentis mes lèvres remontées sur mes crocs.
— Elle est en choc post-traumatique. Nous l'avons aidé à se calmer, trancha le médecin. Il nous faut quelqu'un qui est habilité à prendre des décisions médicales pour elle. J'ai déjà récupéré son dossier médical. La personne qui a été désignée par le capitaine Fairfax est Warren Archeon.
Un long silence s'étendit dans tout le couloir. Je regardai le médecin avec de grands yeux. Quand est-ce que ces idiots s'étaient-ils nommés contact d'urgence ?
Un rire nerveux m'agita et Mak me fusilla du regard.
Oh merde.
Putain. C'était la meilleure.
Je posai mon front contre le mur, félicitant Maze pour sa connerie.
Et Warren pour seulement exister sur cette planète.
* * *
Mon lycan courrait aussi vite qu'il était possible de le faire en un terme animal. Le médecin m'avait donné vingt-quatre heures, après il serait obligé de contacter la famille de Mazakeen pour prendre des décisions.
Le problème c'était que... Que Warren n'avait pas donné de signes de vie depuis si longtemps que je n'étais même pas sûr de pouvoir l'atteindre comme ça. Le médecin avait dit que l'opération concernant le cerveau de Mazakeen pouvait être assez lourde et possiblement dangereuse. Il n'y avait pas de risque zéro, avait-il dit avec une moue.
Ils allaient procéder comme prévu. L'opération aurait lieu. Mais les résultats qui en ressortiraient seraient du ressort de la personne indiquée sur le dossier de Mazakeen. Si Mak avait vivement protesté, Warren restait la personne responsable des décisions de santé concernant Maze. Lui avait-elle seulement dit qu'elle l'avait foutu dans son putain de dossier ?
J'arrivai enfin sur le territoire de mon Alpha quand un lycan grogna et m'attaqua. Mon animal poussa un cri aigu et un jappement amical. Calder se calma immédiatement. Il couina et vint se frotter contre moi. Mon lycan lui grogna dessus et se remit à courir, remontant la piste de son chef.
Nous trouvâmes le lycan de Warren au même endroit qu'il était tous les soirs. Enroulé autour de caillou qui représentant Ashika, pleurant et appelant son louveteau mort et absent.
Un vide qui semblait parfois le tirer au plus profond de sa souffrance.
Je me changeai en humain et marchai nu jusqu'à lui. Calder grogna et se changea, mais il eut plus de mal. Il resta à genoux pendant quelques secondes avant de se lever.
Je me positionnai à côté de mon Alpha et jouai le tout pour le tout.
— Mazakeen est mourante, murmurai-je.
Ce qui n'était pas totalement vrai, mais pas totalement faux. L'animal bâilla et s'assit, battant doucement de sa queue. Il cligna plusieurs fois des yeux avant de se lever pour partir.
— Putain, crachai-je.
Je l'attrapai par son pelage et il grogna, claquant des dents à côté de ma main. Je m'agenouillai à son niveau.
— Elle a besoin de toi, Alpha, suppliai-je. Elle a besoin que tu prennes des décisions pour elle. Je sais qu'elle est encore là, en toi, quelque part. S'il te plaît, tu dois comprendre ce que je dis.
— Abel, souffla la voix rauque et peu humaine de Calder. Tu parles au lycan.
Je relâchai mon Alpha qui me grogna dessus et aboya contre mon oreille pour mon non-respect de sa personne. Je posai mes mains au sol, n'en pouvant plus de toute cette merde.
— Je cherche à ramasser les pots cassés depuis que tu as disparu, mais ce n'est pas celle qui m'est destinée. D'accord ?
— Abel, répéta Calder. Parle au lycan. Parle à la bête.
Je le regardai pendant quelques secondes avant de poser mes yeux sur l'animal en face de moi.
— Elle a besoin de toi, chuchotai-je, lui faisant sentir ma douleur et ma peine.
Je posai ma main sur son museau et laissai les images de l'accident courir dans mes pensées. Je sentis la bête frémir. J'entendis son geignement. Je sentis la peur qui l'attaqua.
— Ton Anchor a besoin de toi. Je peux t'aider. Je peux t'aider à lui donner le nécessaire. Mais elle a besoin que tu fasses ça pour elle. Il faut que tu sauves ta compagne, lycan.
Calder hocha la tête. Il s'approcha à son tour.
— Tu nous as demandé de la protéger. Souviens-toi des ordres que tu nous as donnés. Souviens-toi de ce que tu dois faire pour la protéger, Alpha.
— Elle est tienne depuis toujours, murmurai-je. Elle est tienne depuis que tu m'as dit de la surveiller et d'en faire ma priorité. Elle serait restée dans cette voiture... Elle y serait restée et il ne serait resté d'elle que des bouts de chairs sur le pavé du trottoir. Elle ne serait jamais revenue. Elle n'aurait jamais tenté de revenir vers toi. Elle avait abandonné.
Calder me regarda avec de grands yeux, inquiets autant que moi. Mazakeen n'avait pas eu conscience de sa place dans notre meute, dans notre hiérarchie, mais je ne pouvais pas le nier plus longtemps.
C'était aussi dur que de dire adieu à Ashika.
Je ne pouvais pas perdre Mazakeen.
Warren ne pouvait pas la perdre.
Si Warren n'était pas là, le lycan l'était. Il pouvait faire quelque chose.
— Tu l'aimes, Alpha. Elle est tienne. Alors, viens pour elle, comme elle viendra toujours pour toi. Parce qu'elle est à toi. Elle est ton Anchor. Pour toujours.
— À jamais, souffla Calder.
Je m'écartai brusquement quand le corps du lycan bascula sur le côté pour émettre un son très perturbant. Je veillai mon Alpha pendant qu'il prenait sa forme humaine. Calder examina le corps humain qui apparaissait lentement et difficilement. Il ne fallait pas que certaines parties animales gardent le dessus sur le reste.
Après plus de cinq minutes de tortures, le corps humain de Warren m'apparut sous les yeux. Je ne l'avais pas vu depuis plus de quatre semaines, voire un peu plus. Il avait perdu du poids, mais comme il avait nourri la bête, ce n'était pas catastrophique. Quand il se redressa sur ses coudes, je retins mon souffle. Est-ce que les images que je lui avais montrées avaient réveillé quelque chose en lui ? Peut-être même que Warren était là, prêt à reprendre pieds ?
Ma déception n'en fut que plus amère quand le regard brillant du lycan croisa le mien.
— Alpha, dis-je en m'inclinant.
— Amène moi à elle, lycan, gronda l'animal.
Pas de Warren.
Juste un animal dans un corps d'humain.
Juste mon Alpha dans sa forme humaine.
Pas de Warren.
Il n'y avait plus de Warren.
Il n'y aurait plus jamais de Warren.
Peut-être était-il temps de faire ce deuil là aussi.