Chapitre 24 - Le manoir de Thinkshold

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Les roues de la voiture noire s’immobilisèrent sur le tapis d’épines sèches de l’orée des bois de Carlton. Kate ne se fit pas prier pour en descendre, avant qu’elle ne se précipite vers le coffre pour en extraire ses bagages le plus rapidement possible. Elle n’avait pas regretté longtemps de quitter la maison familiale, malgré le pincement au cœur de laisser ainsi sa mère, sa sœur et son chat, qui avait guetté son départ depuis la fenêtre, en pâture à ses grands-parents. Ces derniers se poseraient de bien légitimes questions et cela l’embarrassait de savoir que son père allait devoir expliquer ce départ soudain. Il subissait déjà assez de pression comme cela. Cependant, se projeter pour la soirée à venir, dans l’immense manoir de Maggie, chassa d’elle toute impression de culpabilité. Elle n’avait qu’une hâte : retrouver son amie.
Une fois que son père l’eut aidé à décharger sa petite valise et son sac, ils avancèrent sur le chemin forestier, déserté malgré le beau temps apparent pour cette fin de mois de juillet.

— Personne ne trouve ta voiture quand tu la caches là ? s’interrogea Kate qui tentait tant bien de mal de suivre son rythme, chargée de son sac plus lourd qu’il n’y paraissait. 
— J’ai lancé un petit sortilège sur la zone où je la gare habituellement, lui expliqua-t-il, une main dans la poche de son jean, l’autre portant la mallette en cuir de sa fille. Quand un moldu s’en approche, il se rappelle subitement qu’il a oublié une course importante, qu’il doit laver ses chaussettes ou boire un bon coup, parce qu’il n’y a pas de raison pour se refuser une bière !
— Et… on va où comme ça ?!
— Vers la route. À part si tu te sens d’humeur pour faire une promenade en forêt, apparemment, tu as l’air d’adorer cela à Poudlard !
— Aha, très drôle, grinça-t-elle en reprenant son souffle. Non, mais sérieusement… on va aller jusqu’à Thinkshold à pieds ?!
— Si tu y tiens… !
— On va transplaner, alors ?
— On évitera, d’accord ? La dernière fois que j’ai transplané avec toi, tu as rendu ton petit-déjeuner sur ma veste, si je peux me permettre de te le rappeler.

Kate se renfrogna en le maudissant intérieurement d’aborder cet épisode fâcheux. Elle n’avait transplané avec Phil qu’à quelques rares occasions. Les plus douloureuses d’entre elles se situaient durant la guerre, quand son père avait cherché à les protéger, elle et sa mère, et que des départs immédiats s’imposaient s’ils désiraient rester en vie et ne pas être traqués par les Mangemorts. Petite, Kate avait apprécié ces moments de sorcellerie où Phil, lorsqu’il pouvait encore la porter dans ses bras, s’amusait à transplaner avec elle à l’intérieur de leur ancienne maison familiale, entre la cuisine et la chambre, au grand dam de Grace, qui s’agaçait de ces bruits incessants, semblables à des claquements de fouet. Puis, après la guerre, quelques mois avant la première rentrée à Poudlard, Kate avait redemandé à son père de l’emmener une fois avec lui. Sauf que son estomac avait, cette fois-là, perdu la témérité de son enfance… !
Ils interrompirent leur discussion en croisant une joggeuse blonde qui éprouva bien du mal à camoufler sa perplexité de rencontrer en pleine forêt un père et une fille chargés de bagages. À son passage, Phil ne put s’empêcher de se retourner pour reluquer sa silhouette de dos et ses fesses qui rebondissaient à chaque pas de course.

— T’es marié à ma mère, je te signale, espèce d’andouille de paternel, nasilla Kate en remarquant cet intérêt.
— Ok, moujingue, intervint-il, à la manière de quelqu’un prit en flagrant délit tentant de se justifier, premièrement, arrête de parler presque comme moi, ça me fait très bizarre. Deuxièmement, j’ai tout à fait le droit, en tant que membre de la vaste communauté masculine d’apprécier la… beauté… !
— Je trouve que tu donnes de drôles de noms aux fesses des femmes, papa, glissa-t-elle, moqueuse.
— Et troisièmement, ta mère est de toute façon mille fois plus belle ! Il n’y a qu’elle que j’aime, sache-le ! Et toi aussi, un peu ! Et aussi Abby, maintenant !
— Je vais me dire rassurée, alors.

Lorsqu’ils arrivèrent à la route goudronnée, Phil posa la valise de Kate et soupira en balayant les alentours d’un regard alerte. Aucune voiture ne roulait dans les environs. Ni Moldu. Il n’y avait que les oiseaux qui chantaient midi.

— Bien. Et on fait quoi, maintenant ? s’agaça Kate, qui manquait d’éclaircissements de la part de son père, plissant les paupières en sa direction.
— Eh bien… on va faire du stop version sorcier !

Kate hoqueta sous le coup de la surprise, alors que Phil sortit sa baguette magique de sa poche.

— On… on va prendre le magicobus ?! s’exclama-t-elle, un sourire croissant s’affichant sur son visage.
— « On », non, tu vas le prendre seule, comme une grande ! Jusqu’à Thinkshold !

