Erik
J'étais soulagé que la vérité ait enfin éclatée. Finalement, elle l'avait plutôt bien pris. J'aurais dû m'en douter. Ellie est vraiment pleine de force et de courage.
Sa dernière question fit renaître en moi le souvenir de notre première rencontre. Elle n'avait que deux ans et son univers venait d'éclater, elle se retrouvait loin de sa famille et pourtant elle ne pleurait pas. Elle avait fixé ses grands yeux graves sur moi et m'avait souri.
Dans ce sourire, il y avait déjà les prémices de la malice, la curiosité, le courage et la détermination de la jeune femme qu'elle allait devenir.
Ce jour j'avais pensé que serment ou pas, rien ni personne ne pourrait m'empêcher de veiller sur elle.
Je crois que c'est dans ce premier regard que mon cœur s'était noyé.
*****
Ellie
Je rêvai...
Je voyais mes parents sourire tristement en me chantant une berceuse puis l'instant d'après ils étaient en train de parler avec deux silhouettes sombres.
Ma mère s'accrochait, les dents serrées, au bras de mon père comme s'il était son dernier ancrage. Je la vis tendre un gros paquet à la plus petite silhouette qui s'éloigna rapidement avec son précieux fardeau dans les bras.
Soudain, un rayon de lune éclaira les deux individus. Il s'agissait de Marta et Mark, mes parents adoptifs, leur fardeau était une petite fille aux boucles rousses profondément endormie.
Soudain le rêve se transforma. Je sentis une présence extérieure s'immiscer dans mes songes. Au départ je la repoussai puis je reconnus l'esprit bienveillant de mon oncle.
« Ellie, je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai du mal à garder la connexion avec cette distance entre nous. Tu dois savoir que la famille Olson va bien. Dès les premiers bruits de sabot les filles se sont réfugiées dans la forêt. Mark a été légèrement blessé en voulant protéger le village de ses assaillants, mais ne t'inquiète pas il va vite guérir... Les attaquants ont vite compris que tu n'étais pas là. Il n'y a pas eu de blessés graves, surtout des dégâts matériels... Ellie... Le plus gros de l'armée est repartit pour les royaumes... mais... Euh... les villageois disent qu'ils ont vu une vingtaine de cavaliers noirs partir vers l'Est. Vous devez être très prudents. Je ne sais pas comment ils font mais ils vous suivent ! Surtout ne voyage plus dans les rêves... »
Déjà je sentis l'esprit d'Alrek s'estomper. Je me réveillai en sursaut. Dehors le soleil commençait à peine à se lever, Erik dormait à poing fermé. Les révélations d'Alrek m'avaient glacé le sang. Je décidai de réveiller Erik pour l'alerter et fuir au plus vite ces étranges poursuivants.
A peine avait-t-il les yeux ouverts que je lui répétai les paroles de mon oncle. Au départ, je vis le soulagement s'afficher dans ses yeux quand il comprit que sa famille était saine et sauve. Puis peu à peu je vis la peur et la colère s'infiltrer dans son cœur quand il réalisa la deuxième partie du message. Vite nous commençâmes à défaire le camp et nous partîmes sans même prendre le temps de déjeuner.
Nous devions mettre le plus de distance possible entre nous et les cavaliers noirs !
C'était donc avec un pas décidé et un air soucieux que nous avions commencé l'ascension de la montagne. Au départ le chemin était assez large et la pente plutôt douce. Pour deux jeunes en bonne santé comme nous, la marche rapide ne posait pas trop de problème.
Je savais qu'au fur et à mesure que nous prendrions de l'altitude la végétation changerait et deviendrait plus éparse, la faune serait également moins présente.
Pour l'instant nous suivions un petit sentier de montagne rocailleux, entouré de grands sapins, d'épicéas et des hêtres centenaires. Les sous-bois étaient parsemés d'écorces et d'aiguilles de pins où le manque de lumière empêchait la croissance des petits arbustes. Sur les bords plus éclairés poussaient des myrtilles succulentes et des digitales pourpres, parant les sentiers d'une merveilleuse teinte violette.
Après que le soleil fut passé à son zénith, le chemin devint de plus en plus escarpé. Nous ne pouvions que marcher l'un derrière l'autre pour ne pas tomber dans le ravin. Cela me rassurait car cela signifiait que nos poursuivants ne pourraient pas rester à cheval. Nous avions donc une chance de les distancer...
Après de longues heures de marche au pas de course, nous décidâmes de nous arrêter pour manger un peu.
Pendant notre repas nous restâmes quasiment silencieux. Échangeant quelques mots sur l'attaque de la veille, les yeux tournés vers la vallée en contrebas.
Au moment de repartir Lupo se mit à grogner vers un gros rocher situé à quelques pas. Alerté, Erik sortit son épée.
Il me fit signe de rester silencieuse et de prendre mon bâton. Pendant que Lupo continuait à grogner, Erik fit le tour furtivement.
Je sentais la peur monter en moi. Comment avaient-ils fait pour nous rattraper si vite ?
Soudain je vis un jeune homme effrayé sortir les mains en l'air, l'épée de mon frère pointée dans le creux de ses reins.
Il semblait avoir une vingtaine d'année comme Erik, il était blond aux yeux bleus, il portait des habits de trappeur. D'ailleurs il avait un arc attaché dans le dos et un couteau à dépecer à sa ceinture.
La terreur transparaissait dans ses yeux faisant la navette entre le loup géant et l'homme le menaçant d'une épée.
Comprenant qu'il était bien plus effrayé que dangereux, je posai lentement ma main sur la tête de Lupo pour lui intimer le calme.
Suivant mon exemple, Erik baissa son épée et demanda :
— Qui es-tu ? Pourquoi nous suis-tu ? dit-il sans ménagement.
— Je... Je m'appelle Einar, je viens du sud de la vallée et je ne vous suivais pas du tout. Bien au contraire ! J'étais en train de chasser quand je vous ai vus. Après les évènements de la veille, vous voir avec un énorme loup m'a un peu effrayé, je l'avoue ! Je me suis caché en attendant votre départ, dit-il en rougissant.
— Pourquoi chasses-tu si loin de ton village ? demanda encore plus sèchement Erik.
— Je me rends vers les cités libres pour vendre des peaux et des fourrures.
— Désolée de t'avoir fait peur, dis-je en souriant. Je suis Ellie et voici Erik mon pro...
— Son frère ! me coupa Erik en me faisant des yeux noirs.
— Oui, mon frère Erik et Lupo mon loup. N'ait pas peur. Donne-moi ta main pour que je te présente à lui. Une fois qu'il aura senti ton odeur, il saura que tu n'es pas une menace, dis-je en lui tendant la main.
— Sans façons ! Pour l'instant je me passerais de ce genre de présentation, dit-il d'un air soupçonneux. Que faites-vous dans les montagnes ? Savez-vous ce qui s'est passé dans la vallée ? Je vous ai entendu parler d'une attaque.
— D'après les quelques informations que nous avons eues, des soldats de l'armée Noire ont attaqué la vallée. Il y'a eu quelques blessés mais seul des dégâts matériels sont à déplorer, déclara Erik avec un peu moins d'hostilité.
— L'armée Noire ! Mais pourquoi est-elle venue dans la vallée ? s'exclama le jeune homme.
— Nous ne savons pas, mentis-je. En tout cas nous allons dans la même direction donc nous pouvons faire un bout de la route ensemble si tu le souhaites.
— D'accord, c'est entendu. Je préfère garder un œil sur ce loup plutôt que le savoir dans mon dos, dit-il avec un regard noir en direction de Lupo qui se remit à grogner, provocant.
Dès que la conversation se termina, je sentis la colère d'Erik se reporter sur moi. Il me prit par le bras et m'entraina à l'écart :
— Qu'est ce qui t'a pris de lui dire où nous allions ? Seule la discrétion et le secret t'ont permis de survivre jusqu'ici. Personne ne doit soupçonner qui tu es !
— Je sais tout cela ! Mais j'ai senti quelque chose en lui. Je crois que d'une manière ou d'une autre il fait partie de notre quête. Et puis j'ai pensé qu'un arc supplémentaire ne serait pas de refus pour affronter nos poursuivants.
— Bon, pour cette fois je crois que tu as raison. Il n'a pas l'air d'avoir de mauvaises intentions. Mais dorénavant, c'est moi qui prendrais ce genre de décision et n'oublie pas : nous sommes un frère et une sœur en route pour rendre visite à une vieille tante dans les cités libres.
— D'accord, mon Frère ! dis-je en insistant sur le dernier mot.
Nous ramassâmes nos sacs pendant qu'Einar partit chercher le lourd fardeau qu'il avait laissé dissimulé derrière le buisson et nous repartîmes à grand pas.