[Eldarya] Le Secret des Moraï

By ZakariasKedaltekh

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Lancez vous dans l'exploration des Terres d'Eldarya, vivez une aventure épique, rencontrez de merveilleux per... More

Souvenirs, souvenirs...
Prologue - La Fête du Cristal
Chapitre 1 - Un cœur qui bat
Chapitre 2 - J'y réfléchirai
Chapitre 3 - Origines
Chapitre 4 - La Source de notre magie
Chapitre 5 - Une Perturbation dans le Maana
Chapitre 6 - Une Visite Impromptue
Chapitre 7 - Perte de contrôle
Chapitre 8 - La Filature
Chapitre 9 - Embuscade
Chapitre 10 - De l'Autre Coté du Masque
Chapitre 11 - Un Repère dans les Ténèbres
Chapitre 12 - La Mission
Chapitre 13 - Le Voile de la Réalité
Chapitre 14 - Ce qu'ils cachent sous Terre
Chapitre 15 - Le Complot
Chapitre 16 - Une Chute Dramatique
Chapitre 17 - Un petit Biscuit ?
Chapitre 18 - Pendant ce temps là...
Chapitre 19 - La Goutte de Trop
Chapitre 20 - Des Milliers de Papillons
Chapitre 21 - Quand les Rochers se Mettent à Courir
Chapitre 22 - Un Nouvel Ami
Chapitre 23 - La Meute aux Trousses
Chapitre 24 - Le Combat dans les Ruines
Chapitre 25 - Le Journal de Bord
Chapitre 26 - Parce qu'il faut bien mourir un jour
Chapitre 27 - La Fonte des Glaces
Chapitre 28 - La Seule Condition
Chapitre 29 - Le Chant des Dryades et le Dé à Coudre
Chapitre 30 : Rencontre Sylvestre
Chapitre 31 - Le Glas des Sylphes
Bonus du chp 31 - par Analah
Annonce et questions
Chapitre 32 - Demain dès l'Aube...
Bonus du chp 32 - par Analah
Chapitre 33 - Les Clapotis du Lac d'Argent
L'interview à Triple Voix
Chapitre 34 - Que les Étoiles m'en soient Témoins
Chapitre 35 - La Perfection Incarnée
Chapitre 36 : Le Commencement
Chapitre 37 : Des Cris dans la Nuit
Chapitre 39 - L'Impact
Chapitre 40 - La Tanière des Ombres
Chapitre 41 - Le Plan
Chapitre 42 - Puis-je t'embrasser ?
Chapitre 43 - Le Secret des Moraï
Chapitre 44 - Le Coût de la Victoire
Épilogue - Ici ou dans une autre vie
Foire aux Questions
Vos Fanarts du Secret des Moraï

Chapitre 38 - Cernunnos ou le Bon Augure

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By ZakariasKedaltekh

Cette nuit, j'ai dormi comme un bébé. J'ai bien entendu les garçons se relayer pour la patrouille, mais j'étais bien trop dans les choux pour ne serait-ce que soulever une paupière. Je savais bien que les Égarées ne reviendraient pas. Mais je pouvais pas leur avouer pourquoi j'en étais persuadée.

C'est la voix d'Ezarel qui me réveille. Il s'approche de moi et me caresse la joue. Ce geste m'étonne tellement que j'ouvre brusquement les yeux. C'est comme ça que je le surprends la main dans le sac. Il est accroupi juste devant moi, ses yeux malicieux rehaussés par son sourire d'enfant.

-Qu'est-ce que...

-Chuuuut, m'intime-t-il doucement. Ne dis pas un mot, laisse-moi faire.

Je ne bouge donc pas, obéissant docilement et ne comprenant pas le moins du monde à quoi il fait allusion. Son doigt fin continu s'effleurer ma joue et l'Elfe semble y prendre certain plaisir. Qu'est-ce qui lui prend ? Elkihal l'a drogué ou quoi ?

-Allez, petite coquine, viens faire un câlin à Ezarel, ordonne-t-il d'un air joyeux.

Définitivement, il va falloir que je touche deux mots à Elkihal. Je ne sais pas ce qu'il lui a fait prendre, mais il n'est pas dans son état normal ! Le sourire de l'Elfe s'élargit de plus belle lorsqu'il soulève son doigt de ma joue brûlante et qu'il le lève entre nos yeux. Sur ses phalanges, court une toute petite coccinelle verte à pois bordeaux. Je comprends alors tout à coup. Ezarel n'est pas drogué, il est simplement émerveillé comme le grand gamin qu'il est devant une de ses petites bêtes.

-Elle est mignonne, souris-je, légèrement gênée par mes rougeurs, même si je suis persuadée que l'Elfe est bien trop occupé à admirer sa nouvelle chérie pour s'en rendre compte.

-N'est-ce pas ? C'est une Venenus Coccinellidae, aussi belle que redoutable.

-Redoutable ? Ezarel, c'est une coccinelle, fis-je en me redressant.

C'est encore une de ses blagues dans les quelles je tombe à tous les coups ? Cette fois-ci, il ne m'aura pas.

-C'est vrai, je t'assure. Tu pourras demander à Valkyon, il en élève pour sa Musarose. Leur venin est mortel.

Je me fige tout d'un coup. Il a bien dit mortel ? Il déconne, là ? Je suis soudainement prise d'un frisson de révulsion quand je réalise le danger auquel il m'a laissée exposée. Pourquoi ne l'a-t-il pas retiré tout de suite de ma joue au lieu de jouer avec et pourquoi il est encore là à la faire gravir ses doigts les uns après les autres, avant de retourner sa main pour offrir une nouvelle série d'épreuves à l'animal ?

-Ne t'inquiète pas, une seule piqûre ne ferait pas bien mal et puis tant qu'elle ne se sent pas menacée, il n'y a rien à craindre, répond-il à mon silence scandalisé.

Puis sans dire un mot de plus, il lève la main au dessus de nos têtes et donne une petite impulsion du doigt, aidant la coccinelle à prendre son envol. Je la suis du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse derrière les feuillages, non pas que je redoute qu'elle fasse demi-tour pour me piquer -quoique- mais parce que malgré sa dangerosité, je ne peux qu'admirer la beauté de cette petite bête à bon dieu.

Je rejoins les garçons près du feu de camp pour déjeuner. Ezarel me tend le pot de miel avec une sorte de brioche confectionnée par les Sylphes. C'est presque le grand luxe ! Il manquerait plus que le jus d'orange et ce serait parfait. Hum, à y repenser, je préfère ne plus entendre parler de jus de fruit. J'ai eu ma dose, je crois, avec les Pixies. Je mange donc en silence tandis que les garçons déblatèrent sur le chemin à suivre. Loin de désapprouver les choix d'Elkihal, Ezarel tente de les comprendre. Il cherche à saisir sa logique pour s'assurer que les choix qu'il a pris sont les plus judicieux. Force lui est de constater qu'Elkihal connait ces terres. Même si les Sylphes ne sortent qu'exceptionnellement de leur Arbre du Maana et moins encore de l'Archipel, il n'empêche qu'il connait cette partie d'Eel bien mieux que nous.