En terminant sa phrase, Phil brandit sa baguette vers le ciel bleu et une petite lueur, à peine décelable de jour, scintilla à son extrémité. Quelques secondes plus tard, Kate s’apprêta à répliquer que rien ne venait, lorsque son père la fit reculer de quelques pas en plaquant son bras sur ses épaules. Aussitôt surgit de nulle part un gigantesque bus impérial à trois étages, à la carrosserie violette décapée, dont les pneus crissèrent dans un bruit sourd avant de s’immobiliser devant eux, à moins d’un mètre de l’endroit où ils se tenaient. Impressionnée par cette entrée renversante nimbée de vapeurs grises et d’une odeur de caoutchouc brûlé, Kate trotta en faisant le tour du véhicule pour l’examiner sous toutes les coutures. Si l’on se collait aux fenêtres, on ne parvenait qu’avec difficulté à distinguer le haut du bus tant il était haut. Un grand sourire était affiché sur ses lèvres alors qu’elle découvrit les lettres en or clouées sur le pare-chocs avant : « Magicobus ».
La portière droite du bus s’ouvrit et un jeune homme, qui devait approcher la vingtaine, descendit les marches à la rencontre de ses clients. Son uniforme élégant, composé d’un veston violet et d’une cape noire, sur laquelle était brodé le nom du véhicule, montrait qu’il tenait à cœur son rôle. 

— Bonjour, monsieur ! salua-t-il Phil en sautant des dernières hautes marches, plus grand que ce dernier. Merci d’avoir fait appel au Magicobus ! Vous voyagerez seul ?
— C’est-à-dire que la voyageuse concernée est en train d’inspecter votre car comme un fonctionnaire du ministère, lui expliqua Phil en désignant d’un geste du menton sa fille qui contemplait d’une vue d’ensemble le Magicobus.
— Comme je la comprends ! soupira le jeune homme à la peau noire dans un sourire. C’est un magnifique spécimen ! Je vous prends les valises ?
— Oh, pas la peine, je vais les lui monter. Ca prendra sûrement moins de temps et moins de peine que de la détacher de sa fascination… ! Kate !

L’exhortation de son père n’éveilla, en effet, pas de réaction immédiate de sa part, obnubilée par ce bus dont elle avait rêvé durant toute son enfance.

— Bon, tu vas les faire poiroter longtemps comme ça ?!
— Oui, c’est bon papa, j’arrive !

Lorsqu’elle accourut, le jeune contrôleur se présenta alors :

— Je m’appelle Dean Thomas, je serai votre accompagnateur de voyage dans le Magicobus !
— Kate ! Enchantée, monsieur !
— Kate, Kate, réfléchit-il en fronçant les sourcils. Une minute, tu ne serais LA Kate ? Kate Whisper ?

La jeune fille déglutit alors que, mu par son instinct paternel et protecteur, Phil avança d’un pas presque devant elle.

— Euh, oui, bredouilla-t-elle, à chaque fois troublée qu’on la reconnaisse.
— C’est donc toi la petite qui a ouvert la nouvelle maison ! C’est doublement un honneur, jeune fille ! Allez, monte donc !

Après avoir partagé un regard avec son père, Kate suivit les pas de Dean qui grimpait les marches en fer croisé qui menait dans les entrailles du Magicobus. Dans sa petite cabine, assis dans un fauteuil de salon et cerné par des dizaines de manettes saugrenues, le conducteur, échevelé et affublé de lunettes aux verres épais comme des culots de bouteille, profitait de l’arrêt pour croquer dans son sandwich au goût qui semblait approximatif selon l’observation de Kate. Mais l’agencement intérieur du véhicule éblouit d’autant plus la jeune fille, qui semblait découvrir un tout autre univers, comme le jour de sa première rentrée à Poudlard. Pourtant, il n’y avait pas forcément matière à s’émerveiller, devant des alignements de fauteuils aux couleurs déparaillées, des lustres en cristaux accrochés au paroi, faisant neiger de la poussière à chaque balancement, et les fanions de travers qui pendaient en haut, au blason des différentes équipes de Quidditch. Tout au fond, un petit escalier menait aux étages supérieurs. Cependant, quelque chose la marqua : il n’y avait personne.

— Où te rends-tu alors ? lui demanda Dean en se saisissant d’une espèce de machine à tickets.
— Au manoir de Thinkshold, c’est dans le Hampshire. 
— Entendu !

Dans un grésillement, un embout de papier sortit de la boîte et Dean le tira pour le donner à Kate.

— Ca fera quinze mornilles, dit-il en s’adressant cette fois à son père, se doutant qu’il règlerait la somme. Pour deux mornilles supplémentaires, vous pouvez avoir un chocolat chaud, pour deux de plus, une brosse à dents de la couleur de votre choix et notre découverte de ce mois, c’est pour une mornille encore, on vous offre un paquet des nouvelles friandises de chez Weasley, les couleurvres !
— C’est quoi comme bonbons ?
— Des serpents de gomme qui font changer les couleurs de ce que tu vois ! C’est assez… troublant, mais c’est drôle comme expérience !

Phil, qui abandonna sa rêverie à laquelle il s’était adonné en montant les bagages dans le bus, comme se remémorant de vieux souvenirs, sortit quelques pièces de sa poche.

— Tiens, Kate, je te donne ça, tu te débrouilles avec ! Tu es autonome !

Prise par un terrible dilemme face à la petite somme, bien que modeste, que lui avait cédé son père, Kate préféra jouer les économes et se contenta de payer le prix de son billet. Elle aurait l’occasion de tester les couleurvres en en achetant sur le Chemin de Traverse, à la boutique Weasley, farces pour sorciers facétieux.

— Bon, je te laisse ta valise là, déclara Phil. Et, euh… excuse-moi, c’est quoi ton prénom déjà ?
— Dean Thomas.
— Oui, c’est ça, Dean. Bon, je te laisse ma fille, elle est sous ta responsabilité ! Mais si elle est trop insupportable, tu es en droit de l’abandonner sur une route.
— Papa !
— Oui, ok, c’est bon, j’ai compris. J’arrête de dire des bêtises et je m’en vais ! Prends quand même soin de toi ! Et envoie-moi un hibou quand tu arriveras chez Maggie !
— Ça marche ! Et toi, ne te fais pas étriper par le vampire !
— Deal. 

Face aux au-revoir pour le moins atypiques, Dean Thomas grimaça de surprise, alors que derrière lui, dans sa cabine, Ernie se retourna avec un regard interrogateur quant au moment où il pourrait repartir. Pourtant, là où Phil s’attendit à recevoir une étreinte, un baiser sur la joue ou même un simple geste de la main, sa fille se retourna, avec ses bagages, et déambula entre les sièges à l’alignement asymétrique pour trouver sa place idéale. Il ne réagit cependant que d’un sourire, sans tenter de l’interpeller pour qu’elle s’amende de son impair. Il voyait bien que Kate désirait vivre son indépendance d’adolescente, qui irait croissante avec les années à venir. Il était désormais temps de la laisser grandir, devenir adulte. Cependant, Phil ne sut s’il dut en éprouver plus de félicité que de peine à se détacher de la petite fille qu’il avait toujours choyée.

Après avoir salué Dean et le conducteur, Phil descendit du Magicobus, tandis que Kate testait le confort des différents sièges avant de jeter son dévolu sur le fauteuil orange près de la fenêtre à droite. Elle aperçut son père descendre et regretta un instant qu’il ne puisse pas la voir de même à travers la vitre.

— Accroche-toi, eut-elle juste le temps d’entendre.

Ceci avant que le bus ne bondisse en avant dans une accélération spectaculaire. Kate ravala sur le coup son cri de frayeur, plaquée contre le dossier de son siège, l’intérieur entier branlant à cause de la vitesse fulgurante du Magicobus. Pourtant, le fauteuil de salon de Dean Thomas coulissa doucement jusqu’à sa hauteur, le jeune homme installé de manière décontracté. Une habitude à acquérir à force de mois ou d’années ! songea Kate, encore l’estomac cloué au fond de son abdomen.

— Alors comme ça, c’est toi, la fameuse Kate Whisper ! Je n’en reviens pas ! Et pourtant, ce n’est pas comme si je n’avais pas fréquenté des cas journalistiques par le passé… ! Tu dois connaître Harry, il est professeur, me semble-t-il !
— Vous le connaissez aussi ? s’interrogea Kate, rendue pâle à cause du transport.
— Nous étions camarades de dortoir, c’était un chic type ! lui expliqua Dean. Et il m’a sauvé à plusieurs reprises…
— Vous… vous…
— Tu peux me tutoyer, tu sais !
— Tu… tu as participé à la bataille de Poudlard, alors ?

À cette question, le visage de Dean s’assombrit, comme si ces mots le renvoyaient à certaines images de sa mémoire douloureuse.

— Ne parlons donc pas du passé ! chassa-t-il son expression en liant les mains. Le présent et l’avenir sont bien plus intéressants ! Alors comme ça, tu as ouvert une nouvelle maison ?
— O-oui !
— C’est franchement génial, ça ! Tu vas fonder une nouvelle équipe de Quidditch alors ?
— Beaucoup de gens me l’ont demandé ! Et comme normalement Papillombre devrait vraiment exister cette année, oui, je pense !
— Waouh, c’est super !

L’enthousiasme et le sourire de Dean lui rappelait un peu son camarade de classe, Jason. Peut-être parce qu’en plus de partager la même couleur de peau, tous deux semblaient déborder de sympathie dès lors que l’on entamait la conversation. Kate avait partagé quelques repas en compagnie de Jason, à la table des Gryffondors, lorsque les deux groupes des filles et des garçons de la même classe se mêlaient. Il était toujours le premier à rire des blagues, même les plus pitoyables, et à manier les jeux de mots, cependant, Kate avait toujours prêté plus d’attention au joli minois du camarade de Jason, le beau Griffin.
Tout à coup, le Magicobus se stoppa brusquement et Kate évita de peu de se manger le siège de devant dans la soudaine décélération, tandis que Dean Thomas n’eut qu’une réaction positive :

— Oh, un autre client ? Désolé, je reviens tout de suite !

Il quitta le confort de son siège de salon en cuir et se précipita vers la portière ouverte pour débiter son speech. Kate jeta un coup d’œil au dehors et se rendit compte que le bus stationnait dans une rue grise et déserte d’une grande ville. Peut-être s’agissait-il de Londres.

— Ca fera quatorze Mornilles pour vous, monsieur, entendit-elle Dean qui avait rejoint sa machine après avoir monté les hautes marches du bus avec le bagage. Vous voudrez une brosse à dents, avec ? Nous avons du mauve en plus, ce mois-ci !
— Non, merci.

Le vieux sorcier qui grimpa à sa suite avança dans le car, s’appuyant de manière alternative sur le dossier des sièges en contournant le fauteuil marron de Dean, avant de s’asseoir deux rangs derrière Kate. Le jeune contrôleur eut juste le temps de retrouver son assise avant qu’Ernie n’appuie avec frénésie sur l’accélérateur, Kate ayant anticipé le coup en se cramponnant à sa banquette.

