Un bruit de voix étouffées et rageuses réveilla Ellynn. Elle était étendue sur un fauteuil et sentait encore ses tempes pulser furieusement dans sa tête. Chaque centimètre de son corps lui faisait mal et une douleur aigue assaillait sa jambe blessée.
Les paupières mi-closes, Ellynn essayait de se repérer. Sa vision était brouillée et le sol tanguait toujours sous elle. Elle cligna plusieurs fois des yeux et chassa peu à peu les taches noires qui dansaient devant ses yeux.
- À force de la maintenir dans l'ignorance, un accident va se produire ! Si je n'étais pas arrivé à temps aujourd'hui, elle se serait fait tuée.
C'était la voix de Timolas. Elle ouvrit complètement les paupières et vit Timolas serrer les poings, en proie à un violent combat intérieur. Sa mâchoire était crispée et ses yeux lançaient des éclairs.
- Ce n'est pas à moi de décider ce qu'elle peut ou non savoir, répondit Attilius d'une voix calme.
- Mais c'est complètement ridicule ! Elle a le droit de savoir ce qu'il se passe ! John va tuer sa propre fille s'il s'entête à ne rien lui révéler !
- Ca suffit ! le coupa sèchement Attilius.
Le chef de la Garde lança un regard impérieux à Timolas.
- Crois-tu un seul instant que nous prenons la sécurité d'Ellynn à la légère ?
Un silence pesant s'installa pendant lequel Timolas s'adossa contre le mur et fixa le sol de manière butée. Attilius l'observa quelques instants puis ajouta d'une voix posée :
- John doit avoir ses raisons. Faisons lui confiance.
Timolas hocha imperceptiblement la tête, pas du tout convaincu. Tous les traits de son visage étaient tirés, tendus. Ses pupilles étaient dilatées par la colère et fixaient un point imaginaire.
Un toquement discret retentit alors à la porte et Isis, la femme d'Attilius, entra dans la pièce.
- J'ai ramené tout ce que j'ai pu trouver dans notre armoire, dit-elle d'une voix douce tandis que son mari retirait sa cape. Ou veux-tu que je dépose la bassine d'eau ?
- Tu peux la mettre à côté d'Ellynn, merci.
Simulant le sommeil, Ellynn ferma les yeux et attendit d'entendre le froissement de la robe d'Isis s'éloigner d'elle avant de les rouvrir.
- Philys est dans le petit salon et exige de voir Ellynn, dit Isis d'une voix inquiète.
- Comment... ?
- Il vous a vu arriver – elle posa une main apaisante sur le bras de son mari – mais Aurélius lui a interdit de vous déranger. Je l'ai rarement vu autant en colère, dit-elle en lui jetant un regard surpris.
Timolas serra les poings.
- Je vais aller lui parler, soupira Attilius.
D'un geste souple, il se débarrassa de son fourreau et le rangea auprès d'autres épées qui étaient alignées contre le mur. Ellynn réalisa alors qu'ils se trouvaient dans son armurerie.
- Je me demande quand il se décidera enfin à écouter les ordres qu'on lui donne...
- Je me demande de qui il tient ça ?! le taquina gentiment Isis en sortant de la pièce.
Attilius hocha négativement de la tête.
- Je reviens, lança-t-il à l'attention de Timolas.
Puis sans ajouter un mot, il ferma la porte derrière lui et suivit sa femme dans le couloir. Quand le bruit des pas disparut, Ellynn entendit Timolas marmonner des paroles inaudibles avant de frapper hargneusement dans l'un des murs.
Ellynn referma les yeux et tenta de contrôler sa respiration. Timolas faisait les cents pas et semblait tourner comme un lion en cage. Comme elle ne savait pas comment se comporter face à lui alors qu'elle s'était blottie dans ses bras, elle préféra feindre le sommeil plutôt que de devoir l'affronter.
Tandis qu'elle priait silencieusement pour qu'il sorte de la pièce et la laisse seule, Ellynn sentit soudainement un lancement intense et douloureux dans son mollet. Elle gémit de douleur et se redressa avec difficulté.
- Reste couchée, dit précipitamment Timolas en accourant vers elle.
Mais Ellynn fut incapable de l'écouter et tint sa jambe qui était prise de tremblements incontrôlables. Elle avait l'impression qu'on lui enfonçait des lames chauffées à blanc dans sa peau. Elle désobstrua les lambeaux de son pantalon et eut un haut le cœur quand elle découvrit une large plaie ouverte tout le long de sa jambe.
- Essaie de ne pas bouger, dit Timolas qui déchira le pantalon pour dégager au mieux la blessure.
Le teint de Timolas était plus palot que d'habitude. Il avait les yeux rivés sur sa jambe et s'affairait du mieux qu'il pouvait pour ne pas lui faire mal. Lorsqu'il retira le dernier pan de tissu qui masquait la plaie, Ellynn étouffa un cri de douleur.
- Je suis désolé, murmura à peine Timolas.
Au bord des larmes, Ellynn se mordit la lèvre tandis que du sang coulait sur son mollet.
- Je vais devoir nettoyer ta plaie, dit Timolas d'une voix enrouée.
Ellynn acquiesça, livide. La perspective que quelqu'un touche à sa blessure lui donnait envie de vomir. Timolas dut voir l'expression de son visage car il ajouta :
- Je ferai doucement, promis.
Avant qu'Ellynn ne perde tout courage, il prit la serviette qu'Isis leur avait préparée et la trempa dans l'eau. Il ramena la bassine aux pieds d'Ellynn et lui jeta un regard inquiet.
- Tu es prête ?
Avec beaucoup de précaution, il commença par enlever les saletés amassées autour de la plaie. Il allait lentement pour éviter de lui faire mal et faisait attention à ne pas toucher sa blessure. Ses doigts effleuraient sa peau avec une telle délicatesse qu'Ellynn se sentit rougir. Chacun de ses tracés lui donnait l'impression d'être marquée au fer rouge et pour son plus grand embarras, elle commença à haleter.
Qu'il l'entendit ou non, Timolas resta concentré et plongea une nouvelle fois la serviette dans l'eau pour pouvoir s'attaquer à la plaie ouverte. Quand le tissu toucha l'entaille, Ellynn geint tellement la douleur fut vive. Des larmes coulèrent sur ses joues tandis que Timolas continuait, à contrecœur, les mains légèrement tremblantes.
De longues minutes s'écoulèrent avant que Timolas eut finit de nettoyer la plaie. La mine soucieuse, il regarda Ellynn qui tremblait de froid et qui n'avait plus aucune trace de couleur sur son visage. Sans un mot, il prit la couverture qui était posée sur le dossier du fauteuil et l'enroula autour d'elle pour la réchauffer, ses mains s'attardant inutilement sur ses épaules.
Incapable de parler, Ellynn lui lança un regard reconnaissant. Elle avait peur de vomir si elle devait prononcer le moindre mot.
- Tu devrais te coucher, la conseilla Timolas d'une voix inquiète.
Ellynn hocha de la tête mais ne parvint pas à bouger la moindre parcelle de son corps. Elle était courbaturée de la tête aux pieds et chaque mouvement lui coûtait un effort qui lui semblait surhumain. Timolas se pencha alors vers elle et dégagea une mèche de son front.
Troublée, Ellynn leva les yeux vers lui. Elle pouvait sentir son souffle chaud effleurer son visage tellement il était proche d'elle. De ses doigts, il dessina une trajectoire sur sa joue avant de tourner délicatement sa tête sur le côté.
- Tu as une coupure sur la joue, dit-il d'une voix rauque.
Ellynn déglutit. Son regard intense allumait un véritable brasier en elle et l'empêchait de mettre de l'ordre dans ses idées. Cela faisait très longtemps qu'elle ne s'était pas retrouvée aussi près de lui et ses yeux vrillés aux sien ne l'aidaient pas à garder son sang-froid.
Au moment où Timolas voulut lui dire quelque chose, la porte s'ouvrit à la volée et les fit sursauter.
- Tu es réveillée ! s'exclama Attilius soulagé quand il remarqua qu'elle était consciente. Comment te sens-tu ?
L'atmosphère dans l'armurerie changea en un clin d'œil. Ellynn se sentit rougir jusqu'à la racine de ses cheveux et Timolas s'écarta d'elle comme si elle était en un coup hautement contagieuse.
- J'ai... j'ai déjà connu mieux, dit Ellynn en s'éclaircissant la gorge tandis qu'il les rejoignait.
Attilius jeta un coup d'œil à sa blessure et alla chercher un onguent dans une armoire contenant un nombre impressionnant de petites fioles.
- Tiens – il lui jeta le récipient et alla s'assoir dans la grande chaise qui ornait fièrement derrière son bureau – mets ça sur ton entaille. C'est un cicatrisant puissant.
