Tandis que nous remontons l'allée menant chez Gemma, je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil inquiets à Nate. A chaque seconde, je crains qu'il ne fasse demi-tour et ne s'enfuit en courant dans la nuit, seulement pour ne pas aller à la fête. Bruce a dû remarquer mon manège, car il m'assène un coup de coude discret dans les côtes, tout en ralentissant l'allure afin de rester à mon niveau.
-Tout va bien se passer, Ivy, souffle-t-il. Il ne lui arrivera rien.
-S'il se passe quoi que ce soit, il m'en voudra à mort, soupiré-je.
-Arrête de faire la grande sœur trop protectrice, d'accord ? Et profite de la soirée !
Nous sommes à peine arrivés devant la porte que celle-ci s'ouvre, laissant apparaître Gemma, tout sourire.
-Bienvenue ! s'exclame-t-elle. Venez !
Il est tôt, et pourtant la demeure est pleine à craquer ; la musique résonne sur les murs de la pièce principale. Les meubles ont été repoussés contre les murs, ne laissant qu'une rangée de canapés afin de s'asseoir, et un buffet au fond, où sont disposés de la nourriture et des boissons.
-Qu'est-ce que vous voulez boire ? hurle mon amie ébène afin de couvrir le bruit.
Elle nous mène vers le buffet, slalomant entre les danseurs et saluant quelques personnes au passage. Combien sommes-nous, ici ? Je n'ai pas le temps de m'interroger plus longtemps que déjà, Gemma me glisse un verre au contenu rouge dans les mains.
-Fais gaffe, lance Bruce à l'intention de mon amie. Il y a un groupe de types dans le fond qui te regardent depuis tout à l'heure. Tu vas faire des ravages !
J'éclate de rire lorsque Gemma détourne le regard, gênée, ce qui me vaut un regard noir de sa part.
-Ce n'est pas trop ce qui m'intéresse, rétorque-t-elle.
-Ah bon ?
J'avale une gorgée de mon verre en suivant leur échange sans un mot.
-Les mecs, en général, sont trop ennuyeux et chiants, lâche-t-elle.
-Donc tu es plus branchée « filles » ? s'enquit le brun.
-Exact. Ne sois pas trop déçu, petit chou, sourit-elle.
Je me mords les lèvres afin de ne pas rire devant l'air dubitatif de Bruce. Il ouvre la bouche afin de répliquer, mais aucun son n'en sort.
-C'est ce qui s'appelle se prendre un beau râteau, commente Nate sarcastiquement.
A en croire son regard malicieux, il se retient lui aussi de rire. Mais dès l'instant où nos regards se croisent, c'est plus fort que nous. Je suis obligée de me tenir le ventre tant j'ai mal à force de rire.
-Vous êtes de vrais gamins, grommelle Bruce avant de s'éloigner.
-Tu tiens le coup, pour le moment ? demandé-je à Nate.
Il hausse les épaules en jetant un regard derrière lui.
-Je crois, oui...
Au même instant, un gars arrive dans son dos et lui assène une tape sur l'épaule. Nate se retourne, alarmé.
-Non mais j'y crois pas ! s'écrie le type. Nate Mackel, à une soirée ! On n'avait pas vu ça depuis longtemps !
Malgré la pénombre de la pièce, je peux voir le visage de Nathan blêmir.
-Viens boire un verre avec nous, mon pote ! poursuit l'autre.
Bien que je ne perçoive aucune animosité dans sa voix, son état ne me semble pas normal, et son sourire goguenard me prouve qu'il n'est pas entièrement sobre. Nate me lance une œillade inquiète alors que l'autre l'attrape par le coude afin de le traîner vers le buffet. Il secoue la tête, impuissant et paniqué, alors que je ne sais quoi faire.
-Laisse-le !
J'ai crié, mais l'autre ne semble pas m'avoir entendu. Il embarque Nate avec lui en riant, alors que le garçon châtain se débat. Ce n'est pas bon signe, absolument pas.
-Nate ! appelé-je encore.
Je tente de les suivre, mais la foule trop oppressante m'en empêche. J'ai beau jouer des coudes entre les corps dansants, ils s'éloignent et rapidement, ils sortent de mon champ de vision. Mon pouls commence à s'accélérer, devenant incontrôlable, alors que j'éprouve plus de difficulté à respirer correctement.
Je n'ai pas peur. Du moins, pas pour moi, mais pour Nate. Il ne va pas réussir à tenir, tout seul parmi ses anciens camarades. Je le sais, au fond de moi.
-Nate ! hurlé-je dans la foule.
Merde. Ma petite taille ne me permet pas de voir où il se trouve à présent, j'ai l'impression d'être noyée dans cette vague de lycéens. Je me retourne, cherche Bruce ou Gemma du regard. N'importe qui. Mais j'ai besoin d'aide. Il faut que l'on retrouve Nate avant qu'il ne se passe quelque chose.
S'il lui arrive quoi que ce soit, il m'en voudra à mort. Les mots que j'ai prononcé à Bruce avant d'entrer ici me reviennent en mémoire. Mon pouls pulse toujours plus fort contre mes tempes, tandis que je scrute désespérément les alentours.
Mais ni Bruce ni Gemma ne semblent être ici.
-Respire, Ivy, murmuré-je à moi-même. Tout va bien. Tu n'as qu'à rejoindre Nate, et tout ira bien.
Je tente à nouveau de me frayer un passage dans la foule pressante, sans savoir de quel côté de la salle je me dirige. Il y a nettement plus de monde que tout à l'heure, ici, et cela me fait paniquer un peu plus. J'ai beau avoir été à plusieurs soirées, surtout cet été, je n'ai jamais vu autant de monde rassemblé dans un si petit endroit. Et ça ne me plaît pas du tout.
Je suis à bout de souffle. La musique, trop forte, ainsi que l'odeur dérangeante qui flotte dans l'air, les cris de joie des autres, la foule, forment un cocktail qui ne me réussit pas. Je n'ai plus qu'une seule envie : m'enfuir à l'extérieur, dans un endroit calme, afin de reprendre mes esprits.
« Peut-être n'aimes-tu pas autant les fêtes que cela, tout compte fait... » susurre ma conscience.
Je la fais taire et inspire longuement, les yeux fermés.
Il faut que je retrouve Nate. C'est le plus important.
Je recommence à marcher sur la pointe des pieds, jusqu'à apercevoir le buffet. Le type qui a enlevé Nate y est toujours accoudé, et je crois reconnaître la tignasse châtain de mon ami. Je pousse un soupir de soulagement avant de me précipiter vers eux.
Pitié, faites qu'il ne lui soit rien arrivé...
Je suis presque arrivée à leur niveau lorsqu'une silhouette me barre le chemin. Je fais mine de dévier sur la gauche, le regard toujours rivé sur le buffet où se trouve mon ami, mais la personne face à moi me force à m'arrêter.
Je relève le visage.
Et ne peux retenir un mouvement de recul face à Miss Cheveux Verts. Le sourire arrogant affiché sur son visage me laisse deviner qu'elle jubile de me voir ici, à sa merci. Seule.
-McBlair, dit-elle fortement. Ça faisait longtemps...
-Pas assez à mon goût, rétorqué-je. Si tu veux bien m'excuser...
Je me dérobe, et cette fois-ci, elle agrippe mon bras.
-Lâche-moi, craché-je.
-Donne-moi ton fric de sale gosse de riche d'abord.
Je suppose qu'en temps normal, j'aurais eu peur, comme le jour où elle m'a abordée dans le couloir du lycée. Mais à cet instant, toute trace de frayeur s'est envolée. Je ne suis pas quelqu'un qui a peur facilement, il faut qu'elle le sache. Et je ne vais pas me laisser impressionner par elle. Si je peux résister à mes parents, alors je peux résister à n'importe qui.
Je ne suis pas faible. Plus maintenant.
-Tu t'es vraiment crue dans un film américain où la garce cheerleader du lycée fait du chantage à tout le monde ? me moqué-je en haussant un sourcil. Réveille-toi, ma grande. Tu ne fais peur à personne, ici. Tu n'es personne, comprends-le. Tes airs de dure à cuire ne sont rien, alors dégage de mon chemin.
Elle ouvre la bouche, surprise, et j'en profite pour la contourner. Je parviens finalement au bar.
Mais Nate ne s'y trouve plus.
-Fait chier ! m'exclamé-je en regardant autour de moi.
Je déteste cette soirée, encore plus que la fois où je suis allée au bar avec Bruce, lorsqu'il était ivre. Moi qui pensais me détendre et passer une bonne soirée...
