Après mon récent échec, je passe le reste de la journée dans des magasins, autant pour faire des recherches que pour me détendre. Je m'achète le costume traditionnel d'écolière. Le Japon est un des seuls pays au monde à conserver des traditions vieilles de plusieurs centaines d'années. Et je trouve ça terriblement dommage que le reste des autres pays ait perdu leurs différentes coutumes. Je passe la soirée à l'hôtel, mange rapidement un sandwich et appelle ma famille, pour les nouvelles. Le visage de ma mère s'affiche sur l'écran-mur face à moi.
- Hellen ! Comment vas-tu ? S'exclamema mère lorsque je décroche, je remarque immédiatement son tonenjoué.
- C'est horrible de dire ça après cequi s'est passé mais de mieux en mieux.
- Je l'entends à ta voix et le vois à ton visage. Nous aussi ça va mieux. Matthew s'est remis beaucoup plus vite que nous. Ton père s'est assommé de travail, ça ne faitque dix ou onze jours qu'il recommence à rentrer pour manger lors du déjeuner.
- Oh, le pauvre...
- As-tu des nouvelles de Scott ?
- Non, rien pas la moindreinformation. Je commence à me dire que malgré tout, il est décédédans le crash.
Ma voix se casse sur les derniers mots et je sens une larme rouler le long de ma joue. Ne pas savoir ce qu'il s'était passé, s'il était mort ou bien errait comme une âme en peine dans les rues, rend mon deuil impossible et même si je tente de l'étouffer, une partie de moi espère sans cesse. Et c'est ça qui me fait souffrir. Cet espoir qui me ronge de l'intérieur à chaque chose qui me faisait penser à Scott.
- Ma chérie, l'amour c'est ça qui tefait tenir qui te rend si humaine. Tu le prends comme une faiblesse,mais c'est ta force.
Lorsque la voix de ma mère se fut éteinte dans la pièce, j'ouvre des grands yeux. Depuis quand ma mère est un devin ? On discute encore pendant de longues minutes qui me permettent de me remonter le moral, puis ma mère dû raccrocher parce que Matthew l'appelait.
Un sourire débile scotché sur les lèvres, je règle mon écran mural pour qu'il lance un programme d'entraînement en musique. Cette conversation avec ma mère m'a aidée à reconstituer les morceaux brisés de ma confiance en moi-même. Je vais retrouver Scott, l'embrasser, lui expliquer ce qu'il s'est réellement passé et l'aimer jusqu'à en perdre pied. S'il est vivant.
*
Je m'étire paresseusement. Je regarde vaguement l'écran mural qui affiche l'heure. Quand soudain, cette information me fait bondir hors de mon lit avec un petit rire hystérique. Il est onze heures trente. Je cours jusque sous la douche. Le puissant jet d'eau froide m'arrache un frisson mais me réveille parfaitement.
J'enfile un survêtement noir, une brassière de sport et un tee-shirt de danse ample qui s'arrête au-dessus du nombril, laissant apparaître mes abdos pourtant discrets. Je mange rapidement au bar de l'hôtel et commence à courir, ma queue de cheval me battant les épaules. J'ai décidé de stopper quelque peu mes recherches pour m'entraîner toute la journée. Mes foulées puissantes me font rapidement quitter la ville et j'atterris je ne sais comment dans un magnifique parc, avec les cerisiers fleuris. Surprise par cette beauté, je freine et ralentis ma course pour marcher. Le nez en l'air, je regarde les familles jouer dans l'herbe, les jeunes couples s'embrasser sur des bancs, des personnes âgées discuter, des gens faisant leur footing, des femmes tenant par la main la personne qui détenait leur cœur. D'autres pousser des poussettes en riant avec leurs amies. Des jeunes filles lisant des textes numériques à d'autres amies. Ce monde semble harmonieux et si loin de cette technologie qui ronge les gens à quelques pas de là. Je souris face à cet endroit plein de bonheur qui me gonfle le cœur de rires. J'ai soudainement cette envie incroyable d'aller voir les premiers venus, de m'installer et de rire avec eux. Je me remets à courir, le casque autour du cou, profitant de ce bonheur presque palpable. Je cours en faisant plusieurs fois le tour de ce parc magnifique avant de me décider à le quitter. Je repasse les grilles de fer forgé couleur acier et retrouve, malheureusement, les écrans de la ville ainsi que les foules. Je me fraye non sans difficulté un passage parmi la foule et cours dans les rues parallèles. C'est à ce moment là que je le vois. Je me fige en plein mouvement, mon premier appui, mon pied gauche replié pour mon rebond et mon second, posé en équilibre précaire sur le bout de la chaussure. Je me sens basculer en avant alors je fais une roulade et me relève. Lui aussi, à quelques pas de moi s'est figé, son regard dans le mien.
- Hellen ? Souffle-t-il.
L'homme de l'Organisation baisse les yeux, prouvant irrémédiablement qu'il me craint et donc a conscience de sa faiblesse face à moi. Mais trop choquée par ce que j'ai vu lors du meurtre de Marine, je bondis de toute ma puissance, il mets ses mains comme pour protéger son visage mais je passe à côté de lui sans lui jeter un seul coup d'œil. Commence alors une course poursuite terrible. Nous sommes tout les deux très puissants et rapides. Je saute par dessus les barrières, bondis au-dessus des voitures pour échapper à l'homme qui m'a prise en chasse. Je m'engage dans une ruelle sombre et vide et hésite un court instant, choisissant la voie de droite plutôt que celle de gauche qui semble être une impasse. Mais lorsque j'arrive face au mur, je comprends que j'aurais dû faire l'inverse. Je fais demi-tour pour prendre l'autre rue, mais soufflant comme une forge, au bout du cul-de-sac se trouve mon poursuivant. Je bloque alors mon souffle, déjà court d'avoir utilisé toute ma puissance pour tenter de le semer. J'expulse tout l'air contenu dans mes poumons d'un coup. Ayant retrouvé mon souffle, contrairement à l'homme, je fais volte-face et commence à courir en direction du cul de sac. A cinq mètres du mur je bondis alors que j'entends l'homme soupirer. Je bondis sur un premier mur et me servit du choc pour rebondir sur l'immeuble d'en face. J'atterris accroupie sur le muret. Je regarde l'homme en bas. Ses yeux exorbités croisent les miens et je peux y lire de l'admiration. Je me laisse glisser de l'autre côté. Un obstacle, aussi impressionnant qu'il soit, est juste à passer. Un "Hellen" suppliant se fait entendre de l'autre côté de mur, auquel je réponds simplement par un éclat de rire. Profitant de cette intrusion non voulue chez l'habitant, je reprends un peu mon souffle. Puis, de peur que les propriétaires de ce merveilleux jardinet ne soient furieux que je sois là, je pars. Je retrouve l'artère principale, cette dernière est blindée de monde comme d'habitude alors, je me faufile jusqu'à un café et mange un petit truc pour me remettre de mes émotions. Étant seule à ma table, je m'amuse à écouter la conversation des deux filles à côté de moi. Soudain, elles sont rejointes par une troisième et d'un coup leur conversation prend un tour très intéressant pour moi.
- Alors Jenna ? Comment ça va depuisl'autre fois ? Interrogea la première.
- Oh les filles si vous saviez !S'exclama la-dite Jenna avec un soupir attendrit.
- Vas-y ! Il est comment ? Dit laseconde fille avec un petit rire.
- Oh je l'ai vu l'autre jour, chezNiella, tu sais le nouveau magasin de sport sur la 52ième rue de l'avenue ? Il était canoooon ! Genre, Ted Rodinson en encore plusbeau !
Ted Rodison est un acteur d'une série que toutes les filles de la Terre trouvent géniale, c'est-à-dire avec pleins d'histoires d'amour, sur fond de gang avec un saupoudré d'action, miraculeusement devrais-je dire parce que j'ai regardé un épisode avec une amie et c'est la véritable catastrophe !
- Il a les yeux bleus électriques, il doit porter des lentilles parce que sa pupille est verticale mais çalui donne un air trop mystérieux ! Il a les cheveux bruns, desmuscles de fou, la mâchoire carrée et tout ! Je te jure, j'aivraiment cru que c'était l'acteur ! En plus il avait l'air tropsympa.
- En tout cas il doit être beau pourque tu en parles comme ça !
Je n'entends pas le reste de leur discussion. Cette Jenna venait de décrire Scott. Faisant sursauter les filles qui écoutent Jenna raconter comment elle l'a croisé, je bondis de ma chaise et commence à courir dehors.
Les pièces que la jeune femme a jeté précipitamment sur la table tournent encore alors qu'elle est déjà loin. Ses trois voisines regardent sans comprendre la place désormais vide à côté d'elles. Hellen, court sans se retourner pour s'excuser auprès des gens qu'elle bouscule. Elle court comme une tornade parce qu'enfin elle a la preuve que le garçon qu'elle aime n'est pas mort dans ce foutu crash d'avion. Elle entre dans la petite boutique qui affichait le nom de ''chez Niella''. Elle ne s'arrête pour reprendre son souffle que lorsque la vendeuse la regarde bizarrement. Elle saute littéralement sur place tant son impatience de savoir est grande. Elle prend vaguement le temps de regarder les objets qui se trouvent dans le magasin, alors que d'habitude elle y prend plusieurs heures - si besoin est -. Elle soupire de soulagement lorsque le client avant elle s'en va. Elle bondit presque sur la vendeuse qui lui jette un énième regard désapprobateur.
- Où est le garçon avec les oreilles pointues, je sais qu'il est venu dans votre magasin et je le cherche désespérément.
La vendeuse la regarde surprise par cette demande improbable, puis répond sans savoir qu'elle va détruire Hellen tout en lui donnant les clefs pour trouver la force de continuer.
- Madame ! Je vais passer outre madésapprobation de servir de dénonciatrice pour ce jeune homme etvous faire remarquer que ça doit faire au moins cinq jours qu'il est passé à la boutique.
D'un coup, Hellen a l'impression de revivre encore une fois ce moment où le sol s'ouvre sous ses pieds. La vendeuse voit, impuissante, la flamme qui illuminait le regard de la jeune fille s'éteindre brusquement. Et lorsqu'elle demande pourquoi, seule la porte qui claque lui répond. Un instant, elle envisage de la suivre mais elle renonce, devant rester dans son magasin.
Hellen a enfin une preuve, même infime qu'il est vivant.