Ellynn attrapa le pot au vol et l'ouvrit. Un parfum doux s'en dégagea et elle reconnut l'odeur typique de l'aloe vera. Elle prit une profonde inspiration et badigeonna sa peau là où elle avait été coupée.
- Tu pourras la prendre avec toi chez Mrs Collins, dit Attilius tandis qu'Ellynn grimaçait de mal. Il ne faut pas hésiter à en mettre régulièrement. Au bout de deux ou trois jours, ta plaie sera déjà un mauvais souvenir.
- Merci, répondit Ellynn en évitant soigneusement son regard inquisiteur.
Assis dans son fauteuil, Attilius les observait silencieusement. Ellynn pensa qu'il devait attendre le moment opportun pour les interroger et son cerveau fonctionna à du mille à l'heure pour tenter de trouver une explication qui ne l'embarrasserait pas. Elle ne voulait en aucun cas révéler comment elle avait atterri là, surtout que Timolas était également présent dans la pièce.
De biais, elle vit que Timolas n'avait pas l'air plus enclin qu'elle à tergiverser sur le sujet car il croisait les bras, complètement fermé au dialogue.
- Que faisiez-vous au Temple de Phix ? demanda Attilius en brisant enfin le silence oppressant qui s'était installé dans la pièce.
Il y avait une tension palpable dans l'air tandis qu'Attilius les regardait alternativement. D'un geste lent, Ellynn déposa le pot d'onguent à côté d'elle et se pinça les lèvres, priant pour que le chef de la Garde croit en sa vérité améliorée.
- Je me suis perdue.
Attilius continua à la fixer comme si elle n'avait même pas parlé quelques instants auparavant.
- Il va falloir faire mieux que ça, la prévint Attilius en lui jetant un regard d'avertissement. Le lieu que vous avez profané est strictement interdit au public. Timolas – il lui jeta un regard sévère – en est plus que conscient.
Timolas s'obstina à contempler le sol et se mura dans son silence, Ellynn le maudissant intérieurement.
- Je me suis réellement perdue, répéta Ellynn avec plus de conviction cette fois.
Attilius haussa les sourcils, toujours dubitatif. Ellynn sut qu'elle n'allait pas savoir lui mentir encore très longtemps. Elle décida de lui relater les faits mais omis volontairement certains détails embarrassants pour elle.
- Ce matin – elle dégagea une mèche invisible de son visage – Mrs Collins m'a donné deux cadeaux que mon père lui avait fait parvenir... Un des deux cadeaux provenait de Nanny Mi et... quand je l'ai ouvert, j'ai eu besoin de prendre l'air... j'ai couru sans faire attention où j'allais et j'ai trébuché.
Timolas releva enfin la tête.
- J'ai bêtement volé par-dessus le muret que je n'avais pas vu, finit Ellynn un peu honteuse.
Un nouveau silence s'installa durant lequel Attilius soutint le regard d'Ellynn pour voir si elle mentait ou non. Ellynn ne cilla pas et pria pour que son explication soit suffisante pour la tirer de ce mauvais pas.
Au bout d'un temps interminable, Attilius s'enfonça dans son fauteuil.
- Si ce que tu dis est vrai – Ellynn hocha doucement de la tête en espérant vaguement que la chance allait la tirer de cette situation compromettante – comment se fait-il que Timolas était avec toi au Temple alors ?
Cette fois-ci, le silence dura longtemps et Attilius ne broncha pas.
- Ca, croassa Ellynn la gorge sèche, je ne sais pas vous dire...
Attilius fronça les sourcils.
- Intéressant, murmura-t-il en reportant son attention sur Timolas qui parut tout à coup figé. Peux-tu – il se redressa dans son siège et joignit le bout de ses doigts dans un geste très distinctif – nous éclaircir sur le sujet ?
Timolas hésita une fraction de seconde. Ellynn pouvait voir qu'il réfléchissait à toute allure.
- Je parlais avec Kunis dans la crique des Trois Manchots quand j'ai vu Ellynn se diriger vers le Temple de Phix. Je l'aurais arrêtée beaucoup plus tôt si... si Kunis ne m'avait pas retenu aussi longtemps.
Timolas passa rageusement une main dans ses cheveux.
- Lorsque je suis arrivé au Temple de Phix, il était trop tard. Phix s'était déjà transformée donc je suis intervenu pour éviter une catastrophe... je n'ai pas eu le choix, finit sèchement Timolas.
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À vos commentaires ^^ J'ai hâte de lire vos avis! :) Est-ce à la hauteur de vos attentes? Que pensez-vous de Timolas? Et que va faire Attilius? :)))