— Tout est prêt, alors ? poursuivit Dean, comme s’il n’y avait eu aucune interruption. Pour la maison ?
— Pas tout à fait, je dois passer devant une commission au Ministère durant le mois d’août, apparemment. C’est ce que m’a dit le professeur McGonagall, l’an dernier.
— Stressée ?
— Un peu, oui…
— Oh, je suis sûr que tout se passera bien, il n’y a pas de raison… Et tes parents pourront être avec toi !
— Pas ma mère, non, je ne pense pas. Les Moldus n’entrent pas au Ministère, apparemment… marmonna Kate en mangeant à moitié ses mots.
— Mais tu as ton père, profite de cette chance !

Il lui adressa un clin d’œil complice qui la fit rougir. 

— Et qu’est-ce que tu vas faire de beau, comme ça, à Thinkshold ?
— Je vais chez une amie, pour les vacances !
— Oh, génial ! J’espère que tu en profiteras ! Quoique, tu me diras, des fois, on en a vraiment marre de ses camarades, de les voir dix mois par an tous les jours pendant sept ans ! Mais les vacances donnent un autre cadre !
— Ah bon ?
— Oui ! Je me souviendrai toujours de cet été lors duquel j’avais été chez mon pote, Seamus. Il est irlandais. On était quoi… en troisième ou quatrième année, je ne sais plus. Bref, toujours est-il qu’on avait passé une bonne partie de l’après-midi à poursuivre des moutons sur des balais volants. On était cons, mais qu’est-ce que c’était marrant ! Jusqu’à ce que par inadvertance, Seamus ait fait exploser un mouton avec sa baguette… !

Imaginant la vision, Kate grimaça de dégoût, expression que Dean partagea.

— Par chance, le Ministère ne nous est pas retombé sur le dos pour usage de la magie chez des mineurs, mais ce n’était pas beau du tout à voir. Depuis, Seamus ne peut plus voir un mouton en face sans pâlir. Bête pour lui, il habite en Irlande…
— Ma copine Maggie, celle chez qui je vais, fait parfois exploser des crapauds aussi, à Poudlard, raconta à son tour Kate. C’est sa manière à elle de détresser. Je trouve ça un peu cruel, mais… si, en fait, c’est carrément horrible.
— De toute façon, je ne suis même pas sûr que le crapaud a le temps de se rendre compte ce qui lui arrive ! J’ai envie de te dire, tu manipules des foies de chauves-souris et des yeux de tritons tous les jours, tu crois qu’ils tombent du ciel ?
— On peut… arrêter cette conversation ? Je ne me sens déjà pas très bien à cause du bus, mais là…
— Aucun souci !

Au bout de dix minutes de conversation, les paroles se tarirent et Dean se consacra de plus en plus à sa Gazette du Sorcier qu’il avait sorti de sa sacoche de contrôleur après l’avoir déroulé dans de grands gestes. Kate en profita pour s’adonner à ses pensées. Les vacances lui permettaient peut-être de passer du bon temps, mais elle pressentait que son cœur était en partie resté quelque part à Poudlard. Qu’allait donner cette semaine avec Maggie, dans son cadre d’origine ? Serait-elle encore plus insupportable qu’à l’habitude ? Quelques minutes seulement la séparaient de sa réponse.
Car moins d’une demi-heure plus tard, le Magicobus s’arrêta de nouveau de manière brusque, sans que Kate ne puisse s’y préparer. Reprenant son souffle et tentant de faire ralentir les battements de son cœur qui résonnait dans ses oreilles, elle ne parvint qu’avec difficulté à entendre Dean lui annoncer :

— Arrêt, le manoir de Thinkshold ! 

Dans la précipitation, elle descendit sa valise du petit compartiment au-dessus d’elle, manqua de s’assommer lorsqu’elle lui retomba sur la tête et tituba avec ses deux bagages jusqu’à la sortie après avoir brièvement salué le vieux sorcier qui résolvait des mots croisés magiques sur sa Gazette, les lettres sautant parfois des cases.

— Bonne continuation, alors, Kate Whisper, lui souhaita Dean en lui serrant la main, après l’avoir assisté dans sa descente des marches pour lui éviter une double fracture dans une chute malencontreuse et prévisible. Plein de bonheur et de succès pour la suite de tout ça, à Poudlard !

— Merci beaucoup ! À la prochaine, peut-être !
— Oui, n’hésite pas à reprendre le Magicobus !

Elle hésita à lui avouer sa félicité de ne pas avoir consommé de repas avant d’être montée à bord, mais se contenta d’un hochement de tête et d’un sourire. Une fois que Dean fut remonté dans le bus, la portière se referma dans un bruit de vapeur et disparut aussi soudainement qu’il était apparu dans la forêt de Carlton. Laissée seule au milieu d’un endroit qu’elle ne connaissait pas, Kate soupira en balayant les environs d’un regard. La route était bordée de champs déserts et d’arbres qui poussaient à foison sur de petites parcelles. Seul un immense portail attestait la présence humaine, ou du moins sorcière. On pouvait apercevoir au loin la silhouette d’une grande demeure. Cependant, Kate restait bloquée là, devant ce gigantesque portique fermé, quand bien même elle essaya d’en tourner la poignée en forme de D, l’initiale des Dawkins.

— Il y a quelqu’un ? articula-t-elle, peu rassurée, en se hissant sur la pointe des pieds.