Il est donc décidé que nous longerons la plaine de Foehn pour nous engouffrer dans la forêt aux pieds des montagnes. Je pense que notre avancée sera plus rapide une fois descendus des îles. Un terrain plat et la terre ferme : rien de tel pour progresser à grandes enjambées. Il ne nous faut que quelques instants pour réunir nos maigres affaires et lever le camp, quand Elkihal en donne le signal.

Lorsque nous nous laissons choir du pont de lianes, dernier lien entre les îles d'Akènes et le sol, je me surprends à emmêler mes doigts dans l'herbe verte. Elle est encore toute détrempée par la rosée du matin. Les perles cristallines glissent sur les brins comme des milliers de larmes de joie silencieuses. L'odeur de l'herbe envahit mes narines et j'en profite pour humer leur embrun si particulier en gonflant mes poumons à bloc. La journée s'annonce particulièrement belle, mais nous n'aurons pas le temps de profiter du soleil. Nous devons impérativement nous dépêcher de gagner du terrain pendant que la fraîcheur du matin nous le permet. Quand le soleil sera bien haut, la chaleur sera si écrasante que nous ne pourrons pas maintenir le même rythme. Je le sens rien qu'aux odeurs, aux vents qui soufflent sur moi et le flux de Maana qui me traverse. L'été est là, aussi ardent qu'un brasier et aussi sec qu'un désert. L'altitude de l'archipel nous a élevés au dessus de la chaleur qui règne au niveau du sol, mais il n'est pas possible de nous offrir le luxe d'attendre que l'été passe.

Kairos frôle mon coté lorsqu'il passe à ma hauteur. Il vient frotter sa grosse tête couleur des blés contre moi. Il est absolument magnifique avec cette teinte ! C'est perturbant de voir comme les saisons ont une influence sur lui, mais même blanc à rayures noires, je le reconnaitrais entre mille. Ses prunelles mauves brillent d'intelligence et bienveillance. Elles sont comme un voile de velours sur mon âme. Je lui souris de tout mon être avant de le grattouiller derrière les oreilles. Je sais qu'il adore ça. Ses babines se retroussent en un rictus lorsqu'il s'ébroue de plaisir. Le Volpionix bondit devant moi pour me signifier qu'il serait peut-être temps de suivre Elkihal et s'élance à la poursuite des garçons. Même Malachite est devant. Il a l'air de discuter calmement avec Ezarel. Ça m'étonne. J'espère qu'ils ne sont pas en train de se menacer de mort dans mon dos, ces deux-là !

J'esquisse un pas dans leur direction quand un murmure me parvient dans le vent. C'est à peine perceptible. A vrai dire, c'est plus l'écho d'une voix qu'un véritable murmure. Un frisson me parcourt toute entière et me paralyse sur place. J'ai l'impression que c'est une volonté, le sens d'une pensée à l'état pur qui m'a percuté plutôt qu'une simple interpellation. Intimidée par ce qui pourrait m'avoir abordé de la sorte, j'ose à peine me retourner. Mon corps m'obéit par saccades, si bien que j'ai l'impression de me faxer en faisant face aux immenses plaines de Foehn.

Et puis je le vois. Mes yeux croisent les siens. Mon Maana se mêle au sien. Mon âme rencontre la sienne.

Cernunnos.

Son nom m'apparaît comme une évidence. Comme si je l'avais toujours su, comme si je l'avais toujours connu. Je le vois pour la première fois et j'ai pourtant l'indicible sensation que je suis liée à lui. Comme si je l'attendais depuis toujours.

Non. C'est lui qui m'attendait. Je le sens. Je le sais.

Devant moi se tient l'être le plus pur qui soit. Un être entièrement fait de Maana matérialisé. Je ne décèle aucun point noir dans son paysage, rien qu'une infinie blancheur.

Un Cerf. Un Cerf à la magnificence inégalée et à la stature impressionnante. Il reste à plus d'une quinzaine de mètres de moi et j'ai pourtant l'impression que je pourrais l'effleurer rien qu'en tendant le bras. De profil, il a relevé sa tête majestueuse dans ma direction et rumine d'un air innocent. Son pelage accroche les rayons de l'astre du matin si bien qu'une auréole de lumière se forme autour de lui. Sur sa tête, se dressent fièrement des bois. Mais attention, on ne parle pas des bois qu'arborent les Pimpel. Oh non ! De véritables branches d'arbre ont poussé sur son crâne. Ainsi donc, entre ses grandes oreilles mobiles, des rameaux, aubes de vie, s'élèvent éparses vers le ciel.

Mon regard s'attarde quelques instants, complètement ébahie que je suis, sur les oiseaux et autres petits rongeurs qui ont trouvé refuge dans cette arche altruiste. Est-ce cette fameuse créature dont m'a parlé Ezarel, ce soir-là, près du feu ? L'esprit de la plaine de Foehn qui s'adresse aux peuples sans utiliser la parole ?

Un nuage laiteux flotte dans les airs depuis les naseaux de l'animal. Ses grands yeux noirs scintillent en me dévisageant. C'est étrange, je n'ai pas l'impression d'être face à un animal ou même un familier. Même Kairos, aussi noble soit-il, a quand même cette part de bestialité qui fait qu'il est de l'ordre des familiers. Cernunnos, lui, est autre chose. Plus qu'un homme, plus qu'un Faerie. Je crois qu'il est une simple entité. Je ne ressens que la masse de son Maana, instable et volatile. Fait-il partie de l'essence de notre monde ? En est-il une des nombreuses manifestations ? Pourquoi se présenter à moi ? Pourquoi maintenant ?

Un souffle tiède vers mon oreille gauche me tire de ma contemplation, mais pour rien au monde je ne détournerai mon regard de la créature, de peur qu'elle n'en profite pour s'enfuir. Je n'ai pas besoin de le regarder pour savoir qui se tient derrière moi. Il a du être interpellé par mon absence et se retrouve, comme moi, interdit devant tel spectacle.

-Est-ce un bon présage ? osé-je demander.

-A n'en pas douter, me confirme Ezarel, le sourire dans la voix.

Après une longue hésitation, je me contorsionne pour distinguer l'expression de son visage lorsque je le questionne :

-Mais pour qui ?

Il reste un instant à observer la créature alors que je décortique les traits fins et nobles de son front, de ses yeux, l'arrête de son nez, sa mâchoire, ses lèvres. Je me surprends à avoir les joues chaudes quand l'Elfe abaissent ses paupières vers moi et qu'un frêle sourire plisse ses joues.

-Pour Nous. Toi et moi.

J'écarquille de grands yeux ronds quand j'inhale à nouveau, ne sachant que répondre. Dois-je comprendre un sens caché à son affirmation ?

-E-Et les autres ? m'enquis-je, pensant bien plus à ma nouvelle famille, qu'à moi-même.

-Bien sûr. Ce qui est bon pour toi l'est forcément pour nous.

Rassurée par ses paroles, je lui rends son sourire et viens apposer ma tête contre sa mâchoire tandis que je reporte mon attention sur le cerf majestueux. Il est là, à mastiquer les brins de la grande plaine comme si tout était normal. Comme si le croiser était une simple banalité et n'avait absolument rien de solennel. Comme s'il avait parcouru toutes les plaines juste pour me voir et que c'était juste... normal. Est-il comme l'Oracle ? A-t-il un lien avec l'Irisée ? Connaissait-il mon existence depuis longtemps ? Je sais qu'il est venu pour moi. Je le sens au plus profond de ma chair. Dans ce cas, ce qu'il peut voir de moi répond-il à ses attentes ? Est-il déçu ? Ou se sent-il confiant quant à l'avenir ?

Qu'une telle créature empreinte d'énergie magique puisse m'accorder sa présence, son fameux "bon augure" est déjà grandiose. Je ne peux détourner mes yeux de sa magnificence. Je n'ai pas la force de lutter contre l'attraction de sa prestance. Il est un monde et un peuple à lui tout seul. Il est une entité mystique, presque une déité. Que suis-je, moi, à coté, si ce n'est la simple Élue ? La marionnette dévouée à une cause qu'elle ne connaissait pas il y a quelques mois. Pourtant, le simple fait de l'observer, de plonger mes yeux dans les siens me conforte dans l'idée que je fais les bons choix. Je suis sur le bon chemin, je le sens. Je le sais.

Cernunnos cesse de ruminer soudainement et laisse retomber ses longues oreilles avant de fermer les paupières. Sa tête s'incline de façon si subtile que ce sont les oiseaux dans ses bois qui m'indiquent ce léger mouvement, lorsqu'ils s'agrippent pour ne pas tomber. Puis la créature ouvre les yeux tandis qu'elle fait quelques pas pour s'éloigner de nous. Avant de totalement nous tourner le dos, je discerne une dernière fois l'éclat éveillé de la déité dans son dernier regard avant de disparaître dans un courant d'air gorgé de Maana.

Ezarel et moi restons un instant sans bouger, à regarder la plaine s'illuminer sous les rayons du soleil.

-Est-ce que c'était un rêve ? soufflé-je.

-Je ne crois pas. Ou alors, tu ronfles si fort que tu as réussi à m'en faire prisonnier ! rit l'Elfe.

Sans me retourner, je lui flanque un coup de coude dans les côtes. Il le mérite ! Insinuer que je ronfle. Et puis quoi encore ? Malgré cela, je ne peux m'empêcher de sourire. Soudain, et à mon grand désarroi, Ezarel s'éloigne d'un pas et brise cette proximité entre nous.

-Il va falloir que tu perdes cette vilaine habitude ! me sermonne-t-il, les sourcils froncés.

-De quoi tu parles ? m'inquiété-je tout d'un coup.

Est-ce qu'il s'est rendu compte que j'aurais aimé rester contre lui un peu plus longtemps ? Je pensais qu'il s'était adouci, pourquoi faut-il qu'il se refroidisse toujours plus après ?

-Et bien, tu sais ! Le fait que tous s'inclinent devant toi, n'en prend pas l'habitude.

-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tout le monde ne s'incline pas devant moi !

-Les Sylphes, les Harpies, Cernunnos... je continue ? Amis ou ennemis s'inclinent et reconnaissent ce je-ne-sais-quoi en toi. Ils te prennent pour quoi ? Une reine ? Une déesse ?

-Juste l'Élue ? raillé-je. Pourquoi ? Tu es jaloux ?

-Non... renchérit-il, l'air quelque peu blasé. Mais mets-toi bien en tête, que moi, je ne m'inclinerai pas. Mon auguste personne elfique ne s'incline devant rien ni personne !

Il me fait rire. Ça fait du bien de pouvoir discuter un peu avec lui. Je veux dire, juste lui et moi. Même si nous parlons de banalités, de choses futiles, le fait d'avoir un échange avec lui m'est très agréable.

-D'accord, si son Auguste Personne me le dit, alors... ris-je en le saluant moi-même exagérément.

Il me jette un regard comme s'il me félicitait d'un "bonne petite" et tourne les talons vers les autres qui nous attendent plus loin. Je reste quelques secondes à l'admirer de dos. Ses cheveux attachés haut en queue de cheval me laissent voir sa nuque fine et musclée, l'ébauche de sa mâchoire et ses joues sur lesquelles je devine un grand sourire victorieux. Je me mords la lèvre inférieure en réalisant ce que je m'apprête à faire. Il va encore râler, mais je m'en fiche pas mal !

Je cours alors pour le rejoindre, ne pouvant que difficilement contenir mon rire. Je l'agrippe par le bras et le force à se pencher vers moi. J'ai à peine le temps de discerner son regard interloqué quand je dépose un baiser sur sa pommette. Aussitôt et pour ne pas lui laisser le temps de me fâcher, je le libère de mon emprise et m'enfuis rapidement vers mes amis. J'ai l'impression d'être une collégienne en train de glousser, mais c'est plus fort que moi.

J'aime son contact. J'aime sentir la douceur de sa peau sous mes doigts, l'odeur de ses cheveux quand le vent les traverse. J'aime la façon qu'il a de me regarder et encore plus celle qu'il a d'essayer de m'éviter. Je suis une menace pour sa promesse. Sa promesse de se refuser l'Amour à tout jamais. Et j'en suis heureuse, d'être capable de la mettre en péril. Je veux la lui faire briser, cette promesse. Je veux qu'il puisse à nouveau ouvrir son cœur et qu'il puisse ressentir tout le bien qui en résulte. J'aime cet Elfe. C'est fou comme je l'aime !

Étrangement, Ezarel n'a pas pipé depuis que nous avons rejoins nos camarades. Enfin si, nous avons raconté notre rencontre avec Cernunnos, mais l'Elfe ne m'a pas directement adressé la parole. Il n'a même pas essayé de me sermonner par rapport à mon geste. J'ose espérer qu'il capitule devant ma ténacité. Je peux toujours me bercer d'illusions, ça ne me tuera pas, que je sache !

Nous marchons à un rythme soutenu toute la journée. Le terrain plat nous permet de vraiment gagner du terrain. Nous traversons ce petit land de plaine en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Entre Ezarel qui chevauche Kairos, Malachite qui me flanque encore des bleus aux fesses et Elkihal qui... Bon sang, ce Sylphe ! Il court, avec nous, aussi vite que Kairos, le plus naturellement du monde. A croire que ce qui est extraordinaire pour moi est tout à fait normal pour lui. Bientôt, il va me montrer qu'il peut marcher sur l'eau, aussi ?

Bon, j'admets pour sa défense d'homme trop parfait qu'il a quand même l'air de s'essouffler bien plus vite que le Volpionix, mais quand même ! Dans cette course folle contre la montre, j'en oublie presque le temps qui s'écoule. C'est ainsi que nous atteignons l'orée de la forêt des Toucheciels lorsque le soleil décline vers l'horizon.

Ces fameux arbres n'ont pas volé leur nom ! Ils sont tout simplement immenses. J'ai l'impression d'avoir été rapetissée en regardant en haut. Je dois avoir la taille d'une souris au milieu d'une forêt de sequoias. Le silence est retombé. Le vent de la plaine ne siffle plus à nos oreilles. Les oiseaux sûrement perchés dans les feuillages en haut, sont bien trop loin pour qu'on puisse entendre leurs pépiements. Les troncs épais des arbres ont un aspect rugueux et donnent vraiment un coté imposant à cet endroit. L'endroit est clair et dégagé pour une forêt. Il n'y a aucun autre type d'arbre, pas de buisson, ni même de végétation hasardeuse. Seulement un tapis d'herbe verte et ces arbres gigantesques. Comme si la nature elle-même entretenait ce lieu pour qu'il reste sauvagement dégagé. Étrange sensation. Je ne sais pas si je dois m'émerveiller ou redouter cette forêt. Le fait est qu'elle force le respect, avec cette grandeur à m'en faire frémir. Le ciel me parait tellement loin tout d'un coup.

Je contemple encore le paysage quand Elkihal propose une halte et je ne suis pas cruelle au point de la lui refuser. Le pauvre, il tente de le dissimuler, mais je vois qu'il est épuisé. Je me retrouve un peu en lui. A vouloir cacher ses petites faiblesses pour ne pas retarder les autres. Si j'avais parlé des cris que j'ai entendu hier soir, on aurait pu se préparer à la venue des Harpies, ou mieux, lever le camp avant qu'elles n'arrivent... Je le comprends. Je veux dire, je conçois parfaitement qu'il se mette au second plan pour une cause plus grande et qu'il garde ses difficultés pour lui. J'ai tendance à faire pareil. Je prends sur moi, tant que je ne suis pas la priorité.

C'est pour ces raisons que je lui arrache les brindilles de bois des mains. Un peu plus violemment que je ne le voulais.

-Ce soir, je m'occupe de tout, lui souris-je.

Je ne veux pas qu'il comprenne que je vois clair dans son jeu. Je veux qu'il saisisse qu'il peut se reposer sans qu'il se sente rabaissé si je le lui demande. Pour le coup, je suis pas sûre que le message soit bien passé puisqu'il me regarde plus d'un air choqué et interloqué qu'autre chose. Je me dépêche d'ajouter, avant qu'il ne me perce à jour :

-Hier soir, tu as fait le repas. A mon tour. Et pour te remercier de m'avoir éviter une humiliation aussi, finis-je les joues empourprées en repensant à notre barbecue de légumes crus.

Bingo ! Il sourit. En coin et moqueur, mais il sourit tout de même. J'installe donc notre bivouac pour la nuit avec l'aide d'Ezarel, tandis que Malachite guette les environs.

-Où est Kairos ? m'enquis-je en remarquant l'absence du renard.

-Il survole le périmètre pour s'assurer qu'aucune embuscade ne nous soit tendue, m'explique l'Elfe.

-Tu crains qu'on nous attaque ? Tu crois qu'on est attendus ? Tu penses que le Monarque nous tend un piège ? Tu doutes d'Elk...

-Waïtikka ! tonne Ezarel pour me forcer au silence. Non, je ne crains, je ne crois et je ne pense rien. Je prends juste des précautions. Je n'ai pas envie de me réveiller en pleine nuit une lame sous la gorge.

Je grommelle un quelque chose incompréhensible en guise de réponse. Ezarel m'a ancré l'image de cette scène horrible dans la tête. Si quelqu'un, un bandit, une Harpie, un Berserker ou le Monarque en personne, vient à notre camp pendant qu'on dort, je ne donne pas cher de notre peau. Un frisson me parcourt en repensant à cette petite coccinelle posée sur ma joue, ce matin. Ce n'était rien. Rien de plus qu'une coccinelle au venin mortel et sans nulle doute très douloureux ! Mais et si ça avait été une créature maléfique envoyée par l'armée du Monarque ? Elle aurait pu me piquer et voila, le tour était joué. Plus d'Élue, plus d'ouverture de la Source. Plus de sauvetage du monde. Super coccinelle : un point ; Waïtikka : zero !

-Je peux dormir près de toi, cette nuit ?

Je plaque les mains sur ma bouche aussitôt que je réalise que j'ai parlé à haute voix. Pourvu qu'il n'ait pas entendu ! Ezarel interrompt ce qu'il faisait pour me faire face, la mine étonnée. Je suppose qu'il ne s'attendait pas à une demande aussi directe.

-Pardon, tenté-je. C'est pas ce que je voulais dire. C'est juste que je me sentirais plus en sécurité si j'étais pas trop loin de toi. Je veux pas me faire égorger en dormant.

Les traits de mon Elfe se radoucissent. Ses sourcils tombent tels une poutre qui viendrait barrer son visage blasé et ses lèvres s'étirent en un rictus faussement vexé.

-Donc tu préfères me sacrifier le temps de te sauver, c'est ça ? Je savais qu'on pouvait pas te faire confiance. Les humains sont vils et opportunistes, tu ne déroges pas à la règle. Tu as été élevée chez eux, après tout.

Mais qu... pourquoi il dit ça ? Il a complètement déformé mes propos ! Ce n'est absolument pas ce que je voulais dire. Il va croire que j'en ai rien à faire de lui. Il pense que je préfèrerais qu'il prenne les coups à ma place ?

-Toujours aussi crédule, hein ? ricane-t-il, un grand sourire satisfait éclairant son visage. Une fois rentrés, je te promets un stage pour comprendre le sarcasme et t'en faire une arme redoutable.

-Tu te fiches de moi ? lâché-je, ne sachant plus sur quel pied danser avec lui.

-Oui et ouvertement, en plus ! appuit-il en resserrant fortement le nœud d'un hamac, maintenant suspendu entre les racines immenses des Toucheciels qui ondulent sur le sol, par endroits.

-T'es con ! lui envoyé-je, accompagné d'un coup de poing sans force.

-Hey, les Valurets, dites-le moi si je vous dérange ! nous hèle Elkihal, près du feu.

Même si je ne suis pas encore au fait de toutes les expressions Eldaryennes, je pense saisir le rapport entre mon échange avec Ezarel et les familiers de la fête des Amoureux. Qu'Elkihal fasse cette remarque est quand même quelque peu gênant. Aussi, je baisse les yeux et me précipite pour le rejoindre près du feu. C'est que j'ai promis de préparer le repas, alors il faut s'y mettre.

-Mais qu'est-ce que tu as fais ?! m'offusqué-je en déposant les yeux sur le feu de camp. Je t'avais dis que je m'en occuperai.

-Pardonne-moi, ma jolie semi-Sylphe, mais j'avais envie de manger avant la fin du monde.

Quel salaud ! Ils s'y mettent tous en même temps ! Je peux pas avoir du répondant sur tous les fronts, ils sont vraiment épuisants !

-Faisons le point, nous propose-t-il en nous tendant un bol d'étain rempli de potage à chacun.

D'un bout de branche brisée, Elkihal dessine grossièrement la carte de cette partie d'Eel. Je reconnais donc les îles d'Akènes, la grande plaine et la forêt des Toucheciels qui borde les montagnes.

-Nous sommes ici, juste sur la bordure Sud de la forêt, nous indique-t-il en pointant un endroit sur sa carte. Et nous nous rendons là !

On est bien ! Il vient carrément planter son bout de bois en plein milieu de la chaîne de montagnes. En fait, on doit tout simplement parcourir la moitié d'Eel du Sud au Nord en un temps record.

-La Lune Ardente scintillera dans sept jours, très exactement, nous rappelle-t-il attendant que ses paroles fassent effet.

Je hoche la tête en fixant sa carte. Je comprends bien toute l'urgence de la situation. Il nous reste une semaine pour empêcher la fin du monde. Ça craint vraiment !

-Le hic, c'est que ce trajet nécessite dix jours de marche ininterrompue.

La carte est tout de suite moins passionnante. Je relève brusquement les yeux vers le Sylphe. S'il se met à faire des blagues foireuses à son tour, je lui casse la tête ! Cependant, une vague de panique s'insinue en moi, lorsque je croise son regard dur et on ne peut plus sérieux.

-On va faire comment alors ? m'inquiété-je.

-Courir. Ne plus nous arrêter, propose-t-il.

-Pas même pour dormir ?

-Le strict minimum, réfléchit Ezarel à voix haute. Deux ou trois heures tout au plus, nous mangerons en progressant.

Cet accord tacite est donc scellé entre nous.

Cinq jours s'écoulent ainsi. Rythmés par nos courses effrénées, les repas difficiles quand on a le temps de sortir un peu de nourriture de nos sacs et de nuits plus courtes les unes que les autres. La fatigue s'accumule et je me sens irritable. Je vois le temps qui défile et nous n'avançons toujours pas assez vite. J'ai envie de crier sur quelqu'un, sur le fautif, mais je n'ai personne à blâmer. Ce n'est la faute à personne si le temps joue contre nous.

Un soir, j'ai même interrogé Ezarel sur les pouvoirs de Kairos. Il maîtrise le temps, non ? Pourquoi ne pas le ralentir pour nous permettre de progresser encore plus vite ? L'Elfe m'a expliqué avec son charabia scientifique que ça ne fonctionnait pas comme ça. Le Volpionix n'a pas un pouvoir à l'échelle planétaire et je lui demandais apparemment d'arrêter le cycle de la lune et bla bla bla. Il pourrait quand même faire un effort !

Ce soir, je suis plus que soulagée quand nous ralentissons l'allure. Je vais enfin pouvoir m'allonger sur le tapis d'herbe moelleuse et masser mes fesses endolories. Ezarel a refuser d'échanger sa place avec moi. Je suis sûre que la selle de Kairos est plus confortable que l'épaule de Malachite !

Alors que je descends de mon Golem et me cherche un endroit pour m'assoupir, Elkihal nous interpelle, le souffle court.

-Inutile de vous installer.

Ezarel et moi nous regardons, sans comprendre.

-A la vitesse où nous allons, si nous nous arrêtons cette nuit, nous n'arriverons jamais à temps, nous explique le Sylphe. Nous devons terminer le chemin qu'il nous reste d'une traite.

-Mais... tenté-je. On peut pas dormir, juste une heure ?

-Pas le temps, Waïtikka, répond-il en oscillant la tête.

-Pas même dix minutes ? couiné-je, désespérée.

-On devrait déjà être repartis, insiste-t-il en se massant les cuisses.

Il est à bout lui aussi. Si nous ne nous reposons pas, nous n'atteindrons pas la Source. La fatigue nous tuera avant. Je suis prête à exposer mes arguments quand je vois qu'Ezarel est remonté sur Kairos après l'avoir nourrit d'une nouvelle Rose Urticante.

-Il a raison, on a plus une minute à perdre, m'encourage l'Elfe.

-Malachite faire doucement quand courir. Malachite essayer de pas réveiller Waïtikka quand elle dormir.

-Je sais, je sais, Malachite. Je t'en remercie, soufflé-je attristée par l'attention qu'il me porte.

C'est quand même lui qui court sans relâche, quand même. Maintenant que j'ai des ailes, on pourrait s'attendre à ce que je me déplace par moi-même. Mais je ne veux plus voler. L'expérience contre les Harpies a été assez traumatisante pour ne pas en rajouter. Je ne tiens pas particulièrement à renouveler l'expérience. Me servir de ces protubérances reviendrait à les accepter, à admettre qu'elles font désormais partie de moi. Je ne suis pas prête pour ça.

Ainsi donc, c'est sans nous reposer un seul instant que nous reprenons notre route. Je suis dépitée. Fatiguée, j'aimerais simplement dormir quelques heures. Pourtant, je me blâme intérieurement de ne penser qu'à mon confort personnel. Je sais bien que le temps nous est compté. Après demain soir, si nous ne sommes pas à la Source, tout sera teminé. J'ai l'impression que c'est déjà perdu d'avance. C'est pour ça que j'aimerais pouvoir me poser quelques instants, pour admettre ma capitulation.

Et pourtant une autre part de moi refuse de baisser les bras. Elle me hurle de continuer, d'avancer encore et toujours. Je dois y mettre mes dernières forces. Dans trois jours, nous aurons droit à un repos bien mérité. Nous rentrerons au QG, Ezarel m'a promis de faire en sorte qu'on ne me dérange pas le temps de reprendre mes esprits, il me semble. J'ai hâte de retrouver Nevra. J'espère qu'il est rentré et qu'il va bien. J'espère qu'au QG tout est calme. Je n'ose imaginer leur détresse si l'armée du Monarque venait à leur tomber dessus.

Des images me traversent la tête pendant toute la journée, à force de ruminer et de ressasser. Les corps de mes amis, de ma nouvelle famille qui jonchent un sol imbibé de sang, inertes et sans vie, les yeux dans le vague. C'est terrible, j'ai beau essayer de penser à quelque chose d'autre, je revois toujours leurs visages dès que je ferme les yeux. Les remparts de la citadelle prit d'assauts, la grande porte forcée et les habitants du refuge terrifiés.

J'essaye de me concentrer par la technique du Vippashuda pour capter quelque chose dans le Maana, mais le QG est bien trop loin. Cela dépasse mon champ de perception. Nous ne parlons plus, Elkihal, Ezarel, Malachite et moi. Nous n'en avons plus la force, trop concentrés que nous sommes sur notre progression. C'est donc l'esprit morose que je m'endors sur l'épaule de Malachite. Je ne rêve même pas cette nuit-là. Ou alors je ne m'en souviens pas. Pourtant je n'ai pas l'impression de m'être beaucoup reposée.

Les premiers rayons de l'aube se font ressentir quand j'ouvre les paupières. Il fait encore sombre, le soleil ne s'est pas encore tout à fait levé. D'un bref coup d'oeil, je remarque qu'Ezarel émerge également, installé sur Kairos, tandis qu'Elkihal lutte encore pour conserver l'allure. J'ai mal pour lui. Je le vois souffrir en silence pour ne pas nous ralentir et je ne supporte pas ça.

-Elkihal, viens par là, s'il te plaît, le hélé-je.

Le bel éphèbe souffle sur une de ses mèches rousses qui lui tombe sur les yeux et me signifie d'un coup de menton qu'il m'écoute.

-Approche un peu. Malachite, peux-tu l'attraper et le faire monter ?

Avant même de laisser le temps au Sylphe d'esquiver, le Golem referme sa grosse paluche sur son torse imberbe brillant de sueur. Elkihal se débat pitoyablement contre une force qu'il ne surpassera pas. Malachite dépose son nouvel hôte sans ménagement sur sa deuxième épaule et je m'empresse de saisir la main de ce dernier avant qu'il ne puisse s'enfuir.

-Je veux que tu te reposes. Je te laisse ma place.

-Quel humour ! raille-t-il. Je n'ai pas besoin de repos.

-A d'autres, tu tombes de fatigue. Si tu t'écroules avant d'arriver à la Source, on fera comment, nous ? Je veux que tu te reposes. C'est pas une faveur que je t'accorde, c'est un ordre pour que tu puisses accomplir ta mission correctement.

J'espère qu'il va gober cet amas de conneries. Évidemment que c'est pour lui que je dis ça. Mais il n'accepterait pas si je lui avouais que je m'inquiète pour lui. Elkihal me scrute un instant en plissant les yeux. Il doute de ma parole, mais je ne me dérobe pas.

-Et donc... sourit-il comme s'il se croyait déjà vainqueur. Tu comptes courir à ma place ?

Merde ! Oui bon, mon plan n'allait pas au delà de lui faire prendre ma place.

-Tout à fait ! Je vais me débrouiller, t'inquiète pas.

C'est à ce moment qu'Ezarel décide d'intervenir. Kairos galope à notre coté permettant à l'Absynthe de m'interpeler sans avoir à crier.

-Waïtikka, ça te dirait de t'envoyer en l'air ?

Mon cœur rate un battement et mon corps se transforme soudainement en vraie couscoussière !

-P-p-pardon ?! Euh... je... ça m'a effleuré l'esprit, c'est vrai. Mais juste une fois, je t'assure, je ne pense pas qu'à ça ! bafouillé-je. Là maintenant ? Je veux dire, tu poses la question tout d'un coup, je m'y attendais pas. Et devant Elkihal, en plus !

-De quoi est-ce que tu parles ? tente de décortiquer Ezarel.

J'ai le souffle court. Il parlait de quoi ? Et moi, je parlais de quoi ? J'ai pas compris ce qu'il me disait ou c'est lui qui n'a pas saisi ma réponse ? Je me sens mal. Je bouillonne, c'est si soudain et inattendu. Qu'est-ce qui lui prend de faire une proposition aussi indécente ?

-Waïtikka, je parle de prendre ton envol. Avec tes ailes, ajoute-t-il pour me faire un dessin, au cas où.

-Oh, m'envoyer en l'air, dans le ciel, hein ? reformulé-je, accablée par le malaise du malentendu.

-A quoi tu pensais ? me questionne-t-il, un sourire amusé au coin des lèvres.

Comme s'il ne le savait pas ! Je suis certaine qu'il a fait exprès d'utiliser cette formulation pour me tendre un piège. Et voilà que comme une cruche, je lui avoue devant témoin que j'ai pensé à faire certaines choses avec lui. Maman, viens me défendre, les hommes sont cruels avec moi !

-Alors qu'en dis-tu ? On y va ?

-T-tu veux venir avec moi ? fis-je, surprise.

-Bien sûr, s'envoyer en l'air, c'est mieux à deux, non ?

Là, c'est on ne peut plus clair. Ezarel affiche son immense sourire narquois de quand il sait que sa blague a fonctionné. Il ne paie rien pour attendre ! Je demande une nouvelle fois à Elkihal de bien vouloir se reposer et j'étends mes ailes pour les étirer avant de tenter un décollage. Autant le dire de suite, je brasse beaucoup d'air pour pas grand chose. Je suis comme un colibri. Je bats beaucoup des ailes mais je n'avance pas.

Kairos a décollé lui aussi et a la décence de m'attendre, ce qui me permet donc d'observer le mouvement de ses ailes. Je repère vite où est mon erreur. Mes mouvements sont trop petits, trop rapides, comme paniqués. Je prends une profonde inspiration pour me calmer et rallonge l'amplitude de mes battements. C'est fou, mais j'ai de suite beaucoup plus de stabilité !

Nous restons quelques minutes devant Malachite, le temps pour moi de prendre mes marques. Finalement, je m'y fais plutôt bien. Mieux que je ne l'aurais cru.

