La Souveraine (6)

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— Mais ils doivent payer les taxes ! s'offusqua un ministre.

— N'est-ce pas plutôt le roi qui est censé aider sa population ? cingla Eliane. Arrêtez-moi si je me trompe, mais il me semble que l'unique raison pour laquelle les paysans doivent une taxe à leur souverain, c'est afin que celui-ci les aide en retour.

— Absolument pas ! La royauté est un privilège avant tout ! grinça le même vieillard, agacé.

Eliane ne chercha pas à réprimer le sourire dur qui affleurait à ses lèvres.

— Donc si je vous démets de vos fonctions et vous chasse du château, demain, vous serez capable de remplir vous-même votre assiette, en allant labourer la terre si c'est nécessaire ?

— Parce que vous en êtes capable ?

Le ton hautain fit courir des frissons sur les échines des autres ministres, qui se mirent brusquement à craindre la réaction d'Eliane d'Ombre. Ils étaient conscients que leur confrère poussait ses droits un peu trop loin, la mâchoire serrée de Vilhelm en attestaient. Mais le roi ne faisait pas mine d'intervenir.

— Oui. Et vous ?

La réponse, si simple qu'elle en devenait provocatrice, avait quelque chose d'insidieusement menaçant. Cette fois-ci, le vieillard le perçut, et recula instinctivement dans sa chaise, réalisant enfin ce qu'il venait de dire. Il jeta un regard angoissé à son souverain, qui regardait toujours son épouse, comme incapable de s'en détacher. Eliane, s'en apercevant, se tourna vers lui avec un sourire.

— Altesse ?

— Le conseil est ajourné, déclara-t-il d'une voix distante. Messires, je vous retrouverai demain pour nos discussions habituelles.

Ils n'osèrent protester, déguerpirent au plus vite. Le lourd battant de bois claqua derrière eux lorsque le dernier, le vieil homme, eut fiché le camp, ses parchemins ramenés contre sa poitrine comme un trésor. Eliane les regarda fuir avec un sourire pensif.

— Altesse, si vous trouvez que je dépasse les limites, vous devez me le dire... soupira-t-elle finalement.

— Au contraire, fit Vilhelm en lui attrapant le poignet d'un geste familier. Je me demande chaque jour un peu plus combien j'en sais encore peu sur l'art de régner.

Elle lui sourit, fit pivoter sa chaise pour lui faire face. Le raclement du bois contre les pierres froides résonna quelques secondes dans la petite pièce, avant d'être brisé par un soupir :

— Je vous ai observée, cette dernière lune. Vous êtes impressionnante. Votre initiative avec les serviteurs, vos petites modifications dans l'administration... J'ai l'impression que le palais ne pourrait pas mieux fonctionner, et pourtant, chaque jour vous changez quelque chose, et chaque jour, ça s'améliore encore un peu.

Eliane baissa les yeux sur sa main blanche, que son mari serrait doucement, pensive.

— Vous savez, finit-elle par souffler, peu avant notre couronnement, votre père m'avait demandé pourquoi je désirais le pouvoir. Je lui ai répondu que j'avais la possibilité de l'obtenir, et que je n'allais pas m'en priver. Mais ce n'est qu'une partie de la vérité.

Vilhelm l'écoutait en silence. Son pouce dessinait de petits cercles concentriques au creux de la paume de sa femme, qui se prit à sourire.

— La totalité de la vérité, c'est que je sais que le modèle d'Ombre est durable, et juste. Et cela me peine de voir qu'il n'est pas appliqué ailleurs, que les populations pauvres souffrent de la cruauté des plus grands. Alors, si je peux changer quelque chose...

Dynasties / ElianeWhere stories live. Discover now