Un petit bruissement dans les buissons adjacents se fit entendre. Avant qu’une ombre ne saute à la figure de Kate. Ou l’aurait fait si elle ne s’était pas agrippée sur les barreaux du portail à la dernière seconde, arrachant un cri de terreur à la jeune fille qui en tomba à la renverse sur la valise. La créature, minuscule et fort atypique, pencha son semblant de tête. Il ne s’agissait en fait que d’une sorte de globe oculaire accolé à une paire de pattes grêles et assez résistantes pour tenir en équilibre entre deux barreaux. Elle cligna son unique paupière en émettant une espèce de roucoulement aiguë. Avant de bondir en arrière et de rejoindre son buisson alors que le portail cliqueta et s’ouvrit en grinçant. Kate peinait à reprendre son souffle, séant contre terre, hébétée devant le passage libre et l’apparition presque instantanée de cette petite créature qu’elle ne connaissait pas. Elle se releva en frottant ses fesses sales et douloureuses avant de reprendre en main ses valises et d’avancer dans l’allée qui menait au manoir de Thinkshold.

La façade était résolument austère. Toutes les fenêtres avaient la même taille, symétrique selon la position de l’entrée, sans relief. Pas de balcon, pas de cheminée apparente. Rien ne s’enfonçait, rien ne dépassait. Si ce n’était l’imposant seuil de la porte d’entrée, accessible par quatre grandes marches si propres que l’on y voyait son propre reflet. Kate en restait stupéfaite. La bâtisse devait réunir l’équivalent de vingt fois sa maison, au bas mot ! Aussitôt atteint-elle la dernière marche que l’épaisse porte blanche, les arrêtes en relief mises en valeur par de la peinture dorée, s’ouvrit.

— Miss Whisper, nous vous attendions ! Entrez donc !

Kate accorda un regard curieux au grand homme qui l’avait invité à pénétrer dans le grand manoir. Il s’agissait d’un sorcier à l’âge approximatif, mais sûrement plus proche des cinquante ans que des quarante. Son costume élégant mais respectant un certain protocole l’amenait à penser qu’il ne faisait pas parti de la famille, mais des domestiques. Quant à son visage avenant aux lunettes carrées, il reposait sur un cou énorme, comme faisant continuité à sa mâchoire, son goitre étouffé par le col blanc de la chemise fermée jusqu’au dernier bouton. Sur son épaule était perchée une créature en tous points similaires à celle qui avait bondi sur le portail, hormis le fait que la peau fripée de cette dernière était rouge, l’autre se rapprochant d’avantage du gris.

— Vous avez fait bon voyage ? se soucia-t-il en se penchant en sa direction, alors que la porte d’entrée se referma d’elle-même.
— O-oui. Je suis bien chez les Dawkins ?
— Oh oui, oh oui, ne vous inquiétez donc pas, vous êtes bien arrivée à destination. Oh, laissez-moi m’occuper de ces bagages et de votre veste ! Mettez-vous à votre aise !

Le majordome avait le ton posé, presque léger, comme illustrant le moindre propos d’un sourire sonore. Kate en profita pour explorer du regard l’intérieur du hall d’entrée du manoir de Thinkshold. Un imposant escalier y débouchait, se séparant en deux sur le mur d’en face, où régissait l’immense portrait animé d’un sorcier à moustaches qui observait ce qu’il se passait à l’aide de petites jumelles dorées, alors qu’autour de sa tête orbitait un vif d’or. De grandes tentures anciennes tapissaient les autres murs, à la manière de la salle commune des Gryffondors. Les vitraux, eux-mêmes animés, qui représentaient le blason des Dawkins, un vivet d’or – le petit oiseau semblable à un colibri qui avait inspiré la fameuse balle de Quidditch – attrapant un ruban rouge, filtraient peu la lumière, n’offrant au vestibule qu’une ambiance glauque.

— Miss Dawkins, votre amie est arrivée ! annonça le majordome d’une voix puissante et pourtant déférente une fois qu’il eut débarrassé Kate de ses affaires, qu’il faisait léviter au bout de sa baguette.

La petite créature sur son épaule roucoula de la même manière que l’autre, pliant ses petites pattes en rythme. Quelques secondes plus tard, Maggie apparut, descendant les escaliers de gauche. Si aucune expression ne s’affichait sur son visage impassible, Kate, en revanche, lui adressa un large sourire. Son amie portait ce jour-là une tenue très sobre, composée d’une jupe noire et d’un chemisier blanc à petites manchettes.

— J’avais mentionné le fait que tu devais être à l’heure pour le déjeuner.
— Techniquement, on peut encore manger à une heure de l’après-midi !
— Le principe de l’après-midi, c’est justement de se situer après midi. Et qu’est-ce qu’on fait, à midi ?
— On… mange ?
— Merci d’enfin me donner raison.
— Oh mais si vous avez faim, miss Whisper, laissez-moi vous préparer un petit encas ! intervint le majordome, enjoué. Miss Dawkins a déjà consommé, mais vous voudriez peut-être quelque chose !
— Faites donc, Gordon ! le congédia Maggie, sur un ton entre l’autorité et la camaraderie, avant même que Kate n’ait eu le temps de répondre quoi que ce soit, l’estomac encore secoué par son trajet dans le Magicobus. …patez-la !
— Fort bien ! Dans ce cas, cela sera prêt dans, oh, je dirais une dizaine de minutes, environ !

Après s’être incliné une dernière fois, le valet s’éclipsa en transplanant avec les bagages de Kate. 

— Tu as fait bon voyage ? s’intéressa Maggie en adressant cette fois un sourire à Kate, comme si elle ne pouvait s’autoriser à cela en présence de quelqu’un d’autre, comme Gordon, malgré la sympathie qui émanait de ce dernier.
— C’était… hum. Exotique ?
— Tu es passé par Bora-Bora avant d’atterrir ici ? Hm, ça explique ton retard.
— Non, j’ai pris le Magicobus.

À ces mots, Maggie grimaça de dégoût. L’idée de s’asseoir dans un bus public fréquenté par n’importe quel sorcier l’écœurait. 

— Tu as bien du courage ! Bon. Allez, viens, en attendant je vais te montrer ta chambre en attendant que Gordon prépare ton repas !

Kate s’apprêta à la suivre, pourtant Maggie ne cilla pas. Elle leva la jambe et frappa du pied par terre. Aussitôt, le sol se mit à remuer et Kate dut avoir recours à quelques secondes de réflexion et de surprise avant de se rendre compte que le tapis sur lequel elle se trouvait s’élevait lentement du carrelage.

— Surtout, ne bouge pas, lui conseilla Maggie qui remarqua l’agitation de son amie, troublée.

À ce moment-là, le tapis se mit à bouger plus vite et gravit les escaliers en lévitant, passant sous le nez du sorcier moustachu. 

— Tes parents ne sont pas là ? se questionna Kate, secouée par le tapis volant qui slalomait dans les différents couloirs.
— Ils sont à un congrès, à Mexico, sur l’application des nouvelles technologies moldues. Des conférences très controversées. Mais ça pourrait leur donner des pistes pour faire évoluer le modèle des multiplettes.
Les multiplettes, ces petites jumelles très pratiques pour observer le Quidditch, car permettant des ralentis et des arrêts sur image, avec sous-titres des formations effectuées sur le terrain, avaient fait la fortune de la famille Dawkins.
— Mais ils savent que je suis là ?
— Ils s’en fichent et ils ne me refusent rien, asséna Maggie, résignée. Tant que tu es une fille, ça va. Tu aurais posé plus de problème si tu avais été un garçon, je pense…
— Et c’était quoi, ces créatures ? Il y en avait une au portail ! Et une autre sur l’épaule de ton… de Gordon !
— Tu n’as jamais vu de panoptes avant aujourd’hui ? C’est très pratique ! On les a fait importer de Grèce, il y a six ans. Souvent, ils se mettent par couples, ou même par groupes et ils peuvent échanger par la pensée ce qu’ils voient, entre eux ou avec un sorcier. Donc Gordon en a toujours un sur lui, qui l’avertit par télépathie si l’autre panopte détecte quelqu’un à la porte, en lui montrant l’image que le premier voit. Les panoptes ne réagissent que si ce sont des sorciers !
— C’est… incroyable ! souffla Kate.

Elle hoqueta lorsque le tapis effectua un virage très serré au détour d’un corridor qui mena sur une galerie vitrée et lumineuse. Si le manoir semblait immense de l’extérieur, il était démesuré à l’intérieur. Des dizaines de pièces et de chambres se succédaient. Les portraits animés étaient légion, de même que des objets magiques de collection, sûrement d’une valeur inestimable.

— Par conséquent, tu ne connais pas la légende des panoptes, je présume ? poursuivit Maggie pour alimenter la conversation pendant que le tapis volant continuait de traverser les couloirs interminables.
— Non, pas du tout… Raconte-moi !
— Les panoptes se regroupent souvent dans les arbres, pour observer ce qu’il se passe autour. Les moldus ont développé une légende comme ça, d’un géant aux mille yeux. Mais le mieux, c’est quand une sorcière de l’époque, très portée sur la création de chimères, Circée, a décidé d’espionner des rois avec une dinde sur les plumes de laquelle elle a implanté des panoptes. Ainsi sont nés les premiers paons, qui se sont reproduits avec d’autres volatiles, jusqu’à perdre leur caractère magique. Mais les moldus ont tout mélangé ! Ils ont accordé la création des paons à une Déesse qui n’a rien à voir et ils ont même réussi à caser une vache dans l’histoire ! C’est à n’y plus rien comprendre !
— Les paons ne sont pas des créatures sorcières… ricana Kate, qui avait du mal à la croire.

Pivotant la tête, Maggie lui adressa son habituel regard de semi-mépris nimbé d’amusement.

Le tapis s’arrêta devant une porte parmi des dizaines d’autres et Maggie sauta, Kate à sa suite, plus incertaine de son action. La chambre qu’elle découvrit une fois que son amie lui ait ouvert paraissait surréaliste à ses yeux tant elle était opulente. Des boiseries gravées aux rideaux en velours, en passant par l’immense lit à baldaquins gardé par une nuée d’énormes oreillers, aucun détail n’y échappait. Les bagages de Kate se trouvaient déjà aux pieds de ce dernier. 

— Woh ! lâcha celle-ci, impressionnée par le luxe qui émanait de la pièce, à l’image du manoir tout entier.
— Je t’ai donnée la chambre d’amis la plus sympa, lui expliqua Maggie en trottant au milieu de la salle. Là, t’as une porte qui mène à la salle de bains, tu verras, il y a tout ce qu’il te faut dedans !

Excitée d’en découvrir davantage, Kate se précipita vers la pièce adjacente et découvrit une salle circulaire, à l’architecture particulièrement, ressemblant à celle des grecs antiques, avec ces colonnes et ces statues en marbre qui représentaient de belles sorcières qui portaient des serviettes blanches, au centre de laquelle avait été aménagée une immense baignoire, surmontée d’une dizaine de robinets différents. Dans un coin de la salle, une grande vitrine présentaient des rayonnages recouverts de fioles de toutes les couleurs, des baumes, des sels de bain, des lotions… 

— C’est incroyable, souffla Kate, qui en avait le cœur battant. 

Elle se tourna vers Maggie qui, à sa grande surprise, se jeta sur elle pour l’étreindre. Comme si son amie n’avait pas eu le droit jusqu’à cet instant précis de témoigner une marque d’affection à l’égard de Kate.

— Je suis tellement heureuse que tu sois là ! Tu ne peux pas imaginer !
— Et moi donc ! lui répondit Kate en partageant son accolade, basculant de gauche à droite, un sourire éperdu rayonnant sur son visage.

Elles échangèrent une expression de joie en s’éloignant l’une de l’autre.

— J’ai l’impression de dépérir ici ! se plaignit Maggie dans des gestes théâtreux. Tellement je me sens seule !
— C’était l’inverse pour mon cas… ! Il y avait trop de monde dans cette minuscule maison !
— Tu fais alors vraiment bien de venir ! Et je peux comprendre que la présence de moldus t’incommode chez toi, ça doit être éprouvant !
— Ce sont mes grands-parents, grinça tout de même Kate, qui n’appréciait pas particulièrement qu’on leur colle l’étiquette « Moldus » sur le front, ce qui pouvait valoir dans l’esprit de Maggie l’appellation « Imbéciles heureux ».
— C’est vrai. J’ai parfois du mal à me dire que tu as des origines moldues ! Après tout, tu es une sorcière douée et tu sais même maîtriser des magies que les autres ne connaissent pas !

L’évocation de l’Immatériel réveilla un frisson qui remonta l’échine de Kate. Depuis ses derniers cours particuliers avec le professeur Wolffhart, elle n’avait pas tenté de recourir à cette magie seule particulière dont elle seule semblait détenir le secret de peur de mal s’y prendre et de provoquer des dégâts. Enfin, ceci n’était pas tout à fait vrai : une autre personne était aussi une maîtresse de l’Immatériel. La Sorcière Bleue.

— Allez, ne traînons pas, Gordon nous attend pour le déjeuner.

Sur ces mots, Maggie se dirigea vers la grande cheminée en pierre blanche, sans que Kate ne comprenne tout de suite.

— D’ailleurs, je pensais que les sorciers riches avaient des elfes de maison. Tu n’en as pas ?
— Trop malpropres, trop d’entretien. Mes parents ont préféré investir dans un domestique compétent et indépendant. Ça fait quinze ans que Gordon travaille ici, à Thinkshold.

À en croire le ton sur lequel elle prononçait ses mots, Maggie semblait profondément attachée à ce majordome qu’elle connaissait donc depuis sa naissance. Ce dernier avait sûrement être bien plus présent à ses côtés que ses propres parents.

— On ne reprend pas le tapis volant ? s’étonna Kate en voyant son amie se saisir d’un pot en porcelaine qui reposait au-dessus de la cheminée.
— Oh, non, ça prendra trop de temps de tout retraverser ! On va utiliser la poudre de cheminette pour se rendre dans la salle à manger.

Kate ne connaissait ce moyen de transport que de nom, par son père, mais n’avait jamais encore eu l’occasion de l’expérimenter. C’est avec perplexité qu’elle plongea la main dans le bocal que lui présentait Maggie pour en tirer une poignée de poudre noire.

— On a installé un réseau local, à l’intérieur du manoir, l’éclaira Maggie qui reposa l’urne après avoir pris sa propre quantité de poudre. La seule cheminée qui peut avoir un accès vers l’extérieur se trouve dans le salon principal. Donc, pour aller manger, il suffit de prononcer « salle à manger ». Après toi.

Sollicitée d’un geste de la main, Kate entra dans la cheminée avec précaution, enjambant les petites barres en fer en se tenant à la pierre de sa main libre pour éviter de trébucher et de lâcher sa poudre, puis se plaça au centre de cette dernière, sa tête enfoncée dans le conduit sombre et encrassé de l’âtre.

— Salle à manger.

Aussitôt eut-elle jeté la poudre à ses pieds que sa vision se recouvrit de flammes vertes, avant qu’elle ne soit assaillie de vertiges. Ses pieds semblaient accrochés au sol, pourtant, le monde tourbillonnait autour d’elle. Lorsque les images reprirent un sens et retrouvèrent leur netteté, elle n’eut que le temps de projeter ses bras en avant pour éviter de tomber par terre la face la première.

— Miss Whisper ! Vous ne vous êtes pas fait mal ?

Gordon se précipita vers elle pour l’aider à se relever, tandis que Kate toussait, la gorge irritée à cause de la poussière que le court trajet avait dégagée.

— Permettez que je vous débarrasse de toute cette crasse !

Un sortilège eut raison de la cendre qui souillait ses vêtements alors qu’à sa suite, Maggie arriva sans éprouver la moindre peine et sans le moindre résidu de saleté sur son costume, sur ses deux pieds.

— Débutante, glissa-t-elle, moqueuse, à l’intention de son amie avant de rejoindre la table que Gordon avait dressée.

Une grande baie vitrée donnait sur les jardins, avec ses grands parterres de fleurs, qui semblaient s’animer lorsqu’on les regardait du coin de l’œil, et ses buis taillés comme on sculpterait du marbre. Des tableaux animés, mesurant tous un mètre de haut au bas mot pour les plus modestes d’entre eux, offraient leur compagnie aux convives qui s’installaient autour de la grande table qui pouvait accueillir une trentaine de personnes. Seule l’extrémité avait été dressée, avec des sets de tables brodés avec un soin exquis, des coupes en cristal, de l’argenterie chatoyante et des assiettes argentées. Au milieu, des plats démesurés avaient été apprêtés et Kate ne pouvait croire un instant que tout cela lui était dédié.

— Je vous en prie, installez-vous, la sollicita Gordon en tirant la chaise de l’invitée après avoir assisté Maggie. Que vous ferait-il plaisir de goûter ? Vous avez des œufs mimosa, de la terrine de gibier, des palets de pommes de terre…
— Elle se servira elle-même, Gordon, merci beaucoup, le congédia Maggie dans un sourire.
— Oh, très bien, miss Dawkins, approuva le majordome en reposant les couverts de service très du plat, les mettant en évidence face à Kate. Je me trouverai dans les parages. Si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas à faire un petit signe !

Il hocha plusieurs fois la tête à l’attention des deux jeunes filles et s’éclipsa sur une dernière inclinaison. Pourtant, Kate ne se servit pas de suite et préféra observer son environnement, en particulier en détaillant les tableaux, dont l’un d’eux attira son attention. En effet, sur l’un des murs en face d’elle était accroché un portrait de Maggie elle-même, en uniforme scolaire de Gryffondor, paraissant plus jeune qu’à ce jour et portant sur son bras plié son hibou grand-duc, Goliath. La représentation accordait de temps en temps un regard crâne si caractéristique de la fillette, avant de dédaigner son spectateur pour caresser les plumes de son oiseau de proie d’un revers de doigt.

La voix de Moira, une camarade de Gryffondor, résonnait dans la tête de Kate alors qu’elle examinait le curieux portrait : « C’est astucieux de l’avoir placé dans la salle à manger. Pour un régime, c’est l’idéal : ça coupe l’appétit à merveille ! Dans le pire des cas, c’est à vomir, mais ça reste efficace ! ». La jeune fille se surprit alors à sourire en écho aux paroles imaginaires qu’elle accordait à son amie, tandis que Maggie releva cet intérêt.

— Il a été peint la veille de notre première rentrée. Je savais déjà que j’irais à Gryffondor.
— C’est… original ! commenta Kate en hochant la tête, ne parvenant à sortir un quelconque autre compliment.
— Par contre, je n’ai pas posé longtemps ! Goliath est très lourd, mine de rien !
— Et elle, c’est qui ?

Kate avait dévié son attention sur l’un des tableaux adjacent, qui représentait une magnifique jeune femme, accoudée à un meuble en ébène. Ses habits trahissaient une mode ancienne, mais mettaient en valeur la pâleur de sa peau. Malgré ses cheveux courts, sans teinte, on n’aurait jamais pu se méprendre sur son genre et la confondre avec un homme. Car en regardant son visage, ses yeux aux longs cils et ses lèvres rouges comme un pétale de rose pourpre accaparaient et ensorcelaient les pensées.

— Elle ? C’est la femme de l’ancien propriétaire, avant que mon grand-père n’achète Thinkshold.
— Elle est vraiment belle ! dut avouer Kate alors que la sorcière tira une bouffée de tabac sur sa cigarette allongée par un porte-cigarette noir.
— C’était une Black, l’une des plus anciennes familles de sorciers.
— Black ? Comme Sirius Black, celui qui s’était échappé d’Azkaban ? Je m’en souviens, j’avais six ans. Ça m’avait marquée…
— Oui, voilà, cette famille.
— Et alors ? Elle est toujours en vie ? Elle doit être vieille aujourd’hui, non ?
— Personne ne le sait. Elle a disparu quand elle avait vingt-cinq ans. Elle est partie en laissant là son mari et ses enfants. Mais comme elle avait énormément de succès avec les hommes, toutes les rumeurs racontent qu’elle serait partie avec un autre. Mais depuis, personne ne l’a jamais revue. Tiens, d’ailleurs, devine comment s’appelait son époux ?

Kate fronça les sourcils face à cette interrogation inopinée, alors qu’elle commençait à se servir en galettes de pomme de terre.

— Je ne sais pas ! Comment je pourrais ?
— Londubat, articula Maggie, fière d’elle.
— Non ! lâcha Kate, en écarquillant de grands yeux. C’est vrai ? Londubat ? Comme notre professeur ?
— Eh oui, madame !
— Mais attends, ils sont de la même famille ? Enfin, je veux dire… de la même lignée ? Entre Neville Londubat et l’autre ? Ah, tu veux quelque chose ?

Maggie déclina la proposition avec politesse, lui expliquant qu’elle avait déjà suffisamment mangé mais qu’elle ne dirait pas non plus tard à une petite crème vanille quand viendrait le moment de consommer le dessert.

— J’ai effectué des recherches, reprit-elle, sérieuse. Il est possible que l’ancien propriétaire soit l’arrière-grand-père de Neville Londubat, du côté de son père, puis de son grand-père.
— Et donc… qu’il soit l’arrière-petit-fils de cette madame Black ?! s’étonna Kate en désignant le tableau.
— Oui, comme quoi, la grâce et le charisme ne sont pas forcément héréditaires ! pouffa Maggie.

Peu pouvait accorder des attributs, tels la grâce et le charisme, comme les citait Maggie, à Neville. Mais il défendait de bien meilleures valeurs que des qualités qui pouvaient paraître superficielles, comme la sympathie ou la loyauté, des mérites propres aux Gryffondors.

— Le monde des sorciers est vraiment petit, soupira Kate en appréciant les saveurs des différents plats, qu’elle testait les uns après les autres.
— Tu l’as dit, approuva son amie. Puis dans les familles de sang-purs, tout le monde se recoupe ! Entre les Black, les Yaxley, les Malefoy, les Weasley, les Londubats, les Fawley, les Rosier…

L’évocation de ces différents noms fit trembler Kate, en particulier en entendant celui d’Orpheus, le journaliste qui désirait s’accaparer de tous les mystères qui tournaient autour d’elle.

— Bref, finalement, il n’y a plus de familles. Il n’y en a qu’une seule. Celle des sorciers.

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant