Comme l'avait prévu Amaryllis, elles mirent un peu plus d'une heure trente pour arriver à l'Arbre du Pendu, un gigantesque arbre à épines à l'aspect sinistre. Amaryllis lui avait expliqué que dans le passé, c'était le lieu où les criminels étaient pendus. Les autorités laissaient les corps pendre pendant plusieurs jours afin de prévenir les éventuels malfaiteurs que c'était le sort qui les attendait s'ils voulaient sévir sur l'île.
Heureusement, il y a un peu plus d'une dizaine d'année, la politique avait changé et le Conseil des Elfes avait opté pour une punition moins barbare que la pendaison.
- Ils réservent la prison à vie pour les meurtriers ou l'exécution au sabre pour les prisonniers de guerre ayant commis des crimes impardonnables, expliqua Amaryllis tandis qu'Ellynn s'approchait prudemment du tronc noirci par les flammes.
C'était la première fois qu'Ellynn voyait un arbre aussi endommagé. Le tronc et ses nombreuses branches avaient été carbonisées par les flammes tandis qu'un halo de cendre recouvrait l'herbe meurtrie.
- Je me demande ce qu'il fait, dit Amaryllis en jetant un regard inquiet vers le sentier, il devrait déjà être là normalement.
Le cheval blanc d'Amaryllis hennit comme une réponse à son inquiétude et Ellynn vit Philys arriver à dos d'Amiral, le pur-sang d'Attilius.
- Ton père va nous massacrer, gémit Amaryllis quand elle reconnut l'étalon.
- On ne le prend pas avec nous, la rassura Philys en sautant à terre dès qu'il arriva à leur hauteur. Il va rentrer tout seul à la maison.
D'un geste vif, il retira son sac et donna l'ordre à Amiral de retourner auprès de son maître.
- Luna non plus ne viendra pas avec nous, dit Philys en aidant Amaryllis à descendre du sien. Les gardes risquent de nous interroger si on essaie de partir avec eux.
- On ne sait pas aller à trois sur le dos de Gladius, objecta Ellynn en caressant le garrot de son tigre.
- On achètera deux montures après notre traversée. Je connais un marchand de chevaux posté juste en dehors de Wallis. Avec un peu de chance, je parviendrai à négocier un bon prix.
Leurs regards se croisèrent et Ellynn sentit son estomac se nouer. Ce qu'ils s'apprêtaient à faire n'allait pas être apprécié à Amadeus. Non seulement ils allaient rater plusieurs jours de cours – sans avoir prévenu qui que ce soit – mais en plus, ils avaient volé une clé au chef de la Garde Elfique, l'un des plus haut gradé à Aeolus Tann'ynn.
Pendant un bref instant, Ellynn se demanda s'il ne valait pas mieux faire demi-tour et abandonner cette idée périlleuse. Mais son instinct lui criait de continuer sur sa lancée et de se dépêcher.
- On y va ? lança-t-elle après avoir rassemblé son courage et pris une profonde inspiration.
- À votre place, j'attendrais.
Ellynn sentit ses entrailles se glacer. De derrière un arbre, Timolas apparut avec Mila sur ses talons. Tous ses sens en alerte, Ellynn jeta des regards frénétiques autour d'elle, s'attendant à voir des gardes les arrêter d'une seconde à l'autre.
- Je suis seul, annonça Timolas en se rapprochant d'eux, les mains devant lui en signe de reddition.
Il y avait quelque chose d'étrange dans sa démarche et dans son accoutrement, pensa Ellynn. Il était tendu et ne portait pas sa tenue d'assassin, ce qui n'était encore jamais arrivé depuis leur rencontre.
- Qu'est-ce que tu veux ? demanda agressivement Philys qui le regardait d'un air suspicieux. Eh je te parle ! s'écria-t-il quand il vit que Timolas ne lui accordait pas la moindre importance.
Timolas se tourna vers lui et le toisa du regard – ses lèvres frémissant en une grimace difficilement déchiffrable – tandis que Mila s'approchait imperceptiblement de lui en retroussant ses babines en signe d'avertissement.
- Qu'est-ce que tu fiches ici ? intervint Ellynn avant que cela ne tourne à la confrontation.
- Il me semble que c'est évident, non ?
Ellynn haussa les sourcils, bien décidée à lui faire comprendre que ses devinettes ne l'amusaient absolument pas.
- Je vous sauve la mise.
Philys leva les yeux au ciel et éclata d'un rire grinçant.
- Qu'est-ce que...
- Aurélius est de garde pour le moment, l'interrompit Timolas d'un ton sec. Si vous allez maintenant prendre l'embarcation, Aurélius saura que vous avez volé une clé à Attilius, il vous arrêtera et vous n'arriverez jamais à Squilla.
- Comment... demanda faiblement Ellynn, sentant le sol se dérober sous ses pieds.
- Comment je sais tout ça ? dit-il en vrillant son regard dans le sien. C'est simple : je t'ai suivi hier soir et j'ai également entendu la conversation entre ton père, Amos et Attilius.
Ellynn ferma les yeux, fébrile.
- Pourquoi nous préviens-tu ? continua Philys agressivement. Quel est ton intérêt dans tout ça ?
