Les deux cavaliers chevauchèrent jusqu'à un bosquet touffu où ils s'arrêtèrent.
— Je te laisse ici, déclara l'homme en faisant ruer le cheval.
La vampire fut si surprise qu'elle ne put trouver une prise pour se retenir. Elle tomba et roula plusieurs fois sur le sol avant de se heurter à un arbre.
— Tu connais la douceur ? Tu aurais pu juste me dire de descendre.
— Et tu m'aurais écouté ? lâcha le cavalier en levant les yeux au ciel.
Un léger grondement s'échappa de la gorge de la jeune femme.
— J'ai des affaires à régler qui ne te concernent pas.
Il mit sa main dans une poche et en sortit un papier froissé. Ce dernier se transforma en un petit oiseau volant, qui atterrit délicatement dans la paume de la rouquine. Elle l'ouvrit avec méfiance.
— Et, que dois-je faire avec cette carte ? demanda-t-elle en relevant la tête vers l'homme.
— Dirige-toi vers ce point rouge, répondit-il.
Il fit claquer les rênes sur l'encolure de l'animal et repartit.
— Et change de vêtements ! cria-t-il.
— Mais c'est de l'autre côté d'Elfira. C'est le monde des humains. Il est hors de question que je me rende dans cet endroit d'inférieur.
L'individu ne répondit pas, mais la vampire savait qu'il avait entendu. Cette dernière feula de colère avant de partir à l'opposé du cavalier.
La chaleur était étouffante dans le village de Glofinel. Les portes et les fenêtres étaient fermées afin de garder le peu de fraîcheur dans les habitations. La terre, tellement sèche, se craquelait. La pluie n'était pas tombée depuis des semaines. Et le vent brûlant, qui emportait des particules en se logeant partout, n'arrangeait pas la détresse des occupants. Personne ne se promenait dans la rue principale, pourtant connue par le monde qui là foule de jours, comme de nuits.
Au loin, une silhouette marchait à travers l'autan puissant. En arrivant à proximité des maisons, elle put enfin se protéger de l'élément.
Elle était vêtue d'une longue robe en lin, aux manches tombantes. Le tissu fin serrait sa taille, laissant paraître son gracile corps. Son visage était caché par une capuche, ramenée jusqu'en bas de son front. Ses mains tentaient de retenir le bonnet ample sur sa tête, sous la force du vent.
Elle se dirigea vers une maison à deux étages, où était ciselée sur une enseigne en bois ; La Taverne aux Loups.
Elle ouvrit la porte de l'auberge et, sous la tempête, elle faillit l'arracher de ses gonds. Une fois rentrée, elle dut contourner les corps meurtris et desséchés par la chaleur.
L'odeur y était nauséabonde. Des mouches volaient en s'agglutinant par dizaine sur les carreaux. Le souffle des gens était saccadé à cause du manque d'eau. La mort y embaumait et empoisonnait le peu d'air encore respirable.
La femme se dirigea vers le fond de la salle et emprunta les escaliers pour monter aux étages de l'auberge.
Elle s'arrêta au premier niveau et continua sa marche dans le couloir. Elle finit par ouvrir une porte et pénétra dans la chambre. Ce fut une épée à la gorge qui accueillit son entrée.
— Je peux savoir ce que tu fais ? demanda-t-elle sinistrement à celui qui tenait l'arme.
— Je t'avais dit de toquer, grogna une voix masculine.
— Mais j'ai frappé. Ce n'est pas de ma faute si tu es trop vieux pour avoir des oreilles fonctionnelles.
L'homme écarta l'épée et se retourna en maugréant.
— Je ne suis pas sourd. Je sais que tu n'as pas toqué, murmura-t-il. Tu en as mis du temps.
— Quand vas-tu arrêter de râler ? questionna la femme en dévoilant son visage.
Sa peau laiteuse se mariait délicieusement avec ses yeux d'un vert feuille vif et ses lèvres d'un rouge écarlate.
— Où étais-tu, Ange ?
— Je me suis rendue à ce fameux point, Githrandiar ! C'est à dire, ici même.
— Ne te joue pas de moi.
— J'ai eu un petit contretemps, répondit-elle en se laissant tomber sur le lit.
Sa robe eut l'apparence, un instant, d'une fleur qui s'ouvre le matin. Quand la femme s'allongea sur le matelas, le tissu se rependit tout autour d'elle.
— Quel imprévu ?
— Rien qui ne te concerne, mon cher.
Githrandiar soupira et s'assit sur une chaise.
— Tu es devenue impétueuse, indiqua-t-il.
De loin, le magicien la vit sourire. Il secoua la tête, démoralisé.
— Qu'as-tu découvert ?
Il eut un silence. Le soleil, rentré à son zénith, marquait le moment le plus chaud de la journée. Le vent fouettait les murs et passait à travers les brisures des carreaux de fenêtres, créant ainsi un son assourdissant. Ange s'assit en tailleur sur le lit et, entre ses doigts, tournait une bague en diamant noir.
— Je ne sais pas. J'ignore ce qui se produit, mais je commence à me dire que tes craintes ont peut-être lieu d'être.
— Pourquoi as-tu changé d'avis ?
— Les vampires sont contrôlés.
— Contrôlés ? s'exclama Githrandiar.
— Oui. Ils doivent tuer, puis transformer, les humains, les nains, les elfes..., tout être doué de pensée, en Vampire.
— À quoi serviront-ils ?
— À faire une armée, expliqua-t-elle en relevant la tête.
— Sont-ils nombreux d'après toi ?
— Tu ne vas pas aimer ma réponse, déclara Ange en grimaçant.
Githrandiar s'adossa à la chaise et contempla, d'un air perdu, le mur d'en face. Il tenait un sceptre qui s'illuminait de temps en temps d'une flamme éclatante.
— J'imagine que tu as dû en parler à Undĕwial ? ricana la femme rousse au regard focalisé sur la bague.
— Il y a longtemps, soupira-t-il. Mais ils m'ont ri au nez.
— Tellement prévisible, s'esclaffa-t-elle, en levant les yeux au ciel.
Le Magicien Sans-Visage se dérida doucement.
— Pourquoi t'es-tu rendu à Elfira ? demanda le vieillard.
— Ça ne te concerne pas, murmura Ange.
— J'ai dû venir te sauver. J'exige une réponse, répliqua Githrandiar.
— Bien sûr. Le protecteur d'Entre-Monde a encore volé au secours d'une pauvre âme en perdition.
Le magicien fronça les sourcils.
— Je te rappelle que Sirdor te poursuit depuis aujourd'hui. Et ne me dis pas que tu ne l'as pas remarqué.
— Mais qu'est-ce que ce volatile me veut ? En plus, sa discrétion laisse à désirer, grinça la femme.
— Je n'ai pas vu comment tu as battu Sirdor.
— Il a cru pouvoir m'effrayer en arrivant à grande vitesse. Mais, c'était une grosse erreur. Je me suis écartée de son passage, juste à temps. Et il a continué sa course, sans pouvoir s'arrêter, avant la collision avec l'arcade.
Githrandiar hocha la tête doucement.
— Il a dû se faire arracher les plumes quand Quvhalion a appris qu'il te protégeait à Elfira, ricana le magicien.
— C'est vrai que quelqu'un se préoccupait de moi, glissa-t-elle.
Githrandiar ne releva pas la pique.
— En plus, c'est de sa faute si j'ai failli périr dans cette cellule, maugréa-t-elle.
— Tu n'avais qu'à suivre les cours comme tous les elfes blancs au lieu de faire ta tête de mule.
Il regarda Ange d'un air grave.
— Elfira a subi de sérieuses avaries avec cet orage chargé de magie noire.
— Des morts ?
— Une dizaine.
— Dommage.
— Ange, la réprimanda Githrandiar.
— Je ne retirerais pas ce que j'ai dit, signala-t-elle.
Ange soupira et s'étira.
— J'en ai assez d'interroger des vampires. Je veux connaître ton plan maintenant, car, visiblement, Entre-Monde est bel et bien en danger ?
Githrandiar regarda Ange qui mettait ses longs cheveux en arrière pour les attacher à l'aide d'une pince.
Elle possédait encore le visage d'une enfant, mais ces traits appartenaient, dorénavant, à une adulte. Six cent onze ans étaient passés depuis sa naissance. Le magicien s'en souvenait comme si c'était hier.
Iryldis peignait les arbres de rouge et d'or et Elyrane, Reine des Elfes Blancs à Elfira, l'avait obligé à venir. Quand il avait posé son regard sur le bébé, qui était maintenant la jeune femme qui se tenait devant lui, ses yeux d'un vert impressionnant l'avaient submergé. Sans qu'il le veuille, l'enfant l'emprisonna. Mais il ne put jamais être le père qu'il aurait dû être.
Depuis huit ans, après sa disparition à Filmawiel, Royaumes des Elfes Verts, il avait fini par récupérer sa fille. Mais, il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que Ange était devenue dangereuse.
Elle ne devait rien savoir, même si ça faisait de lui quelqu'un d'horrible.
— Nous allons recevoir la compagnie d'une personne ce soir, éluda Githrandiar.
— Qui donc ? questionna la femme sur le qui-vive.
— D'une connaissance, répondit-il.
D'une de ses poches, il sortit un brin d'herbe sec, qu'il mit dans sa bouche. Un petit sourire satisfait rida le coin de ses lèvres. Ange plissa les yeux, méfiante.
— Une relation à toi ?
— À nous deux, ma chère, ronronna le Magicien Sans-Visage.
— Je ne connais personne, répliqua-t-elle en fronçant les sourcils.
— C'est une ancienne connaissance, lui appris le vieillard en se levant de la chaise.
Ange écarquilla les yeux.
— Ce soir, annonça-t-il en se tenant droit, devant la fenêtre, les mains serraient derrière son dos. Tu n'es pas une vampire et tu te tais le plus possible.
— À quoi sert ma présence, alors ?
— Que je puisse te surveiller, lui répondit-il, en se retournant à demi vers elle.
Ange voulut répliquer, mais se ravisa.
— Oui chef. Mais pourrais-je, au moins, savoir le nom de cette personne, pour éviter d'être surprise. J'aimerais ne pas poser de nombreuses questions à ce mystérieux inconnu, que, soi-disant, je connaîtrais, déclara-t-elle en jetant un regard à Githrandiar.
— Belle parure, répondit le foudroyé en indiquant de sa tête, l'objet qui tournait fébrilement entre les doigts de la femme.
Ange considéra le bijou qu'elle lâcha, subitement, sur le lit.
— Une bague de diamant noir. Très rare en Entre-Monde et même introuvable, je dirais. Celle-ci vient d'Andor, Royaume des Nains. Ce serait amusant que notre invité la reconnaisse, surtout quand on sait que c'est un personnage très important. Peut-être, un héritier. Aura de Foudre, révéla Githrandiar.
Le beau visage de Ange devint d'une pâleur maladive. La peur, la stupeur et l'incompréhension se mélangeaient dans son regard vert.
Githrandiar sortit de la chambre, laissant la vampire aux proies avec des souvenirs du passé.
Elle avait toujours pensé l'avoir enfermé très profondément en elle, afin que la cicatrice ne remonte pas à la surface. Mais les points de suture avaient lâché.
Assise en tailleur, Ange réfléchissait à un plan pour éviter la rencontre. Elle qui croyait traîner dans ses filets Githrandiar, aujourd'hui, il se servait d'elle. La jeune femme était tombée dans le piège, sans peine. La laisse, qui tenait Githrandiar, venait de se briser. Elle reprit la bague sertie de diamant noir qu'elle avait saisi dans le trésor d'Andor.
À cette époque, elle n'était qu'une petite fille et elle avait volé cette bague, juste pour rapporter un souvenir du Royaume des Nains. Sur le coup, elle ne l'avait même pas trouvée belle. Mais au fil des années, beaucoup de choses avaient changé. Elle avait appris.
Elle n'avait, malheureusement, pas pris n'importe quel bijou. Maintenant, Ange allait devoir faire face à Aura de Foudre, le véritable propriétaire de ce joyaux, celui qui s'était mis à chanter dans le couloir pensant que personne ne l'écoutait. Mais elle avait entendu. Et le temps l'avait aidé à comprendre.
— Rowan, murmura Ange.