Je commence vraiment à m'habituer à mes nouvelles ailes. C'est très étrange, même si je vole à très basse altitude sous le couvert des arbres, j'apprends réellement à les considérer comme une part de moi et non pas comme un rajout. Les mouvements me viennent de plus en plus naturellement, comme un instinct ou un réflexe. J'y prends même un certain plaisir que je ne souhaite pas dissimuler. Lorsque je tourne la tête vers Ezarel pour lui montrer comme je me débrouille fièrement, je le surprends à sourire. Il m'observe depuis tout à l'heure et que je le prenne la main dans le sac ne le désarme pas.

Je me sens défaillir lorsqu'il lève les yeux au ciel de façon insistante. Je comprends bien ce qu'il veut. Alors que la peur devrait me plaquer au sol, c'est une irrésistible envie de me dégourdir les ailes au grand air qui me submerge. Une vague d'adrénaline s'empare de moi, étirant mes lèvres à n'en plus pouvoir. Sans attendre mon Elfe, je donne une puissante impulsion de mes nouveaux membres et me propulse vers la cime des arbres.

L'ascension est vertigineuse. Les Toucheciels sont tellement hauts ! Les troncs sont immenses et les feuillages ne s'étendent qu'à partir d'une cinquantaine de mètres du sol. Pas avant. Je m'efforce de slalomer entre les branchages pour me frayer un chemin jusqu'à la pleine liberté du ciel. J'en ai le souffle court. Je bats des ailes prudemment pour ne pas me blesser dans les obstacles de plus en plus nombreux. Mais je ne peux atténuer cette adrénaline, cette frénésie qui me consume. Je vole ! Je vole bon sang !

Face à moi, un mur vert me barre le chemin. Qu'à cela ne tienne ! Je plaque mes ailes contre mes flancs, lève mes bras croisés au dessus de ma tête et ferme les yeux. Les griffures du bois sont vives et brèves. Et puis plus rien, si ce n'est l'air frais et une sensation de grandeur, d'espace.

J'ouvre les yeux et baisse les bras. Le choc me paralyse. A peine au dessus de la cime des arbres, je suis pourtant déjà si haut dans le ciel. Je parviens à voir la plaine de Foehn, au loin, et encore plus loin, je discerne les masses sombres que sont les pins de la Forêt Profonde. C'est époustouflant. La lueur dorée du soleil qui se lève me baigne dans une atmosphère irréelle. Les nuages de la nuit commencent à peine à se disperser et la luminosité est diffuse, mais je ne sais plus où donner de la tête tant il y a de choses à voir. La grande plaine s'embrase peu à peu sous les faisceaux de l'astre, les cimes des Toucheciels s'émeuvent de l'aube qui point et quelques oiseaux prennent leur envol en silence.

-Viens vite, il ne faut pas rater ça ! m'appelle Ezarel à quelques mètres au dessus de moi, avant de disparaitre dans un nuage.

Je m'élance à sa poursuite mais n'ose pas entrer en collision avec la surface cotonneuse. Les nuages ne sont que de la vapeur d'eau. Je le sais. Pourtant, j'éprouve une certaine réticence à le traverser. Sa surface est volatile, la légère brume qui le compose s'effrite et se désagrège près de moi. Ezarel l'a fait, lui, et sans aucune hésitation.

Je gonfle mes poumons et pousse brusquement sur les ailes. Je me jette à corps perdu à travers ce nuage pour rejoindre mon Elfe de malheur. L'humidité vient d'emblée se coller à ma peau. Je me sens moite, mes plumes ruissellent et j'ai l'impression que l'atmosphère est plus lourde, comme si je tentais de traverser un filtre. Lorsque l'amas duveteux du brouillard me relâche, je me sens projetée en avant par la force que j'ai utilisé pour m'élever. J'ai juste le temps d'apercevoir Ezarel un peu plus loin, avant d'être éblouie par une vive lumière.

Il me faut un certain temps pour m'y faire et lorsqu'enfin, mes pupilles s'habituent à la clarté aveuglante, je ne trouve pas les mots. Je me retrouve au dessus d'une mer de nuages, rosis par le soleil levant. La boule de feu incandescente s'élève peu à peu devant moi, illuminant le ciel de mille et une couleurs, passant du mauve profond, jusqu'au orange électrique avant de dévoiler le bleu ciel le plus beau qu'il m'est été donné de voir.

Ma peau se réchauffe et je savoure cet instant des plus agréables. Je sais que je suis privilégiée. Tous ne peuvent avoir le luxe de s'offrir ce spectacle. Ezarel le savait, c'est pour ça qu'il m'a proposé de voler. Il voulait que je vois tout ceci. Je le cherche des yeux pour le remercier, je tiens à ce qu'il sache que je lui suis infiniment reconnaissante de me faire découvrir cette splendeur naturelle. Les nuages forment comme un matelas confortable, une couette moelleuse qui ne demande qu'à m'envelopper toute entière. J'aimerais me rouler dedans, me jeter à travers comme les enfants le font dans les piscines à balles. Ezarel me prendrait pour une folle, pourtant j'ai du mal à lutter contre cette irrépressible envie.

Je lui jette un coup d'oeil pour m'assurer qu'il ne me surveille pas, quand il se met en mouvement. J'en reste bouche bée. Son rire fait échos sur les nuages quand Kairos se redresse dans les airs avant de plonger la tête la première à travers le matelas de vapeur.

Il est fou. Il est complètement fou !

Je le cherche du regard. Hystérique, ne sachant plus si je dois craindre sa chute ou être excitée par sa témérité, je le cherche partout. Un grondement rauque résonne autour de moi et me surprend quand une présente surgit à mes cotés. Kairos, Ezarel bien cramponné à sa crinière, fend la brume et s'élève dans les airs à une vitesse fulgurante ! J'ai l'impression de voir deux grands gamins qui font des plongeons à répétition dans du bain moussant.

Ne résistant plus, je me précipite à sa poursuite à travers les différentes épaisseurs de nuages. Tantôt plongeante dans le coussin de gouttelettes, tantôt m'en extirpant avec fougue, je ris à gorge déployée. Les rayons du soleil m'ont à peine sécher la peau que je me jette à nouveau dans ce bain de brume. J'ai vite fait d'oublier que je poursuivais Ezarel, ni même pourquoi je le faisais. Nous volons ensemble, tressant à nous deux une trainée de vent et de Maana sur notre chemin tandis que nous virevoltons et papillonnons l'un autour de l'autre.

Le ciel s'est considérablement éclairci quand je m'arrête pour reprendre mon souffle.

-Depuis combien de temps est-ce qu'on vole ? me fis-je la réflexion.

-Pas la moindre idée. On devrait peut-être redescendre, propose mon Elfe.

Les nuages, presque tous évaporés, ne laisse que de fines traces blanches par-ci, par-là. Nous nous dirigeons donc directement vers la cime des arbres pour rejoindre la terre ferme, à mon grand regret.

Kairos se redresse pour ralentir et faciliter son entrée dans le feuillage et je l'imite pour en faire de même. Quand soudain, une volute de Maana malsaine me percute en plein dos. Mon souffle se coupe, mon cœur cesse de battre. La vie, la joie et ma détermination me sont arrachées, ne laissant qu'une coquille vide luttant pour rester en l'air.

-Eza... tenté-je d'appeler dans un souffle.

Mon alchimiste se détourne vivement dans ma direction, alerte. Kairos change de formation pour venir se camper à mon coté.

-Est-ce que ça va ?

Le temps qu'il arrive, cette spirale de ténèbres s'est échappée, me libérant de son emprise.

-Je... oui, je crois, constaté-je. Ezarel, quelque chose ne va pas. Quelque chose s'est passé. Je le sens !

La panique monte en moi, des frissons de terreur me parcourent. Le Maana tout entier requiert mon aide. Mais je ne sais pas comment répondre à sa requête.

-Calme-toi, Waïtikka. Respire doucement, applique ce que Nevra t'a enseigné.

Obéissante, je prends de profondes inspirations et souffle par mes lèvres pincées. Que se passe-t-il ? Qu'est-il arrivé ? Je dois en avoir le cœur net. J'ouvre alors mon esprit. Sans barrière, sans restriction, sans aucune retenue. Je le laisse s'ouvrir tout entier au Maana, à la nature du monde. Tanpis si j'ai du mal à en revenir, tanpis si je ne m'en sors pas sans séquelle. Je dois savoir !

Eel s'ouvre alors à mon regard, à ma perception. Les fils de son tissage complexe se dévoilent à mes sens en alerte. J'évolue dans la matrice de notre monde. Une zone d'anti-matière teintée de bleu véritable. Je vois le monde tel qu'il est et non pas tel que nous le percevons, d'en bas.

Aussitôt, je me précipite. Le QG, je dois aller voir ce qu'il se passe au QG. Je survole la grande Plaine et approche de la rivière Eldar. Je la reconnais à ses geysers, Ezarel m'en a déjà parlé. Elle relie les îles d'Akènes à la falaise au Nord d'Eel. Mon regard se reporte au loin, cherchant la citadelle des yeux quand je discerne une masse en mouvement. Un attroupement qui n'a rien à faire là.

Je me sens mourir quand je comprends de quoi il s'agit. L'armée du Monarque est déjà en route. Vers nous ! Ils ont du être averti que nous nous approchons de la Source et ils viennent nous intercepter. J'évalue la distance qui les sépare du Puits, au milieu des Orokala, comme l'a indiqué Elkihal. A la vitesse de leur charge et celle de notre avancée, ils arriveront sur les lieux avant nous et n'auront plus qu'à nous cueillir. Je les entends beugler d'ici, comme le troupeau de barbares qu'ils sont. Je ressens le piétinement de leur marche dans les vibrations du sol. La volute de ténèbres qui les enveloppe est bien celle que j'ai perçu tout à l'heure.

Hors de question de refaire la même erreur qu'avec les Harpies. Même s'il s'agit d'une illusion, je dois prévenir les garçons ! Alors sans me poser davantage de questions, je fais demi-tour et vole à vive allure vers les arbres pour retrouver mon corps. Je discerne les formes de nos silhouettes à une centaine de mètres. Mon moi physique bat toujours des ailes pour me maintenir en l'air sous l'œil inquiet d'Ezarel. Un instinct, comme je le pensais.

Mais alors que je m'apprête à retrouver mon enveloppe charnelle, une forme d'ombre se déplace sur mon coté pour me barrer la route. Je m'immobilise, prête à faire face à cette nouvelle menace. Je suis sur le plan du Maana. Qui d'autre peut-être là ? Qui d'autre peut avoir ma perception et réussir à s'infiltrer ici ? Un vent glacial se lève et me frigorifie de la tête aux pieds. Un murmure me gèle la nuque, mais il n'y a personne quand je me retourne.

Est-ce ce fameux danger dont parlait Nevra ? Le risque de ne pas revenir ? Et si le Maana avait une volonté et qu'il tentait de me garder prisonnière ? Le Maana peut-il être mauvais ? Non impossible, seul son utilisation peut être bonne ou mauvaise. L'énergie elle-même est neutre. Elle n'est qu'énergie. Seul celui qui l'utilise peut choisir de le faire pour le bien ou pour le mal. Si ce n'est pas le Maana qui me harcèle, alors il y a bien quelqu'un d'autre, ici, avec le même pouvoir que moi !

Prise de panique, j'abandonne mon courage et me précipite vers mon corps. Je ne tiens pas à savoir qui peut me retenir prisonnière. Je m'en fiche de savoir qui a le même pouvoir que moi !

Puis il me fait face. Son visage masqué, juste devant moi. Ses yeux rougeoyants, ses écailles d'obsidiennes. Le sourire malsain que je devine derrière son armure.

-Tu n'es qu'une petite sotte ! me crache-t-il à la figure.

Sa voix est grave, éraillée. Et complètement déformée par son masque. Cette voix n'est pas naturelle. Je le sens bien. Pourquoi me parle-t-il avec autant de véhémence ? Je pensais qu'il était mon ami ? Il a cherché à m'aider depuis le début, non ?

-Tu pensais vraiment pouvoir le faire, huh ? s'énerve-t-il sans que je ne comprenne pourquoi. Être L'Élue est un fardeau ! Quand tu comprendras les paroles de l'Oracle, il sera déjà trop tard. J'ai pourtant essayé de te mettre en garde !

-Je...

Je tends la main vers son masque. Je veux voir son visage. Savoir à qui je m'adresse. Il a l'air de me connaître. Qui est-il ? L'Homme saisit mon bras et le serre à me faire plier de douleur.

-Une fois que tu te seras désistée comme tous les autres avant toi, tu seras à ma merci ! me promet-il avant de disparaître dans un nuage de soufre.

Brutalement, je me retrouve propulsée dans mon corps, suffoquant et bataillant pour retrouver des mouvements cohérents. J'ai beau regarder partout autour de moi, je ne vois personne d'autre qu'Ezarel et Kairos. L'Homme a disparu.

Était-ce un avertissement ou une menace ? Je ne sais pas trop.

-Waïtikka ? s'inquiète l'Elfe.

La réalité me percute à nouveau de plein fouet.

-Ezarel ! L'armée du Monarque est en route ! Ils sont trop rapides, ils vont nous intercepter !

Mon Elfe me dévisage quelques secondes. Me prend-t-il pour une cinglée ? Il aurait de quoi. Mais au lieu de m'accuser de folie, il garde un air grave et reprend :

-Alors à nous d'être plus rapides, encore !


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