[Eldarya] Le Secret des Moraï

By ZakariasKedaltekh

138K 9.4K 9.8K

Lancez vous dans l'exploration des Terres d'Eldarya, vivez une aventure épique, rencontrez de merveilleux per... More

Souvenirs, souvenirs...
Prologue - La Fête du Cristal
Chapitre 1 - Un cœur qui bat
Chapitre 2 - J'y réfléchirai
Chapitre 3 - Origines
Chapitre 4 - La Source de notre magie
Chapitre 5 - Une Perturbation dans le Maana
Chapitre 6 - Une Visite Impromptue
Chapitre 7 - Perte de contrôle
Chapitre 8 - La Filature
Chapitre 9 - Embuscade
Chapitre 10 - De l'Autre Coté du Masque
Chapitre 11 - Un Repère dans les Ténèbres
Chapitre 12 - La Mission
Chapitre 13 - Le Voile de la Réalité
Chapitre 14 - Ce qu'ils cachent sous Terre
Chapitre 15 - Le Complot
Chapitre 17 - Un petit Biscuit ?
Chapitre 18 - Pendant ce temps là...
Chapitre 19 - La Goutte de Trop
Chapitre 20 - Des Milliers de Papillons
Chapitre 21 - Quand les Rochers se Mettent à Courir
Chapitre 22 - Un Nouvel Ami
Chapitre 23 - La Meute aux Trousses
Chapitre 24 - Le Combat dans les Ruines
Chapitre 25 - Le Journal de Bord
Chapitre 26 - Parce qu'il faut bien mourir un jour
Chapitre 27 - La Fonte des Glaces
Chapitre 28 - La Seule Condition
Chapitre 29 - Le Chant des Dryades et le Dé à Coudre
Chapitre 30 : Rencontre Sylvestre
Chapitre 31 - Le Glas des Sylphes
Bonus du chp 31 - par Analah
Annonce et questions
Chapitre 32 - Demain dès l'Aube...
Bonus du chp 32 - par Analah
Chapitre 33 - Les Clapotis du Lac d'Argent
L'interview à Triple Voix
Chapitre 34 - Que les Étoiles m'en soient Témoins
Chapitre 35 - La Perfection Incarnée
Chapitre 36 : Le Commencement
Chapitre 37 : Des Cris dans la Nuit
Chapitre 38 - Cernunnos ou le Bon Augure
Chapitre 39 - L'Impact
Chapitre 40 - La Tanière des Ombres
Chapitre 41 - Le Plan
Chapitre 42 - Puis-je t'embrasser ?
Chapitre 43 - Le Secret des Moraï
Chapitre 44 - Le Coût de la Victoire
Épilogue - Ici ou dans une autre vie
Foire aux Questions
Vos Fanarts du Secret des Moraï

Chapitre 16 - Une Chute Dramatique

2.1K 158 103
By ZakariasKedaltekh

Alors que la brume entoure encore mon esprit, ce sont les odeurs qui m'atteignent en premier lieu. Des effluves boisées emportées par le vent. L'odeur caractéristique de la proximité d'un cours d'eau. La terre humide et les aiguilles de pins. Mes oreilles s'éveillent à leur tour. Il y a effectivement une rivière non loin, j'entends son flux et son courant se fracasser contre les rochers. Je perçois les conifères danser et onduler au rythme des rafales. J'entends une respiration sourde et profonde. La mienne ?

Et par dessus ces sons étouffés, une mélodie persiste. Irrégulière, fébrile. Comme des gouttes tombant sur un xylophone, jouant des notes détachées et résonnantes. Je perçois le chant lointain des nuages qui soufflent la partition aux musiciennes. Des centaines, que dis-je, des milliers de petites perles cristallines rencontrent les surfaces des feuilles, des rochers, du torrent pour y jouer une mélopée différente. Une musicienne vient s'écrouler sur ma peau, nue. Elle explose en une cascade de gouttelettes et glisse timidement le long de ma cuisse pour mourir au creux de ma hanche. La sensation me fait frissonner.

Sur ce rythme singulier, vibre en moi des paroles. Je les entends avec mon cœur et non mes oreilles. Je les sens réchauffer mon âme comme si elles me scandaient une vérité éternelle. Je ne perçois pas le sens des mots, seulement les à-coups des syllabes. Je me souviens de la première fois que j'ai ressenti ce rythme se répercuter sur les parois de mon crâne. C'était lors de mon arrivée dans ce monde, quand on m'a dit que j'allais intégrer la Garde de l'Ombre. Nevra me l'avait fait apprendre par cœur. Et voila que maintenant, ces paroles résonnent en moi tel un mantra :

Dissimulés dans l'Obscurité,

La furtivité est notre alliée...

Discrets, tapis dans la pénombre,

Ensemble, nous formons l'Ombre.

C'est toujours avec la voix de Nevra que j'entends ces mots. Son timbre sourd et puissant m'étreint la poitrine tandis que sa litanie me donne l'impression de flotter dans les airs.

Je ne touche pas terre, mes pieds flottent au dessus du sol. Je suis malgré tout en mouvement. J'essaye de soulever mes paupières mais mon corps semble peser des tonnes, tout d'un coup. Que m'arrive-t-il ? Je suis exténuée, au bord de l'anéantissement. J'esquisse un mouvement. Du moins, j'essaye. Peut-être que mes sensations reviendront pour me permettre de comprendre un peu la position dans la quelle je me trouve. Je suis appuyée sur quelque chose, mes bras relevés au niveau de mes épaules et tombant en avant. Mes jambes sont remontées et maintenues devant moi. Je suis à cheval sur quelque chose.

Je retrousse mon nez quand des brins légers et humides me chatouillent les narines. Ma monture a remarqué mon réveil. Sans s'arrêter, elle a ralenti le pas. Je la sens me porter une certaine attention à la façon dont se courbe légèrement sa colonne. J'imagine que Nevra a trouvé de l'aide et que nous rentrons au QG à dos de Crylasm. Quoique l'absence de moumoute laineuse m'interpelle. Au prix d'un effort titanesque, je parviens enfin à ouvrir les yeux sur quelques millimètres. Dans la fente de réalité que je perçois, tout est sombre. Je vois de la clarté, celle du jour, mais elle est balayée régulièrement par des crins noirs. Je cligne plusieurs fois des paupières pour y voir mieux, en me frottant le front contre la crinière du familier pour dégager quelques unes de mes mèches de cheveux. Lorsque je ré-ouvre les yeux, je manque de m'étouffer.

-Nevra ?! Qu'est-ce que...

Il n'y a pas de familier, pas de monture. Juste Nevra qui me porte sur son dos, sous cette pluie battante.

-Enfin réveillée ? Comment te sens-tu ? s'enquit-il en me posant délicatement.

Mes jambes flageolent sous mon poids. Mon Chef m'aide à m'avancer jusqu'à un rocher pour m'asseoir. Il me faut un petit instant pour retrouver entièrement mes esprits. Nevra me laisse le temps d'émerger, il est accroupit devant moi et scrute mon visage comme si mes expressions faciales pouvaient répondre à toutes ses questions. D'un regard, je balaye notre environnement.

Nous sommes au bord d'un fleuve, le courant semble rapide au vu de l'écume générée sur les rochers. De l'autre coté du cours d'eau, la forêt profonde, épaisse, impénétrable. Sur ma gauche, la même forêt de pins s'étend à perte de vue. Au loin, par delà les pointes épineuses, je distingue les sommets escarpés d'une chaîne de montagnes. Si je me souviens bien de la carte que m'a montré Nevra, il doit sûrement s'agir des Épines d'Obsidiennes. Je ne peux retenir un soupir à l'idée qu'il va falloir se plonger à nouveau à l'ombre des arbres pour rejoindre le Refuge d'Eel. Pour une raison que j'ignore, je crains que notre retour vers le QG ne soit pas si rapide.

-On a terminé la mission, n'est-ce pas ? interrogé-je, pleine d'espoir.

Nevra hoche la tête en signe d'approbation. Me voila soulagée.

-Combien de temps ça va nous prendre pour traverser tout ça ? questionné-je en désignant les cimes et sommets du menton. J'ai vraiment envie de retrouver mon lit, je peux te jurer que je vais dormir pendant des jours !

Nevra fronce les sourcils et baisse les yeux, comme quand il s'apprête à dire quelque chose et qu'il sait bien que ça ne va pas me plaire. Je n'aime pas ce regard.

-En fait, on peut pas passer par là, hésite-t-il.

-Et pourquoi ça ? le coupé-je.

-Les Épines d'Obsidiennes portent bien leur nom, tu sais.

Je secoue la tête, incrédule.

-Ces montagnes sont infranchissables, on ne pourrait pas escalader leurs parois. Et quand bien même ! L'obsidienne qui les compose est bien trop tranchante. On serait réduit en charpie avant d'avoir atteint la première ligne de montagnes.

Mes épaules s'affaissent. Le peu de courage que j'avais retrouvé vient de s'envoler. Je ne me sens pas la force d'affronter la solution que Nevra va probablement se presser de me présenter.

-On va devoir faire le tour. Tout d'abord, il faut trouver un endroit où traverser ce fleuve. Ensuite, nous remonterons au Nord pour retourner dans la forêt profonde. On contournera soigneusement la Dent d'Onyx et le site de déboisement et ce sera la dernière ligne droite vers le QG.

Et voila. Une solution qui me sied guère. Pour appuyer ses paroles, il sort le vieux parchemin de son sac et le déplie sous mes yeux. Je ne cesserai donc jamais d'être ébahie par l'immensité du Royaume d'Eel ? Là, sous mes yeux, Nevra fait courir son doigt sur le papier jauni. Nous sommes actuellement sur la rive Est d'un fleuve qui prend sa source dans la Dent d'Onyx, pour se jeter plus loin au Sud Est, dans l'Océan Cobalt, par le Détroit de Peh'en Er. Quels noms étranges, tout de même. Lorsque j'interroge Nevra sur l'origine du nom de ce Détroit, il arque un sourcil. Ma question futile tombe comme un cheveux sur la soupe au vu de notre situation.

Devinant que c'est pour moi un moyen de me détacher des difficultés de la réalité, il me narre que ce détroit a été nommé ainsi par les premiers explorateurs, car il s'agissait du point de départ vers l'inconnu. Les embarcations d'aventuriers partaient pour découvrir les contrées nouvelles au delà de l'Océan Cobalt. Ce détroit était pour eux un symbole. Comme un rite de passage vers l'âge adulte. Lorsqu'ils partaient en mer depuis ce point, il n'y avait plus aucun retour en arrière possible. Ils le nommèrent le Point de Non-Retour. Avec le temps, les aventuriers n'en parlaient qu'avec ses initiales, le P-N-R. Les générations allant, les lettres se sont changées en dialecte pour devenir jusqu'à aujourd'hui le Peh'en Er.

Je suis impressionnée, sans savoir précisément de quoi. De l'origine de ce nom que je trouve très excitant, très stimulant ? Ou de Nevra qui sait m'expliquer en détail un point précis de son histoire ?

Quoiqu'il en soit, mon chef poursuit son chemin sur la carte. Il envisage donc que nous traversions le fleuve avant d'atteindre les chutes d'eau. Si nous passons la cascade, deux solutions s'offrent à nous : traverser le Marais Sombre et au vu du ton que Nevra utilise pour me le désigner, je devine que ce n'est même pas la peine d'y penser ; et atteindre la ville de Dorin, en bordure de fleuve, pour y demander de l'aide. Un bateau serait l'idéal pour rejoindre les côtes du Refuge d'Eel.

-Le problème avec les habitants de Dorin, c'est qu'ils sont très près de leurs sous. Ils ne se sont pas installés sur les bords du Lac aux Pépites pour faire joli. Ils veulent des richesses et sont radins au possible ! grince-t-il.

-Mais on est la Garde d'Eel, s'ils veulent un paiement pour un bateau, ils l'auront après. C'est aussi simple que ça, non ?

-Pas pour eux, ricane Nevra en penchant la tête sur le coté. Des radins, je te dis !

Je repose mon regard sur la carte, inspire un grand coup et admets :

-Alors, on a pas le choix : on traverse ce cours d'eau le plus tôt possible et on file d'ici.

Sur la rive Ouest, je discerne deux points de civilisation : Sikou, un village sur la rivière qui se jette dans le torrent, et plus haut, Fiorell, une ville en bord de lac sur la même rivière.

-Une fois de l'autre coté, nous pourrons nous rendre dans l'un de ces villages pour avoir des montures, non ?

Une fois de plus, Nevra tique d'une mine peu optimiste.

-Ils sont pas tous grippe-sous dans ce pays, quand même ?! m'agacé-je.

-Non, encore heureux, rit Nevra. Aucun village ne peut rivaliser avec les nains de Dorin en terme d'avidité, mais tu te rends compte comme ces villages sont loin ? J'espère que nous aurons traversé le fleuve bien avant d'avoir atteint leur hauteur.

C'est vrai que j'oublie l'échelle de cette carte. Un rapide coup d'œil vers le Refuge d'Eel me suffit à me remettre les idées en place. En effet, nous avons une bonne marge avant d'arriver à l'embouchure de la rivière et du fleuve. Une fois que nous aurons traversé cet obstacle, le chemin à parcourir est d'une simplicité enfantine. Remonter au Nord comme Nevra l'a dit et rentrer à la maison. Cependant je n'oublie pas que rien n'est simple, ici. Je m'attends au pire, maintenant !

Plus reposée, je me relève doucement sur mes jambes. J'ai retrouvé une certaine stabilité et je me sens mieux. Nevra ne m'a pas réitéré sa question sur ma nature. Je pense qu'il sait pertinemment que je n'ai pas de réponse à lui apporter. C'était quand même galvanisant cette magie. Je ne me serais jamais pensée capable d'un tel exploit. Je me sens plus digne de la Garde, d'un coup. Je sais que ce n'est pas grand chose, je n'ai fait qu'assommer une taupe-requin carnivore avec une barrière d'énergie. Mais c'était un monstre énorme et mon bouclier l'a arrêté net, sans bavure, ni fissure. Je suis fière de moi, même si je doute être capable de refaire ce tour de passe-passe volontairement.

Tandis que mon chef roule à nouveau la carte pour la protéger de la pluie, j'arrache un pan de ma si jolie jupe déchirée pour m'en faire un ruban. J'attache mes cheveux en queue de cheval pour libérer ma nuque. Je hais avoir des cheveux mouillés qui me collent au visage. Après avoir ébouriffé quelques mèches pour ne pas ressembler à une nonne, je fais signe à Nevra que je suis prête pour repartir.

Cela fait des jours que nous marchons et la pluie ne cesse que quelques heures chaque nuit. J'aimerais dire que nous dormons au sec, mais ce serait me mentir à moi même. Quand nous le pouvons, nous suspendons notre nid dans les hauteurs, accroché aux branches robustes des arbres. Nous continuons de longer le torrent pour guetter un point de passage. Je suis épuisée. Physiquement. Cette pluie qui me berçait au début de notre périple par delà la Dent d'Onyx m'éreinte de plus en plus, à présent. Je suis trempée jusqu'aux os. Je n'arrive même plus à faire la différence entre mon nez qui coule et la pluie qui ruisselle sur mon visage. Heureusement qu'il n'y a pas de miroir dans le coin, j'aurais trop peur de voir mon état déplorable. Je changerai bien de vêtement, j'avais attrapé une tenue au hasard dans mon armoire lors de mon départ du QG. Mais si je les met maintenant, ils seront aussi détrempés que ma jolie jupe. Je préfère plutôt attendre que le temps s'éclaircisse pour me mettre au sec.

Moralement, ça va mieux. Je ne ressens plus la lassitude d'il y a quelques jours. De plus, la mélodie basse et répétitive du mauvais temps dépose un voile de surdité sur mes sens. Je ne suis plus que Waïtikka, la pauvre fille paumée, et non plus la fameuse Élue qui se voit affublée d'un pouvoir épouvantable qu'elle ne sait pas contrôler. J'ai l'impression d'avoir trouvé le repos de l'âme. Disons que cette pluie est un mal pour un bien. Du coup, mes séances de Vippashuda sont en arrêt pour le moment. Nevra n'a pas abordé le sujet et moi non plus. De toute façon, je n'ai pas la tête à méditer. Tout ce que je veux, c'est rentrer à la maison, me faire une tasse d'un de leur breuvage bien chaud, et me caler sous la couette. Nevra pourra même s'y inviter s'il veut, après ce qu'on vient de vivre ensemble, je ne suis plus à ça prêt, tant que je retrouve mon lit !

Mon chef marche quelques mètres devant moi. Il n'a plus cette stature si droite que j'avais l'habitude de lui attribuer. Sa fière allure s'est affaissée avec ses épaules. J'imagine que ce temps de corko lui plombe le moral à lui aussi. Les bras serrés contre mes côtes, je tâche de ne pas me faire distancer. Nous ne nous arrêtons pas de la journée. Nous ne discutons pas. Pour parler de quel sujet, de toute manière ? De la pluie et du beau temps ? Hum, pas sûre que ça nous égaille beaucoup. Nous ne nous arrêtons même plus pour manger. Quand j'ai un creux, je pioche un morceau de pain dans ma besace. Nevra, lui, se contente de siffler une fiole de temps en temps.

D'un rapide coup d'œil, je constate que nous ne sommes pas prêt de traverser ce satané fleuve. A cause de la pluie, il est en crue. Le courant violent nous emporterait si nous émettions l'idée saugrenue de le traverser à la nage. J'avance en contemplant mes doigts de pieds flétris à travers mes spartiates. Je patauge dans les flaques et ne ressent même plus la froideur du sol. Mes jambes sont engourdies et anesthésiées depuis le mollet jusqu'au bout des orteils. Je me sens doucement glisser dans la somnolence quand tout d'un coup, un choc brutal me sort de mon assoupissement.

J'en perds l'équilibre et titube avant de retrouver ma stabilité. Nevra s'est arrêté devant moi, sans prévenir. Soudain, la peur réveille mes sens. Je me précipite à son coté pour voir à quoi il fait face. Mon effroi cède vite sa place à l'incompréhension. Il n'y a rien. Ni monstre belliqueux, ni pont, ni rien qui vaille le coup de s'arrêter.

-Nevra ? hésité-je.

Le vampire ne me répond pas, gardant les yeux dans le vague devant lui, rivés sur le sol. J'ai l'impression qu'il dort debout. Je veux bien qu'il soit un sur-homme, il doit avoir ses limites, lui aussi.

J'inspire pour lui demander s'il va bien, quand sa pupille se braque dans ma direction. Son regard croise le mien. Son désespoir m'envahit et me contamine toute entière. Que lui arrive-t-il ?

Alors qu'un silence s'abat sur nous, là, par delà la pluie et la tempête j'entends un cri, un pleur. Au loin, dans la forêt, terré derrière ces milliers de pins, un loup hurle à la mort. Mes yeux s'écarquillent !

-Chrome !! m'exclamé-je, sentant un regain de vitalité me submerger.

Mais au moment où je me détourne vers le hurlement, Nevra me retient. Abattu, il secoue la tête. Ce n'est pas Chrome. Je suppose qu'il reconnaitrait sa voix entre toute. Ce même désespoir que j'ai décelé dans le regard de mon ami quelques instants plus tôt se fait mien. Étrangement, Nevra choisi ce moment pour me sourire.

-N'aie crainte. Même avec cette pluie, il saura nous pister, tente-t-il de me rassurer. Il va bien. Je te le promets !

Je ne trouve rien à répondre si ce n'est un hochement de tête. Je sens bien toute l'inquiétude dans sa voix. Il essaye de se convaincre lui-même de la véracité de ses paroles. Il veut croire que son ami s'en est sorti. Il veut y croire dur comme fer. Ça me fait beaucoup de peine pour lui, pour eux, mais les chances d'un retour de Chrome s'amenuisent de jour en jour. Peut-être que mes yeux me jouent des tours, mais je jurerai voir une larme couler sur la joue de Nevra. A moins que ce soit que la pluie.

M'efforçant de garder le moral, je le saisi par la main et l'entraine avec moi, loin de la portée des hurlements lupins.

Nous restons comme ça, à avancer main dans la main pendant quelques heures. Nevra n'a même pas essayé de me faire lâcher prise ou de profiter de la situation. Il n'a même pas la force d'avoir des pensées lubriques. Malgré le temps maussade, ce contact avec lui parvient à me réchauffer petit à petit. Tout d'abord, ma paume, puis mon poignet jusqu'à atteindre mon épaule. J'ai l'impression qu'un fin courant électrique nous colle l'un à l'autre. Comme si nous étions les deux faces d'un même aimant.

Soudain, mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'ai l'impression qu'il fait du trampoline pour essayer de me briser les os.

-Nevra, regarde ! m'écrié-je.

Son regard s'illumine lorsqu'il voit ma découverte. De part et d'autre du torrent, des rochers sortent encore la tête de l'eau. Certains sont submergés mais encore visibles sous l'écume du courant. Ils sont disposés de telle sorte qu'ils formeraient presque un pont naturel ! Les lèvres de Nevra s'étirent. Je suis contente de le voir sourire. Réellement, j'entends. Ça me remet du baume au cœur. Au lieu de s'approcher du pont de pierre, Nevra se dirige vers un arbre et dégaine sa dague en argent. D'un geste sec, mon chef de garde grave une flèche bien visible sur l'écorce en direction du fleuve.

-Comme ça, il saura, m'explique-t-il en me rejoignant.

Il n'y a plus une minute à perdre ! Nous nous précipitons vers le passage.

-Après toi, sourit Nevra.

Je le regarde avec de grands yeux ronds. Non, mais il est pas chié !

-Merci ! Quelle galanterie ! Comme ça, si on tombe, ce sera de ma faute ?

-On ne tombera pas ! chasse Nevra d'un revers de main, avant de reprendre sérieusement. J'assure tes arrières. Si je te vois glisser, je te rattrape et le tour est joué.

Hum. Je ne suis pas convaincue. Enfin, de toute façon, c'est inutile de discuter avec lui, puisqu'il a toujours raison. Même quand il a tort. Alors délicatement, à mon allure -pas question de me presser sinon, c'est la vautre assurée- je pose mon pied sur le premier rocher, tout près de la berge. Je stabilise mon équilibre et transfert mon poids sur ce support chancelant. J'hésite fortement à lâcher totalement la berge quand je sens les mains fermes de Nevra me saisir par la taille. Je sursaute malgré moi.

-Je te tiens, vas-y. Sers-toi de tes bras comme balancier.

Obéissante, je m'exécute. Écartant mes bras pour rétablir mon équilibre, je fais doucement glisser mes appuis de pierre en pierre. L'écume me chatouille les pieds. Les rochers bougent d'un rien. Il m'en faudrait de peu pour chuter à partir de là. Nevra me suit, les bras tendus vers moi pour être prêt à rattraper une chute éventuelle. Il est hors de question que je fasse encore le boulet de service ! Cette fois, je ne ferai pas tout capoter !

Alors qu'il ne reste plus que trois grosses pierres devant moi avant la berge, je me rends compte que je ne pourrais pas atteindre la première sans sauter. Au moment où je fléchi mes jambes pour bondir, Nevra me coupe dans mon élan.

-Fais bien attention, me met-il en garde. Il y a de la mousse sur les rochers.

En effet, si je me réceptionne mal, je finirai à l'eau. Soudain, j'entends Nevra jurer derrière moi. Je me retourne juste à temps pour voir le visage du vampire se décomposer alors qu'il descend dans mon champs de vision. Ses bras décrivent de grands arcs de cercle pour se rattraper, mais sans succès. Nevra bascule dans l'eau et je me précipite vers lui. Il se tient du bout des doigts sur un morceau de rocher. L'écume rend notre pont très glissant et je dois vraiment faire attention pour ne pas mimer la vautre de mon chef.

Le courant puissant lui gifle le visage et il a du mal à ne pas lâcher prise. Arrivée à son niveau, je cale mes appuis comme je peux et lui saisi le poignet.

-Prends ma main, crié-je en tendant mon autre poigne.

Nevra hésite un court instant avant de se lancer en avant pour serrer ma main. Je le tiens ! Je referme mes doigts autour des siens et le tire de toutes mes forces. La réaction provoquée n'est pas celle voulue. Dans mon esprit, je parvenais à sortir Nevra de l'eau et il m'acclamait en l'héroïne que j'étais devenue. Là... C'est lui qui m'entraine dans sa chute. Ca arrive si vite, que je n'ai même pas le temps de faire un seul mouvement. Ma force de mollusque m'a feinté et j'embrasse la surface glacée de l'eau aussi durement que s'il s'était agit de béton.

Le liquide gelé infiltre mes yeux, mes poumons. Je bois la tasse. Mes jambes heurtent des rochers et s'égratignent. Je bats des pieds pour retrouver la surface, mais le courant est trop fort. Je n'y arrive pas. Ma poitrine me fait mal, je vais être obligée d'inspirer dans peu de temps et c'est de l'eau qui va y entrer. Les poumons me brûlent, j'en peux plus !

J'ouvre la bouche malgré moi. Je n'arrive pas à lutter contre ce besoin de respirer une bonne goulée d'air. Des mains puissantes me saisissent le bras et me ramènent à la surface. L'oxygène envahit mes poches alvéolaires. Quelle sensation délicieuse !

-Accroches-toi ! hurle la voix de Nevra pour passer par dessus le vacarme du torrent.

J'essaye de m'agripper à lui, mais la crue a été trop violente. Le courant du torrent n'en est que plus rapide. Malgré toutes mes tentatives, je ne parviens pas à rester accrochée à mon chef. Comprenant que Nevra n'arrive pas non plus à lutter contre le courant, je tâche de garder au moins la tête hors de l'eau. Maintenant que j'ai retrouvé la surface, hors de question que je boive la tasse à nouveau. Je bats des jambes pour m'équilibrer quand les vagues me bousculent. Je godille avec mes bras pour garder l'illusion que je contrôle ma trajectoire. Au moins, je respire. Mes extrémités s'engourdissent. L'eau est tellement froide. La paralysie s'insinue en moi. Je sens que je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme déchainé.

Nevra est à quelques mètres devant moi. Parfois, il disparait sous l'écume et mon cœur s'arrête de battre. Mais à chaque fois, il réapparait et le monde continue de tourner.

Le froid m'enserre le crâne, ma tête est oppressée, comme coincée dans un étau. Je vais céder. Puis je vois devant moi, Nevra qui pend à quelque chose. Il s'est suspendu à une grosse branche qui a du tomber à cause de l'orage. Le morceau de bois barre la rivière sans pour autant y tremper. Je passe en dessous et m'efforce de tendre les bras vers le vampire. C'est un calvaire. Mes bras pèsent des tonnes et mes épaules me font un mal de chien.

Heureusement, Nevra me tient fermement. Le temps de cligner des yeux, je le retrouve sur le tronc salvateur. Je cligne encore des yeux et j'arrive, grelottante, sur la berge. Je reste collée à Nevra pour essayer de lui subtiliser un peu de chaleur, mais c'est peine perdue. Je tremble de tout mon corps tandis que mon chef et moi nous asseyons sur un rocher, au bord de l'eau.

-On est pas du bon coté, grince-t-il.

Je relève la tête vers lui, effarée. Il capte mon attention et oriente mon regard vers la berge opposée du fleuve, d'un coup de menton. Au loin, une plaine verdoyante s'étend à perte de vue. Au loin, de l'autre coté du fleuve.

-On est pas du bon coté, répète-t-il. Et en plus, on est bien trop au Sud, ça va nous prendre trop de temps pour retourner au QG. On sera jamais là bas à temps !

Soudain, un hoquet monte de ma gorge et sort bruyamment. Je ne me contrôle plus. Que m'arrive-t-il ? Je ris comme une dératée. La situation est désespérément critique, et moi, je me marre ? Nevra hausse un sourcil. Il doit me prendre pour une folle. Mes nerfs lâchent. J'aimerais pouvoir lui expliquer. Je ne veux pas qu'il pense que je me fous de ce qui peut arriver au QG. Je comprends soudain d'où vient cette hilarité. Entre deux hoquets, j'arrive à articuler :

-T'es trop nul ! le blâmé-je. C'est moi la paumée, mais c'est toi qui te vautre comme un gros looser !

Nevra marque un temps d'arrêt, les sourcils froncés. Il n'apprécie peut-être pas que je notifie cette bavure de sa part, mais là, c'est plus fort que moi. Je suis prise d'un fou rire et je n'arrive plus à m'arrêter. C'est tellement libérateur de rire à gorge déployée. Je me fiche du jugement que mon ami peut me porter maintenant. Je me sens tellement bien, à rire comme une débile. Ça me réchauffe la poitrine. Entrainé par mon allégresse, Nevra se laisse contaminer, lui aussi.

Nous rions de bon cœur jusqu'à nous tenir les côtes. Nos éclats de voix se répercutent sur les rochers pour aller s'éteindre dans les sous-bois derrière nous. Je regarde cette grande plaine face à nous. Elle est à portée de main. Tellement proche ! Et cette bouche de l'enfer qui nous sépare d'elle. Je la hais ! Mes hoquets se calment petit à petit. Nevra essuie une larme de rire qui perle à son œil, alors qu'il se relève.

En ramassant son sac, son sourire meurt radicalement. Il plonge la main dedans et en ressort son étui en cuir. Lorsqu'il l'ouvre, ses épaules s'affaissent. Les ampoules sont détruites. Toutes écrasées lors de notre baignade imprévue. Le liquide rougeâtre s'écoule de la pochette tannée pour s'échouer dans l'écume du torrent. D'un geste qui se veut discret, il coince l'étui entre les rochers avant de se redresser l'air de rien, pour reprendre la route.

Il pense que je ne l'ai pas vu, trop occupée que j'étais sensée être à ramasser mes affaires. J'ai peur de savoir ce que ça implique. Mais je ne veux pas le froisser. Je me trompe peut être. Et puis, nous venons de retrouver un semblant de chaleur, alors je ne veux pas refroidir l'ambiance avec mes questions.

Ensemble et plein d'énergie, nous nous remettons en marche. Nous continuons donc de longer le fleuve, vers le Sud. Finalement, nous irons à Dorin. Si ces radins de nains ne veulent pas nous prêter un bateau, soit. Nous le volerons !






Continue Reading

You'll Also Like

4M 275K 82
La vie de Ruby bascule quand elle se découvre métamorphe alors qu'elle se rend à Forest Dawn, un camp pour surnaturels où elle vivra des vacances pou...
2.6M 79.2K 55
Après un terrible accident, Clara se trouve forcée de quitter Seattle et son frère pour aller vivre chez son cousin, Liam, à Los Angeles. Elle essai...
5.2M 267K 72
« Petit coeur est tombé sur une bombe »💥
2.6M 41K 13
Benjamin Jenkins n'a jamais oublié Isabella Grace, son premier amour, la seule à avoir su voir le véritable Ben derrière sa façade de charme et d'hum...