Chapitre corrigé :D
Je toisais Loana de mon expression la plus irritée. Il y avait de la malice dans ses yeux. C'était plutôt étrange de voir briller cela dans ses prunelles. D'habitude, j'y lisais plutôt du mépris ou du sarcasme. Comme quand elle m'avait attaquée un peu plus tôt.
J'avais perdu mon sang-froid, à ce moment-là, et je m'en voulais mortellement de m'en être pris à une femme, une femme encore affaiblie par la maladie, en prime. Je n'avais jamais agressé personne, et voilà que, pour la première fois, je m'en prenais physiquement à quelqu'un, et à moins fort que moi ! C'était pathétique et vil. Quelle mouche m'avait piqué ? Cela ne me ressemblait absolument pas.
Depuis que nous avions repris notre progression silencieuse, je ne faisais que chercher une occasion de m'excuser. C'était humiliant de reconnaître sa faute, mais je n'avais pas vraiment le choix.
Je reportai mon attention sur notre découverte.
— Je ne sais pas comment m'y prendre, admis-je en désignant le champignon du menton. S'ils sont toxiques quand ils rentrent en contact avec l'épiderme et que je les touche, je risque de te prendre pour le jarg et d'essayer de te pourfendre.
Une chose incroyable se produisit alors. Elle rit, un rire naturel, pas un de ses ricanements méprisants qui étaient sa signature. Je camouflai ma surprise tant bien que mal et l'observai alors qu'elle passait la main dans sa manche et cueillait délicatement le champignon avec le tissu. C'est alors que je découvris le sang qui imbibait son pansement. La culpabilité revint en force et je serrai les mâchoires, en colère contre moi-même. C'était moi qui avais rouvert ses plaies.
Loana se releva et regarda autour d'elle.
— Tu as un endroit où le mettre ?
Me rendant compte que je reluquais sa main cachée par sa manche sans réagir, je fouillai dans mes affaires et en sortis une bourse en cuir. Nous nous baissâmes au même moment et commençâmes à la remplir de ces étranges petites choses.
Tout en m'activant, je me demandai quel était le problème de cette fille. Elle était mauvaise comme la teigne, arrogante, sarcastique, de mauvaise foi quand on se montrait agréable avec elle et elle devenait aimable après avoir été agressée.
Tu parles d'un paradoxe !
— Je pense que tu en as assez, déclara-t-elle en réalisant que nous avions dévalisé le tapis de champignons. Tu pourras toujours revenir en chercher, s'il te reste de la place.
Je hochai la tête et me redressai. Loana avait repris son air buté et distant. Je décidai de faire comme si de rien n'était et repris mon exploration, une idée en tête. Le jour commençait à se lever et il faisait beaucoup plus clair, tout à coup. J'étais sûr de réussir à trouver ce que je cherchais dans l'herbier, sans l'aide de Loana. Je l'ouvris, plissai les yeux et le parcourus rapidement, satisfait de pouvoir en déchiffrer le contenu.
— Qu'est-ce que tu cherches ?
Pourquoi fallait-il toujours qu'elle ait ce ton agressif, accusateur même ?
— Je cherche une herbe avec une propriété particulière, répliquai-je, tout en continuant à lire la posologie de chaque plante.
Je finis par tomber sur ce que je cherchais et fus très heureux de remarquer que j'avais déjà croisé le végétal en question. Je m'approchai de Loana, qui patientait en trépignant, et lui montrai le dessin. C'était une mousse bleue comme le ciel lorsque le soleil est levé. J'avais remarqué qu'elle ne poussait que sur les rochers ensoleillés.
— Il me faut cette mousse.
Elle ne chercha pas à comprendre pourquoi et hocha la tête, une expression neutre sur le visage.
— Est-elle rare ?
— Non. Il faut que nous trouvions une clairière où il y a des rochers et nous sommes pratiquement sûrs d'en dénicher.
Nous nous remîmes en route sans nous adresser la moindre parole. Je me sentais un peu gêné en sa compagnie. Je savais que j'avais blessé son orgueil et son corps. Je n'avais qu'une seule idée pour me faire pardonner et j'espérais qu'elle soit bonne.
Il nous fallut une bonne vingtaine de minutes pour trouver un endroit dégagé. C'était une petite clairière baignée de rayons du soleil matinal. Un gazon vert tendre y croissait, pas plus haut que la première phalange de mon index, comme si quelqu'un venait tous les jours pour le tailler. Un seul endroit en était dépourvu, là où la terre formait une petite bute herbue. Il y avait un arbre plutôt fin comparé à ses compères au milieu de la clairière et un gros rocher sur notre droite. Sur la pierre poussait la fameuse mousse bleue.
Je souris et allai faire un pas dans sa direction quand Loana me retint par l'épaule. Je me tournai vers elle, surpris. Elle scrutait la bute de gazon avec méfiance.
— Attends.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Elle n'eut pas le temps de me répondre. Le monticule s'arracha lentement du sol dans un bruit de racines qui cassent et un animal énorme se déplaça avec paresse sur notre droite.
Il avait un corps de la couleur de la terre et une carapace entièrement recouverte de gazon. Il était plutôt court sur patte, ces dernières ployant sous son poids. Il était dépourvu de queue et possédait un énorme museau qui se terminait par un bec en corne.
Je dégainai mon épée, prêt à nous défendre, mais cela ne fit que révéler notre présence à l'animal. Il beugla, se laissa lourdement retomber sur le sol, rentra ses pattes courtaudes et sa tête dans sa carapace, puis ne bougea plus. Il avait apparemment eu plus peur que nous. L'herbe à l'endroit où il était auparavant couché était tout aplatie.
Je me tournai vers Loana, qui toisait toujours la créature avec morgue.
— Que fait-on ?
Sans le quitter des yeux, elle me prit la bourse que j'avais préparée des mains, s'approcha de la mousse bleue, en fourra une quantité non négligeable dans le sac en cuir et fit lentement marche arrière. L'animal n'avait pas esquissé un mouvement.
Elle colla la bourse sur mon torse et repartit dans la forêt.
— Allons-nous-en.
Je la suivis et la laissai clopiner pendant quelques minutes avant de l'arrêter.
— Assis-toi.
— Quoi ?
Je lui montrai un tapis de mousse et réitérai mon ordre. Elle croisa les bras.
— Et pourquoi ça ?
— Loana, toi et moi savons très bien que tu n'es pas en état de te battre, alors ne me force pas à te faire asseoir moi-même. Je veux juste soigner tes blessures.
— Mes blessures vont très bien, cracha-t-elle d'un air buté. Je n'ai pas besoin de ton aide.
Je décidai de changer de tactique.
— Très bien. Quand ta plaie se sera infectée au point que tu ne sois plus jamais capable de tenir un couteau, il ne faudra pas venir pleurer.
J'allai repartir quand elle tapa du pied. Elle avait l'air d'être énervée, mais mon argument avait fait mouche.
— Attends. Tu crois vraiment que ça peut devenir grave ?
— À ton avis ? Une écharde mal placée peut provoquer une infection, alors je n'ose même pas imaginer ce que les brûlures sur tes mains pourraient déclencher comme catastrophe. Tu pourrais avoir besoin d'une amputation...
Elle rendit les armes en soupirant et s'assit sur le tapis de mousse. Je sortis tout ce dont j'avais besoin de mon sac en toile, en commençant par une gourde d'eau, des bandages propres et la mousse bleue.
Je tendis la main vers elle, mais elle eut un mouvement de recul.
— Je peux le faire toute seule.
Mais quel caractère insupportable !
— Ça t'arrive d'accepter l'aide des autres ? T'es au courant que ce n'est pas dangereux pour la santé ?
— Pour mon amour propre, si.
— Eh, il va falloir que tu l'oublies un peu, celui-là. Ça commence à m'échauffer les oreilles de t'entendre déblatérer sur ton orgueil mal placé.
Elle porta une main à son cœur d'un air moqueur.
— C'est que tu sais parler aux femmes, Lumineux. Je comprends mieux pourquoi ta copine est si folle de toi, maintenant.
— Je ne m'appelle pas « Lumineux », mais Soren,. Et laisse Yola en dehors de tout ça.
— Et si je n'ai pas envie de « laisser Yola en dehors de tout ça », Lumineux ?
— Je t'assomme, je te soigne puis te ramène à ton frère en lui ordonnant de rentrer chez vous pour que je ne voie plus jamais ta face de gorg. Ça te va comme proposition ?
Elle plissa les yeux.
— T'es pas chiche.
Je haussai un sourcil. À cet instant précis, j'étais tellement agacé que me croyais capable de tout, y compris de l'envoyer au pays des merveilles. Elle dut s'en rendre compte parce que ses narines se dilatèrent, ses yeux lancèrent des éclairs, mais elle capitula, consciente qu'elle n'était pas assez en forme pour me se mesurer à moi.
Elle détourna le regard et me tendit sa main droite d'un geste brusque.
Je me retins de sourire avec triomphe. Un partout, balle au centre.