- Parce que je n'ai aucun intérêt à ce que vous vous fassiez prendre, lui dit sèchement Timolas. Et surtout parce que je compte bien vous accompagner.
- Hors de question ! répondit immédiatement Ellynn.
Timolas eut un rictus proche d'un sourire.
- Ce n'était pas une question.
Philys voulut renchérir mais Ellynn leva la main pour le faire taire.
- Nous n'avons pas besoin de ton aide, continua Ellynn d'une voix ferme, bien déterminée à ne pas l'impliquer en plus dans ce voyage.
- Permets-moi d'en douter, dit Timolas d'un ton calme.
Son arrogance agaça profondément Ellynn et elle leva les bras, les croisant au-dessus de sa tête, dans une vaine tentative de se calmer.
- Tu as besoin de moi, trancha Timolas. Tu peux penser ce que tu veux, mais si vous tombez sur des Chasseurs Noirs, je peux t'assurer que nous ne serons pas de trop à quatre.
- Par la culotte de Darius, vociféra Philys entre ses dents en s'approchant dangereusement de Timolas dans une tentative d'intimidation, on t'a dit qu'on n'a pas besoin de toi ! Dégage !
Timolas lui lança un regard glacial, imperturbable.
Amaryllis s'approcha de Philys et le toucha d'un geste léger pour l'apaiser.
- Il n'a peut-être pas tords, dit-elle d'un air incertain en jetant un regard interrogateur à Ellynn. Si nous devons nous retrouver nez à nez avec l'un des Chasseurs Noirs, je ne donne pas cher de notre peau...
Philys donna l'impression de s'étrangler et lui lança un regard de reproche. Au vu de son teint cramoisi, il avait des difficultés à accepter le fait qu'elle ne le soutienne pas dans une situation pareille. Amaryllis dut le sentir car ses joues rosirent de manière alarmante tandis qu'elle tentait d'éviter ses yeux accusateurs.
Pendant un moment, tous restèrent silencieux, une tension plus que palpable dans les airs. Ellynn réfléchissait à ce qu'Amaryllis venait de leur dire et devait admettre qu'elle avait plus que vraisemblablement raison. Timolas était un atout non négligeable s'ils devaient avoir de mauvaises rencontres. Le seul hic résidait dans sa fierté qu'elle avait difficile à mettre de côté.
- Très bien ! concéda Ellynn après mûre réflexion et en lui lançant un regard mauvais. Tu n'as qu'à nous suivre si ça te chante !
À ces mots, l'expression du visage de Timolas changea et il parut plus détendu. Il lui fit un petit signe de la tête et s'éloigna d'eux pour éviter les foudres de Philys.
- Pourquoi as-tu dit ça ? marmonna rageusement Philys à l'encontre d'Amaryllis. On n'a pas besoin de lui !
- Je ne suis pas d'accord avec toi, répondit Amaryllis d'une toute petite voix, ses yeux se remplissant soudain de larmes.
Voyant que Philys allait dire des choses qu'il allait ensuite regretter, Ellynn intervint :
- Ce n'est pas la peine de faire cette tête-là Philys. Elle a raison et tu le sais, dit d'un ton tranchant Ellynn. J'ai moi-même du mal à l'admettre !
Amaryllis lui lança un regard reconnaissant, son teint à présent proche de celui d'une tomate.
- Je vais aller évaluer la situation et je reviens, continua Ellynn en s'éloignant d'eux d'un pas décidé tandis que Philys faisait un effort manifeste pour ravaler sa fierté.
D'une certaine manière, le dire à voix haute la réconfortait dans sa décision et elle fut même soulagée que Timolas l'ait espionnée et suivie à son insu. Ellynn avait été naïve de penser qu'il lui suffisait juste de rejoindre Squilla et retrouver Jolan et Apolline avant de revenir à Amadeus. Il y avait de grandes chances pour que la situation soit compliquée sur place et toute aide était la bienvenue, surtout quand il s'agissait d'un assassin surentraîné.
Une petite brise balança doucement les feuilles des arbres derrière lesquels Ellynn se cachait pour observer les gardes. Elle était sur le versant d'une colline et pouvait à son aise observer Aurélius qui conversait avec l'un de ses soldats. Ils semblaient avoir une discussion animée et Ellynn se demanda quel pouvait être l'objet de leur discorde car Aurélius paraissait préoccupé et faisait de grands signes saccadés.
En dehors de leur conversation, la clairière était étonnamment calme. Le vent sifflait doucement sur les roches et rafraichissait les soldats qui paressaient sur le ponton. Leurs camarades se tenaient un peu plus haut dans la crique et scrutaient l'horizon. Ellynn regarda un peu plus attentivement et recensa onze soldats au total.
Alors qu'elle se demandait quelle excuse ils allaient fournir pour pouvoir quitter l'île, Ellynn vit une troupe entrer dans la clairière.
La relève de la garde, pensa aussitôt Ellynn en observant rapidement les nouveaux visages qui arrivaient.
À son grand soulagement, aucune des deux sœurs de Philys n'étaient présentes et Ellynn se hâta d'aller prévenir les autres dès qu'elle vit Aurélius quitter la crique.
- La voie est libre, annonça Ellynn en ramassant son sac de voyage qui était resté auprès d'Amaryllis.
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