Je passe une main dans mes cheveux afin de les recoiffer. Désespérée est le mot qui me convient le mieux, à présent. J'ai envie de hurler à m'en briser la voix, tant je suis énervée. S'il arrive quoique ce soit à Nate, je ne me le pardonnerai pas. Il me fait confiance, et c'est moi qui l'ai persuadé de venir ici.
Je ne peux pas le laisser tomber.
Je compose son numéro, dans l'espoir – vain – qu'il réponde.
-Vous êtes bien sur la messagerie de Nathan Mackel. Ne laissez pas de message, je ne le lirai pas.
-Putain !
Il faut que je sorte, que je respire un peu d'air frais, au risque d'imploser. Gemma et Bruce n'ont toujours pas réapparu, depuis tout à l'heure. Je suis toute seule. Et je déteste cette fête.
Je dois avoir fait au moins trois fois le tour de la fête lorsque j'aperçois la tignasse châtain de Nate. C'est presque inespéré. Je lève le bras en hurlant son nom jusqu'à ce qu'il me voie également. Il est à nouveau seul lorsque j'arrive avec difficulté à son niveau, soulagée.
-Ivy !
Ses traits se détendent et il me serre dans ses bras en soupirant.
-Ça fait une heure que je te cherche, souffle-t-il. J'ai cru que j'allais mourir. J'ai oublié mon téléphone dans la voiture, alors je ne pouvais même pas te joindre.
-C'était si horrible que ça ? réponds-je en souriant.
Il me relâche finalement après quelques secondes.
-Tu n'as pas idée, dit-il en fronçant les sourcils. Je hais la foule, et je hais les gens qu'il y a ici.
-Tu veux partir ?
Je fais quelques pas sur la gauche afin d'esquiver un couple un peu trop ivre qui peine à marcher droit.
-Non, pas pour l'instant. J'ai juste...
Il s'interrompt, son regard glisse dans mon dos, remonte vers quelqu'un, alors que son visage blanchit de plus en plus.
-Alors comme ça, McBlair, on cherche des noises à ma copine ?
C'est seulement la troisième fois que j'entends sa voix, la seconde fois qu'il s'adresse directement à moi, et pourtant je reconnais l'intonation moqueuse et sournoise de Vilhem. Agacée, je me tourne vers lui, les dents serrées. Mes yeux dérivent sur la fille aux cheveux verts à ses côtés. Elle me toise de haut, un rictus satisfait affiché sur la figure.
-Foutez-lui la paix, grogne Nate dans mon dos.
Les iris pétillants de Vilhem cessent de me dévisager et se rivent sur Nathan. Malgré les bruits de la fête qui se déroule autour de nous, le silence ente nous quatre est pesant. Ma mâchoire se contracte, alors que je me demande ce qui va se passer ensuite. Miss Cheveux Verts se cachent, silencieuse, derrière la carrure imposante de son prétendu copain. « Minable », ne puis-je m'empêcher de penser mesquinement.
-Ah tiens, salut, Nate, grince le garçon. Tes remarques sont toujours aussi inutiles, à ce que je vois. Qu'est-ce que tu vas faire, si je ne lui fous pas la paix ? Me frapper, comme la dernière fois ?
Je jette un coup d'œil à Nate. Ses muscles sont tendus, comme ceux d'un animal près à attaquer. Et ce n'est pas bon signe.
-Peut-être, répond le châtain d'une voix rauque.
Le sourire de Vilhem s'agrandit dangereusement tandis qu'il écarte les mains en tournant sur lui-même, fier.
-Vas-y, dans ce cas !
Je ferme les yeux par réflexe. A côté de moi, je sens que Nate est à deux doigts de perdre le contrôle. Comme ce jour-là, où Vilhem l'a provoqué. Et c'est exactement ce qu'il cherche. Il veut lui faire péter les plombs devant tout le monde.
Un frisson de dégoût et d'angoisse me parcourt le dos.
-Ne fais pas ça, murmuré-je.
-Ne la laisse pas te commander, réplique Vilhem. C'est à toi de décider ce que tu veux faire, après tout. Ne sois pas une mauviette, Nate. Quoique, attends... Tu l'es déjà, en réalité.
Ce n'est que lorsqu'il éclate d'un rire trop fort que je me rends-compte qu'il est ivre. Et ses yeux injectés de sang prouvent qu'il a dû consommer des substances illicites il y a peu de temps. Mon sang se glace dans mes veines, et j'ai un mouvement de recul.
-Ne l'écoute pas, Nathan, soufflé-je en insistant sur son prénom.
-Tu ne vas pas refuser de te battre, si ?
Il faut qu'il arrête de le provoquer, maintenant. Le souffle de Nate se fait plus fort et plus court. Sur son visage concentré et tendu, d'où ressort une veine, je peux voir tout l'effort qu'il fait afin de se contenir et ne pas se ruer sur Vilhem.
On doit partir, et tout de suite. Il faut qu'il prenne l'air. Face à nous, Vilhem jubile, s'esclaffant encore et toujours, accompagné de sa soi-disant copine. Une nouvelle chanson, plus entraînante que la précédente, commence, et autour de nous, les gens commencent à se déchaîner un peu plus. Je profite de ce mouvement de foule pour tirer Nate par la manche, cherchant une sortie au plus vite.
L'air glacial de la nuit d'octobre me frappe de plein fouet lorsque j'ouvre la porte d'entrée. Ignorant si quiconque nous a suivis, je pousse Nate à l'extérieur et le force à s'asseoir sur le muret qui contourne la maison.
La musique se fait moins entendre, et l'endroit est désert, ce qui suffit à calmer légèrement mon ami. Il prend sa tête entre ses mains, les coudes posés sur ses genoux qui tressautent.
Il est inutile de dire que cette fête est un désastre total.
-Ça va mieux ? me risqué-je à demander.
Il reste un instant silencieux, le regard rivé sur le sol. Après quelques secondes, je prends le risque de m'installer à côté de lui, attendant sa réponse. Ses traits sont toujours tirés, et il souffle bruyamment, comme pour évacuer sa rage.
-Je hais ce type, lâche-t-il soudainement.
Je sursaute presque lorsqu'il prend la parole.
-Je sais.
-Pourquoi est-ce qu'il fait ça, hein ? Pourquoi s'obstine-t-il à me pousser à bout ?
Je hausse les épaules, le regard rivé sur les ombres que revoit la lumière du salon.
-Tu lui as fait quelque chose de mal ? tenté-je avec une grimace.
J'ai conscience que ma question est risquée, puisqu'elle peut avoir un impact sur son passé, mais il faut que je comprenne. Que je sache pourquoi Vilhem s'en prend à lui de cette manière. Nate secoue les épaules en soupirant longuement, comme s'il cherchait ses mots.
-Je l'ai laissé tomber, comme tout le monde autour de moi. Du jour au lendemain, sans leur dire pourquoi, je suis parti. Je leur ai tourné le dos, j'ai tout arrêté. Vilhem était mon meilleur ami depuis longtemps, alors je suppose qu'il l'a mal pris. Il a toujours été du côté des plus forts, des plus populaires du lycée. Le fait que je refuse d'un seul coup de lui parler a dû lui faire mal. Et lorsqu'il a mal, il contre-attaque. Il m'en veut, mais je ne comprends pas pourquoi est-ce qu'il cherche à me faire du mal à ce point.
-Et tu... Tu ne peux pas juste lui dire pourquoi tu es parti ? Peut-être que ça pourrait arranger les choses, s'il savait pourquoi tu as fait ça.
Il a un rire nerveux, faisant sortir la buée de sa bouche, tandis qu'il agite doucement la tête.
-A ton avis, Ivy, pourquoi est-ce que je suis parti ?
-Je n'en sais rien, justement, puisque tu ne me dis rien ! risqué-je en lui jetant un coup d'œil.
Il tourne la tête vers moi, les yeux brillants. Alors que je m'attends à ce qu'il m'envoie balader, un rictus anime son visage pâle.
-Bien essayé, lance-t-il. Mais non, je ne te dirai rien, tu le sais très bien.
-Pourtant, c'est pour cette raison que tu as tout quitté, n'est-ce pas ? reprends-je doucement.
-Oui.
-Tu sais qu'un jour, tu devras m'expliquer ce qui se passe, Nate.
Il rit légèrement.
-Commençons par toi, d'abord.
Je perds instantanément mon sourire.
*****
Hey ! Excusez-moi pour ce léger retard, j'ai eu quelques problèmes à écrire ce chapitre. Mais le voilà, alors j'espère qu'ils vous a plu !
Des idées sur les secrets de Nate et Ivy ?