Chapitre 15 : Gredor

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Sanhild n'avait pas plus tôt mis un pied dans les jardins, ce matin-là, que Cierhan la rejoignait, selon lui par un « heureux hasard ».

- Puis-je vous proposer ma compagnie pour votre promenade, chère Sannarhia ? demanda-t-il poliment.

Le soleil d'hiver, voilé par de lourds nuages noirs, peinait à éclairer les massifs de fleurs et traçait des ombres mouvantes le long du chemin. Un petit vent glacé se frayait entre les arbres et les faisait ployer, malgré les hauts murs de pierre qui enserraient les lieux. Sanhild resserra les pans de sa cape pour se protéger de l'humidité. Le mauvais temps ne l'effrayait pas et, lorsqu'on vivait dans une citadelle troglodyte, un peu d'air frais était nécessaire, chaque jour, pour ne pas étouffer. 

De plus, un peu de calme lui ferait du bien. Aodan organisait en ce moment même le repli des villages alentours vers la forteresse. Si le peuple n'avait pas accès aux mêmes couloirs et pièces que la famille seigneuriale et ses invités, il n'en demeurait pas moins que la cour résonnait d'allées et venues effrénées.

Cierhan s'était incliné cérémonieusement, fidèle à ses manières de gentilhomme.

- Avec grand plaisir, messire, accepta Sanhild sans se départir de son sourire.

Le jeune homme parut soulagé. Peut-être craignait-il qu'elle lui tienne rigueur de la découverte de ses fiançailles. Il se permit de lui prendre le bras et la mena de massif en massif, commentant les différentes plantes qui y poussaient.

À bien y regarder, le jeune noble avait un trait commun avec sa sœur : le bavardage était son point fort. Cela convenait bien à Sanhild, qui se contentait de répondre par des hochements de tête à ce qui ne la passionnait pas vraiment. Cierhan n'y faisait pas attention, trop occupé à la complimenter dès qu'il en avait l'occasion. Plus la jeune femme apprenait à le connaitre, plus il lui paraissait trop frivole pour fomenter un complot. Ses sujets de conversation paraissaient quelque peu limités et sa science semblait se restreindre à la politesse nécessaire pour courtiser les dames.

- J'espère que votre séjour vous plait ! s'exclama-t-il en la guidant dans une allée un peu moins exposée au vent. Ma sœur m'a dit que vous preniez plaisir à chanter auprès d'elle. J'ose espérer que vous resterez parmi nous suffisamment longtemps pour nous donner un petit récital.

- C'est trop d'honneur, protesta Sanhild avec un rire léger, je ne prétends pas mériter pareille attention ! Mais, si vous insistez, je tâcherai de me montrer à la hauteur.

L'invitation à rester davantage ne pouvait se décliner. La jeune femme aurait simplement préféré ne pas devoir chanter à nouveau. Enfin, tant que personne ne la forçait à entonner "petite étoile"...

- Votre prestation, lors de votre arrivée, était magnifique. Elle a su toucher le cœur de tout l'auditoire.

Sanhild ne put s'empêcher de rougir de honte de s'être ainsi donnée en spectacle. Elle aurait préféré éviter de se remémorer ses pleurs ridicules. Cierhan prit sans doute cette réaction pour de la modestie car il s'écria aussitôt :

- Je vous assure que mon compliment est mérité ! Cet air doit vous être cher pour que vous l'interprétiez avec tant d'émotion.

Cette fois, Sanhild pâlit. Elle n'appréciait pas la tournure que prenait la conversation.

- Comment m'avez-vous dit que se nommaient ces plantes ? demanda-t-elle pour donner le change.

Cierhan ne se formalisa pas de cette absence de réponse et il se baissa pour cueillir une délicate fleur d'un blanc éclatant.

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