– Nous sommes bientôt arrivés. Tu vas bientôt pouvoir apercevoir la ville, m'annonce Drew.
Cela fait environ une vingtaine de minutes que nous roulons. Je ne m'étais pas rendue compte, la première fois que j'avais fait le trajet dans l'autre sens, que la ville était aussi loin du Bureau. Je me souviens encore du jour où Angela, Drew et Alex étaient venus me récupérer juste avant que je n'escalade la clôture de Chicago. Je souhaitais alors entrer dans la ville, afin de trouver de quoi manger et un endroit pour dormir, en essayant de mettre le plus de distance entre la Marge et moi. Cela fait ... quatre ans déjà... . J'ai beaucoup changé et appris depuis. Et je reviens, avec la certitude cette fois d'entrer dans cette ville qui m'avait attirée autrefois.
La route est calme. Tout est désert. Pas un seul animal ni même une trace de verdure.
– C'est la guerre qui a tout ravagé, m'explique Drew. Les gens ont fui et se sont réfugiés dans la ville ou bien dans des villages un peu plus loin. Tout a été abandonné et rien n'a jamais repoussé. La nature a été durement abîmée lors des combats sanglants.
Je remarque que la terre est ... orange, avec une petite teinte de rouge.
Je grimace.
– Ne t'en fais pas. Ce n'est pas du sang, me rassure Drew. C'est le Soleil qui fait cela. Nous arrivons dans deux minutes.
Je sens mon cœur battre contre mes côtes. Je suis tellement impatiente.
– Tu es sûre de ne rien avoir oublié ? Nous ne pourrons pas faire demi-tour. Il faudra faire vite avant que quelqu'un se rende compte qu'une personne s'est introduite par effraction. Je vais me garer pas loin et nous nous dépêcherons. Une fois devant la clôture, tu l'escaladeras. Je couperai le courant de la clôture pendant deux secondes, le temps que tu passes de l'autre côté, puis je le réactiverai. Après cela, tu ne pourras plus revenir en arrière.
– Ok.
– Prépare-toi. On y est.
C'est alors que se dessine devant moi la clôture entourant la ville, constituée d'un mur puis de longs fils, sûrement électriques. Au loin, je peux apercevoir quelques tours, dont les sommets, pointant vers le ciel, sont facilement repérables.
– Vas-y, m'ordonne Drew.
Il arrête le moteur. J'ouvre la porte en trombe, saute du véhicule et cours en direction de la clôture. Pendant ce temps, j'entends Drew descendre de la voiture.
Je me sers du crochet que Drew m'a donné et j'escalade le mur. Heureusement que je me suis entraînée pendant un an, sinon j'aurais été incapable d'accomplir cette prouesse physique.
Je continue mon ascension et au bout d'une minute, j'arrive enfin en haut du mur. Je me hisse à l'aide de mes bras et me remets debout, en essayant de ne pas toucher les énormes fils électriques. Ils me paraissaient beaucoup plus petits, vus du sol.
– Natalie ! me crie Drew. Dans trois, deux, un ...
Un petit bruit sec retentit et les fils tremblèrent légèrement.
Je pris mon élan et sauta de l'autre côté du barrage de fil. À peine avais-je atterri que le même bruit sec retentit, m'annonçant que le courant avait été remis.
– Je te souhaite bonne chance. À bientôt Natalie !
Je tourne la tête et aperçois Drew qui me fait un signe de la main.
– File avant que quelqu'un ne vienne ! me dit-il.
Je lui lance un dernier sourire, puis saute du haut du mur. J'atterris sur de l'herbe verte et me mets à courir en direction des quelques gros arbres qui se trouvent devant la ville. Je cours le plus vite possible, sans m'arrêter et sans regarder en arrière.
Après quelques vains efforts, me voici saine et sauve, à la lisière de la minuscule forêt, à l'abri des regards.
Je reprends mon souffle en regardant la clôture. Ça y est. Je suis à Chicago. J'ai réussi à traverser la clôture, sans me faire prendre. Maintenant, il faut que je trouve ...
– Natalie ?
Je me retourne brusquement.
Une fille aux cheveux noirs me regarde. Elle fait la même taille que moi. La ressemblance entre nous est frappante. Elle a peut-être un peu plus de muscle que moi et des pommettes roses, mais sinon, nous nous ressemblons beaucoup.
– Je m'appelle ...
– Nadine ! Bonjour Nadine. J'étais justement en train de me demander où j'allais te trouver.
– Je t'ai vue courir vers la forêt. Tu as une bonne endurance.
– Je me suis beaucoup entraînée. Il faut bien que je survive aux entraînements des Audacieux.
– C'est vrai que lorsqu'on n'est pas un natif des Audacieux, c'est un peu plus dur. Mais je suis sûre que tu seras à la hauteur. Après tout, tu changeras de faction à la Cérémonie du Choix. C'est cela ?
– Oui. Je dois aller chez les Érudits.
– Viens. Nous discuterons en chemin. Il ne faut pas que l'on nous trouve ici. Maman nous attend à la maison.
– Ok.
Nous nous mettons en route, sur un petit chemin fait de cailloux, traversant la petite forêt, en direction du centre-ville.
– Alors ? C'est bien la vie au Bureau ?
– Oui. Ils sont super gentils et très attentionnés. Tu verras. Tu t'y plairas beaucoup.
– J'en suis sûre. Ils avaient l'air gentils quand nous avons discuté via leur agent qui est implanté dans la ville. De plus, ils m'ont proposé de vivre chez eux. Je ne m'y attendais pas du tout. Ils m'ont vaguement expliqué que j'étais une divergente et que je devais quitter la ville car les divergents étaient traqués. Ma mère me rejoindra après la cérémonie du Choix.
Nous arrivons à la lisière de l'autre côté de la forêt. La ville nous fait face.
Elle est constituée de nombreuses tours, certaines faisant au moins une centaine de mètres, voire plus.
– La tour que tu vois là-bas, me montre Nadine, celle qui est la plus grande et haute, c'est la tour de contrôle des Érudits. Tout ce qui est autour appartient aux Érudits. C'est leur quartier. Juste devant nous, tu as le quartier des Altruistes et à gauche celui des Sincères. À droite, tu as le quartier des Fraternels. Ils habitent tout près des champs, comme cela c'est plus pratique pour eux. Et à l'autre bout, c'est le quartier des Audacieux. Nous nous situons juste en face de la centrale électrique de la Clôture. Par contre, on va devoir prendre le train pour se rendre chez les Audacieux. Ce n'est pas tout prêt.
– Ok.
– Ça va ? Désolée, ça fait beaucoup d'informations d'un coup. Dis-moi si tu as des questions.
– Non, non. C'est bon.
– Viens. La station est là, dit-elle en montrant un petit bâtiment. Je vais mettre ma capuche, pour que personne ne voit que nous nous ressemblons. A partir de maintenant, tu prends mon rôle. Je suis ta cousine, et si je porte ma capuche, c'est que je suis sensible au Soleil.
– D'accord.
Nous marchons sur le petit chemin et arrivons devant la gare.
– Tiens. Nous avons de la chance. Le train arrive.
Je regarde et aperçois une petite locomotive qui avance vers nous. Cela ressemble au tram que je prenais parfois quand j'étais petite.
– Dépêche-toi ! Le train ne s'arrête pas.
– Hein ? Mais comment on est censé monter ?
– En courant.
– Quoi ?
– Éloigne-toi du bord pour prendre de l'élan. Je te dirai quand il faudra courir. D'accord ?
– Ok, je réponds pas très rassurée. Tu es sûre ... ?
– Ne t'inquiète pas ! Tout va bien se passer ! Tu vas voir, tu vas t'y habituer !
– Il faudra que je le reprenne après ?
– Bien sûr ! Quand tu iras au lycée, tu devras le prendre quotidiennement. Mais tu vas t'y faire. Tu es prête ? Trois, deux, un ...
Je me mets à courir, prends de l'élan et ... atterris dans le train. Je perds l'équilibre à la fin et me rattrape sur Nadine.
– Ça va ? me demande-t-elle.
– Oui, oui ! je dis en reprenant mon souffle.
Je regarde tout autour de moi. Le train est ... vide. Il n'y a aucuns fauteuils ou autres pour s'asseoir, contrairement au tram que je prenais quand j'étais petite.
– Comment fait-on pour s'asseoir ? je demande à Nadine.
- S'asseoir ? Non. Il n'y a pas de sièges. C'est plus pratique que le train soit vide pour sauter. Et parfois, il sert à transporter des marchandises et autres.
– Ok.
– On a environ cinq minutes de train. Je te dirais quand tu devras prendre ton élan.
– Parce qu'il va falloir sauter à nouveau ?
– Pour sortir. Le train ne s'arrête jamais. Il roule à la même allure. C'est aux voyageurs de s'adapter et de s'arranger pour monter. C'est pour cela qu'il y a beaucoup d'Audacieux qui prennent le train. Nous sommes habitués à faire des efforts sportifs. Les autres factions préfèrent aller à pied. Tu verras, le terminus se situe dans le quartier des Audacieux.
– Donc, le train est aux Audacieux ?
– Si l'on veut. Il n'y a que nous qui l'utilisons ou presque. Certains d'autres factions essayent de le prendre, mais au bout d'une fois ou deux, ils abandonnent.
J'essaie de regarder par les fenêtres mais le train roule tellement vite que je n'aperçois pas grand-chose.
– En arrivant, je vais te faire visiter le secteur des Audacieux. Maman te fera visiter la ville demain. C'est mieux si c'est elle qui te fait visiter, pour que les gens croient que tu es sa fille. Pour l'instant, je vais t'emmener chez moi, comme ça tu pourras te reposer, et faire la connaissance de ma mère. Tu es prête ?
– Heu ... oui ! je dis d'un air peu rassuré.
– Trois... deux... un... vas-y !
Je prends mon élan et saute. J'atterris sur ... un toit d'immeuble. Cette fois-ci, j'arrive à ne pas perdre l'équilibre.
– Je suis impressionnée, me dit Nadine. Tu es la première personne non native des Audacieux qui arrive à sauter sans tomber.
– J'avoue que je me suis entraînée pendant un an avant de venir ici. Il fallait que je sois à la hauteur pour survivre aux entraînements.
– C'est parfait ! Je te donnerai quelques cours en t'expliquant ce que nous faisons tous les jours. Comme ça, tu ne paraîtra pas perdue. Viens ! Il faut qu'on se dépêche.
- Pourquoi ?
– Parce qu'après, ça va être l'heure du repas et que la plupart des Audacieux seront à la cafétéria.
Nadine marche vers l'autre côté du toit de l'immeuble.
– Et nous, on n'y va pas ? je demande.
– Non. La cafétéria c'est pour ceux qui habitent dans des chambres et qui n'ont pas de quoi se faire à manger. Avec Maman, on habite dans un petit appartement. On ne va que très rarement à la cafétéria. Cela tombe bien car comme je n'y vais pas, je ne suis pas très connue parmi les Audacieux. Ce qui sera plus pratique pour ton intégration.
– Tu as des amis ?
– Deux. Un garçon et une fille. Tu verras. Ils sont très gentils.
– Ils sont au courant pour moi ?
– Oui. J'ai été obligée de leur dire. Par contre, le Bureau m'a demandé de me faire porter malade pendant un mois, pour cause d'infection. Quand tu iras aux entraînements, tu seras censée être moi, guérie. Les gens trouveront que j'ai changé et tu n'auras qu'à dire que c'est à cause de l'infection. Tu comprends ?
– Et bah ! Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi bien organisé.
– Le Bureau nous a beaucoup aidé. Ils tiennent à toi là-bas. Ils ont pris toutes les précautions possibles.
– Oui. C'est leur spécialité.
Nous arrivons au bord du toit. Juste devant nous, il y a une sorte de grand trou.
– Ne me dis pas qu'il va falloir sauter ! je dis d'un air désespéré.
– Si ! Je suis désolée...
– Je vais finir par m'y faire ! Mais j'avoue que je ne m'attendais pas à ça.
– Saute la première. Je te rejoins après. Tu verras, en bas, il y a un filet pour amortir ta chute.
– Ok.
Je m'avance doucement, d'un air peu rassuré. Je prends mon élan en même temps que ma respiration et saute.