Chapitre 33 : Confidences

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- C'est dommage, continua Aodan à mi-voix, inconscient du geste de la jeune femme. J'avais l'espoir que nous puissions... entretenir une correspondance.

Il se mit à tousser. Dans l'expectative, Sanhild se contenta de tapoter le pommeau de son poignard. Que voulait-il dire ? Qu'il avait songé à garder un lien avec elle à son départ de Tremoria ? Cette idée, contre toute attente, l'emplissait d'une joie diffuse. 

- Une correspondance ? reprit-elle, sans trop savoir pourquoi elle encourageait la conversation.

Aodan lâcha un étrange petit rire, aux accents de tristesse.

- Vous devriez oublier ce que je viens de dire. Cela n'a guère plus d'importance. Si ce n'est pas mon frère qui me tue, c'est vous qui le ferez, sans doute.

Il n'avait pas tort. Elle était à deux doigts de céder à la raison et de se débarrasser de lui. Pourtant, elle hésitait encore. Il fallait bien quelqu'un pour remplacer Cierhan à la tête du domaine de Tremoria. La réaction d'Aodan devant la félonie de son frère prouvait que lui-même n'envisageait pas de trahir la reine. Cet état de fait justifiait-il de dévoiler sa couverture ? Devait-elle prendre, par là-même, la responsabilité de le faire devenir l'un des indicateurs de l'Ordre ?

Sanhild eut un rictus amer. Elle imaginait sans mal l'expression incrédule de la mère Supérieure lorsqu'on lui évoquerait ce noble si peu enclin à défendre les méthodes de la souveraine. Sans compter que, si Sanhild mettait en avant Aodan, elle risquait de devoir répondre de son lien avec lui. Si les Officieuses devinaient qu'elle ressentait quoi que ce soit à son égard, elle ne donnait pas cher de leur vie à l'un et à l'autre. Non, vraiment, la solution la plus sûre pour elle était de se débarrasser de lui.

Le calme avec lequel Aodan avait constaté l'évidence, la fit pourtant réagir.

- Vous êtes encore en vie, s'agaça-t-elle sans peser ses mots.

Elle regretta aussitôt son accès de colère, mais poursuivit durement :

- Aodan, par l'amour des Six ! Vous êtes-vous donc déjà résigné ?

Il ne répondit d'abord rien. Puis, quand elle pensa que la discussion était close, il reprit la parole avec calme :

- J'ai appris à accepter une situation quand elle ne peut être changée. Je veux bien me battre, mais pas m'agiter en pure perte. Pour le moment, je suis vivant et je m'en contente. Je préfère de loin discuter avec vous, que vous envoyer des courriers. Ma condition n'est pas si malheureuse que l'on pourrait le penser. Je suis en bonne compagnie.

Etrange façon de considérer la situation. Pensive, Sanhild continuait à caresser le pommeau de son poignard. Un coup net, par surprise et elle n'aurait qu'à abandonner le corps là. Qui penserait à venir le chercher ici ? Cierhan ? Ce dernier serait trop heureux que l'Officieuse lui ait facilité le travail pour s'en plaindre !

Elle soupira. Cette simple pensée lui tordait le ventre.

- Je suis heureux d'avoir eu l'occasion de vous revoir, avant de mourir, continuait Aodan comme s'il n'avait toujours aucune conscience du dilemme qu'elle vivait.

La façon dont il appréhendait la situation la dépassait. Elle avait appris, depuis toute petite, à se battre pour changer les choses. Se battre contre les wrags, enfant, en aidant à dresser des palissades. Se battre contre sa propre faiblesse lorsqu'elle avait été dévastée par la perte de sa famille. Se battre pour mériter sa place d'Officieuse, adolescente, lorsque les plus âgées la testaient durement. Se battre contre elle-même, enfin, quand elle avait tué pour la première fois et failli tout abandonner de dégoût. Se battre, toujours, contre ce sentiment qui lui enserrait le cœur à chaque fois qu'Aodan évoquait sa propre mort.

OfficieuseOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz