La Demoiselle (4)

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La salle de jeu fut son exutoire pour se libérer de cette pesante culpabilité qui avait commencé à la ronger. Elle mit toute son âme et sa rage dans ses prévisions de cartes, tant bien qu'elle finit par remporter six parties d'affilée et sa dernière victoire, écrasante, fit rougir de honte plus d'un bon joueur dans la salle. Elle se retira ensuite aux alentours de midi, après avoir fait porter l'argent nouvellement gagné dans sa chambre, avant de se diriger vers le troisième étage de l'aile nord, où étaient situés les appartements du Sire Vasilas d'Eau. Elle se doutait que, en principe, ils auraient installé Karashei juste à côté, mais par précaution, elle préféra d'abord toquer chez le vieil homme.

Ce fut une domestique à l'air passablement aigri qui lui ouvrit, informa son maître de l'identité de la visiteuse et, après quelques secondes de silence, l'invita à entrer. Eliane pénétra donc dans l'immense suite, hésita un instant sur le pas de la porte, étonnée de trouver la pièce aussi familière, et pourtant si étrange. Après quelques secondes de réflexion, elle réalisa que la chambre était en fait identique à la sienne, couleur et ameublement mis à part. Chez elle, les tentures sur les murs étaient grises, ici, elles étaient bleu sombre. Près de la fenêtre, là où elle avait son canapé et sa table basse, il y avait une petite bibliothèque ainsi que deux larges fauteuils de cuir blanc.

Elle releva les bords de sa robe, s'inclina avec courtoisie devant le Sire d'Eau et sa petite-fille, assis avec chacun un livre ouvert sur les genoux. Vasilas lui retourna un hochement de tête poli, tandis que Karashei pâlissait imperceptiblement.

— Sire Vasilas, je ne vais pas vous déranger longtemps, dit Eliane. Je souhaitais simplement solliciter votre autorisation pour inviter Dame Karashei à une promenade à cheval cette après-midi, en compagnie des Dames Tyrha et Imogen. J'espérais pouvoir l'introduire à la compagnie de ses paires, si cela vous convient.

Vasilas porta la main à son crâne légèrement dégarni, gratta ses cheveux grisâtres, clairement pris au dépourvu par l'offre. Plutôt que de l'observer, Eliane riva son regard azurin dans celui, noisette, de la Demoiselle d'Eau, et lui sourit imperceptiblement, signifiant une paix temporaire. La couleur ne revint pas sur le visage de Karashei, mais ses épaules retombèrent légèrement, un peu moins crispées qu'un instant plus tôt.

— Je suppose que... oui, pour peu qu'elle le souhaite, je n'y vois aucun inconvénient... finit-il par marmonner.

Il coula à sa petite-fille une œillade surprise, mais se heurta à un étonnement similaire au sien. Eliane lui sourit sans vraiment le regarder, et lança à Karashei :

— Dame Karashei, rien ne vous y oblige, évidemment.

La concernée hésita, mais se décida très vite. Sa voix était douce, polie et ferme, lorsqu'elle parla.

— Ce serait un plaisir. Quand ?

— Deux heures après le déjeuner. Mais, si vous le souhaitez, nous pouvons nous rejoindre un peu avant aux stalles, j'aime bien prendre mon temps pour m'occuper de mon cheval personnellement.

— J'y serai à un peu plus tôt, alors, sourit Karashei avant que son grand-père n'ait le temps de parler.

Eliane étouffa un petit rire impressionné en voyant la facilité avec laquelle Karashei parvenait à demeurer faussement à l'aise alors qu'Eliane s'était volontairement introduite dans son environnement pour la perturber. Elle hocha donc la tête, remercia les deux Nobles de la province d'Eau du temps qu'ils lui avaient accordé, et tourna les talons pour rejoindre sa propre chambre, où elle prit son repas en compagnie d'Astryd, parla avec elle des légendes de son enfance, qu'elle avait eu l'occasion de redécouvrir la veille puis alla s'occuper du courrier qui l'attendait.

Dynasties / ElianeWhere stories live. Discover now