« ... et entrèrent dans le jardin empoisonné, aveuglés par l'éclat d'une lueur tubéreuse. »
– « Un cœur en fleur », Allie Rivoire
Peut-on tomber amoureuse d'une porte ?
Si oui, je serais prête à tromper Hans dans la minute pour toucher celle qui me faisait face.
— Elle est sans doute d'origine, commenta-t-il face à mon air émerveillé.
Le bois sombre, laqué, avait mystérieusement résisté aux ravages du temps, tel l'unique gardien d'un temple, à la fois garant et vestige de sa gloire passée. Le travail de menuiserie était incroyable : des brins de myosotis étaient sculptés à même le matériau, entrelacés de lianes boisées que la nature avait narquoisement imitées.
— On ne risque pas de l'abîmer ? m'inquiétai-je en voyant Hans pousser délicatement le battant.
À en juger par la résistance que la porte sembla lui opposer, le château de Mussy n'avait pas reçu de visite depuis un moment.
Mon petit ami ne répondit pas et se glissa à l'intérieur, probablement agacé par mes remarques d'urbexeuse en herbe. Il ne l'avouerait jamais, mais, au fond, je sentais qu'il regrettait de m'avoir amenée ici, même s'il ne l'avait pas encore tout à fait conscientisé.
En soupirant, je le suivis dans le vaste hall d'entrée, prête à découvrir un carrelage en ruine, des meubles pillés et des tentures à moitié arrachées – c'était le lot de tous les lieux abandonnés.
Pour une fois, mes attentes correspondirent à peu près à la réalité.
À peu près, à l'exception d'un objet vers lequel mon corps se tourna instantanément, attiré par sa présence même.
J'étais hypnotisée. Il émanait de lui une aura magnétique à laquelle je ne pouvais résister, tel un aimant qui aurait trouvé son double, incapable de s'en détacher.
La voix de Hans me tira de ma rêverie :
— Roxanne.
Je fronçai les sourcils, décontenancée. Il prononçait rarement mon prénom en entier.
— Je t'ai appelée trois fois, précisa-t-il, surpris par ma confusion.
— Désolée.
C'est tout ce que je trouvais à dire.
Je n'étais manifestement pas dans mon état normal, inutile de le détromper à ce sujet. C'était la fatigue...
Sans doute.
Peut-être.
— Je vais faire un tour à l'étage pour m'assurer que tout est safe, avant qu'on commence.
— Et je t'attendrai sagement ici, sans rien casser, acquiesçai-je, étrangement enthousiaste.
Hans ne détecta pas l'ironie et s'en alla, me laissant seule sur les carreaux de marbre brisés.
Décidée, j'agrippai les lanières de mon sac à dos et montai à mon tour les marches de l'immense escalier en bois pour contempler la source de ma fascination.
Contempler, oui. Contempler, c'était bien le mot.
Car à la seconde où mon regard embrassa l'objet de mes désirs, je ne parvins plus à m'en détacher.
Un tableau, là, face à moi. Sublime, extraordinaire.
C'était un portrait de plain-pied, tellement grand que son sujet me dépassait d'une bonne tête. Je me demandai un instant s'il ne s'agissait pas d'un roi, avant de me raviser : je l'aurais forcément aperçu dans un livre d'histoire, au collège ou au lycée.
Non, l'homme qui se tenait face à moi n'était pas un souverain, même s'il en avait la posture et – je le supposais – la carrure. Il posait de côté, un épais volume dans une main et une plume dans l'autre.
C'était un comptable, peut-être. Ou un écrivain.
Un érudit, indubitablement.
Un homme de goût, aussi. Je n'étais pas familière de la mode de l'époque, mais je devinais que son épaisse veste de velours verte, semblable à la plus précieuse des émeraudes, détonnait parmi les autres vêtements de cour avec ses fleurs cuivrées, brodées à même le tissu.
Des jacinthes des bois, réalisai-je en m'approchant. Symboles d'une fidélité parfaite.
Elles étaient éclairées par un effet de lumière. La lune, compris-je en étudiant le coin supérieur droit. Elle aussi pouvait créer des éclats irisés, lorsqu'elle se reflétait sur un vitrail, un miroir ou toute autre surface réfléchissante.
Nul besoin d'effectuer une analyse complète du tableau pour comprendre qu'une attention considérable avait été portée aux détails. Le fond lui-même se détachait de la toile, comme s'il appartenait au mur. La tapisserie avait certes jauni par endroits, mais les arbres et plantes qui l'ornementaient restaient admirablement bien conservés, compte tenu de l'état du château.
Le cadre était simple, pour ne pas dire invisible. Brillant, sans fioritures. Destiné à attirer le spectateur vers le personnage central, le seul qu'il fallait remarquer.
Il était beau, remarquai-je. Plus que l'image que je me faisais des nobles des siècles passés.
Ses cheveux, rassemblés en une série de rouleaux parfaitement égaux, se substituaient au port d'une perruque, et l'absence de mèches blanches suggérait son jeune âge ou sa vanité, au choix.
Mais ce ne furent ni ses habits, ni sa coiffure qui me fascinèrent le plus : ce fut son visage.
Doux, sensible, élégant... profondément humain, quoiqu'habité d'une noirceur qu'il semblait peiner à contrôler. Son expression était sombre, torturée, marquée par le poids de sa propre histoire, passée et à venir.
Ce constat m'effraya tant que je reculai d'un pas, mon dos basculant contre la rambarde.
Cet homme fait de temps et de pigments m'impressionnait, me révulsait, m'obsédait, me terrifiait, m'inspirait, m'agitait d'un sentiment que, j'en étais sûre, je ne ressentirais jamais autrement qu'en l'observant.
Comme si mon âme le connaissait déjà, comme si mon être n'aspirait qu'à le toucher.
Son regard, toutefois, me troubla encore davantage. Il était fuyant, craintif... vivant.
Et inéluctablement posé sur moi.
On part sur une petite ambiance type Le Portrait de Dorian Gray, là. 😅 Vous l'avez lu ? Ce roman est incroyable !
Quelles sont vos impressions, concernant le tableau ? Et la réaction de Roxanne ? Voilà qui devrait alimenter certaines de vos théories... 👀
Vous appréciez le couple qu'elle forme avec Hans ? J'ai hâte de vous en dire plus à ce sujet ! 🥰
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