La Demoiselle (7)

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Un frisson parcourut la peau d'Eliane lorsqu'Astryd plaça le collier sur son cou, l'effleurant de ses doigts glacés. Elle jeta un regard critique au miroir, jugeant avec sévérité sa tenue, guettant le moindre pli mal placé. Finalement satisfaite, elle glissa ses pieds dans une paire d'escarpins noirs vernis, prit deux pas de recul, et considéra avec attention l'ensemble.

Dans la masse noire de la volumineuse robe cintrée à la taille, sa peau blanche ressortait comme un croissant de lune au milieu d'une nuit sans étoiles. Toute sa bijouterie argentée, depuis ses boucles d'oreilles jusqu'aux fins bracelets qui enserraient ses poignets, était agrémentée d'obsidiennes mates qui semblaient absorber la lumière des torches. Ses yeux azurins perçants étaient soulignés d'un sévère trait de khôl qui partait du coin intérieur de la paupière, et se terminait en fine pointe à mi-chemin des tempes. Dans toute cette noirceur, ses lèvres pincées se réduisaient à une fine ligne rose pâle, à peine perceptible.

Elle raidit son dos, recula ses épaules, leva imperceptiblement le menton. L'effet fut radical : de vaguement humaine, elle devint inaccessible. Une statue de glace, froide et impersonnelle.

— Trop ? interrogea-t-elle.

Sa voix distante, ferme et maîtrisée, manqua de souffler la bougie qui avait été placée sur le cadre du miroir. Astryd sourit.

— Peut-être un peu.

Eliane inclina la tête.

— Il faudra au moins ça pour calmer les pulsions meurtrières de Dalethras, grinça-t-elle.

La domestique opina du bonnet, réajusta les lacets du corset de la robe, chassa une infime particule de poussière qui s'était posée sur le bustier de tissu rigide. Eliane fit deux pas en arrière, admira l'espace d'un instant la ceinture de cristaux transparents sur la robe, qui descendaient en pics agressifs jusqu'à la moitié du jupon.

— Tu seras dans la foule ?

— Quelque part au fond, probablement, répondit Astryd.

La Dame d'Ombre, qui n'avait jamais mieux porté son nom qu'en cet instant, hocha la tête et se détourna définitivement du miroir.

Dans le couloir, un groupe de gardes en habit d'apparat d'Ombre l'attendait. D'habitude, ils demeuraient dans les casernes, en compagnie des autres soldats, sachant pertinemment qu'Eliane n'aimait pas être suivie au quotidien, mais pour une fois, afin d'appuyer l'autorité de juge de la jeune femme, ils l'accompagneraient. En la voyant sortir de sa suite, ils portèrent leurs deux mains jointes à leur poitrine, et s'inclinèrent face à elle comme un seul homme. La Dame leur retourna le salut, et se mit en marche en direction de la salle du trône.

Le palais était muet. Pas un murmure ne résonnait entre les murs de pierre, pas une silhouette ne se mouvait aux intersections. La lumière même des torches paraissait s'être réduite, par rapport à d'habitude, et les rayons d'un soleil fatigué, dissimulé derrière d'épais nuages noirs, ne parvenaient pas à traverser les fenêtres pour réchauffer l'air.

Muette dans cet environnement oppressant, Eliane avançait en faisant le vide dans sa tête. Aujourd'hui, elle était juge pour un crime qu'elle avait elle-même commandité. Elle savait qu'elle ferait son possible pour sauver l'un des siens, mais qu'elle n'irait jamais jusqu'à compromettre sa propre sécurité. L'homme avait agi en connaissance de cause, en sachant pertinemment ce qu'il encourait. Si Tyrha maintenait la version qu'elle avait proférée trois jours plus tôt, il serait considéré coupable. La seule chose que la Demoiselle d'Ombre pouvait faire était de tenter d'alléger sa sentence.

Les immenses portes de la salle du trône avaient été fermées, mais elle entendait le bruissement des conversations à l'intérieur. Elle s'immobilisa un instant devant les battants fermés, prit une profonde inspiration, figeant une bonne fois pour toutes le masque d'impassibilité sur son visage, puis fit un signe de la main aux soldats. Les immenses vantaux grincèrent sur leurs gonds, les visages se tournèrent vers la nouvelle arrivante, les murmures s'estompèrent. Bientôt, dans le silence absolu qui avait gagné la salle, Eliane s'avança. Ses talons claquaient sur le sol de pierre au même rythme que ses battements de cœur, emplissaient le large espace d'un unique son. L'ensemble de la pièce semblait retenir son souffle, observait Eliane. Mais Eliane ne regardait personne. Ses yeux étaient fichés sur le large trône de bois sculpté, vide, qui avait été placé sur une longue estrade. La foule s'était ouverte devant elle, personne n'osait l'approcher.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant