Chapitre 11 - La lettre au cachet vert

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— Et tu vas me rapporter Kate Whisper...

Kate manqua de s'étouffer avec la grande bouffée d'air qu'elle venait d'avaler, la tête s'enfonçant davantage dans son oreiller, ses paupières s'ouvrant sitôt sur ses prunelles grises. Un réveil pour le moins brutal. Peu agréable. A l'image du rêve qu'elle venait de traverser. Elle reprit ses esprits, l'instant de quelques secondes, respirant par ahans fébriles, les yeux encore lourds de sommeil. Puis, après avoir jeté un rapide coup d'œil vers la fenêtre, elle roula dans son lit et attrapa à tâtons le réveil sur sa table de chevet. Les chiffres ternes de son vieil appareil lui indiquaient 8:24 AM. Kate grogna avant de reposer l'objet et de gesticuler sous ses draps, refusant de s'en extirper. Cependant, elle savait fort bien qu'elle ne parviendrait pas à se rendormir...
Se résignant d'un soupir, elle se leva d'un pas maladroit sur le plancher grinçant et déambula dans sa chambre en direction de la fenêtre, dont elle tira le rideau. La lumière éclatante de l'aurore estivale éclaira la petite pièce, que la nuit avait rendue poussiéreuse, de petites particules voletant dans les airs. Kate dévia son visage, étiré dans une grimace d'inconfort, quelques secondes avant de constater la présence d'un oiseau sur son petit balconnet en fer rouillé. Ce n'était ni une mésange désireuse de lui chanter une ode matinale ou un rouge-gorge quémandeur de pain, mais un hibou grand-duc, à la tenue hiératique, ses cornes de plumes droites sur sa tête carrée. Un sourire s'élargit sur les lèvres de Kate, les yeux encore pesants :

— Goliath ?

Kate souleva le cadre de la fenêtre et invita le hibou à entrer. Ce dernier dut se faire prier pour entrer, se juchant sur l'une des étagères. A ses serres était accrochée une petite lettre coquette. La qualité du parchemin était telle, marbré de reflets d'or, que Kate n'eut plus aucun doute sur l'expéditeur. Elle détacha le message qui lui était adressé et le déplia. Au fil des mots qu'elle lisait, la petite fille sentit son cœur s'alléger de bonheur. Avant qu'elle ne se précipite dans le couloir et ne descende les escaliers en trombe.
Dans la cuisine bercée par les grésillements d'une radio, Grace titillait d'une spatule en bois les œufs qui cuisaient dans sa poêle, tandis que Phil, assis à la table, lisait attentivement la Gazette du Sorcier qu'il venait de recevoir. Ses parents ne devaient pas être levés depuis très longtemps ; ce fut le café de son père qui le lui indiqua. Car devant lui se tenait son vieux mug magique, à la surface duquel galopait un griffon cracheur de feu. Lorsque la tasse se vidait ou que son contenu devenait tiède, l'image de la bête légendaire s'endormait dans un sommeil paisible.
Kate entra en trombe dans la cuisine, excitée comme une puce :

— Vous ne devinerez jamais ce que je viens de recevoir !

Son père lui jeta un regard malicieux par-dessus son journal.

— Bonjour ma grande, tu as bien dormi en cette nuit du 12 août ? Fais de beaux rêves ? Moi oui, je te remercie. C'est toujours gentil de me demander comment je vais de bon matin, ma chipie, j'apprécie tes convenances chaleureuses. Tu veux ton English Breakfast ? Ta mère vient juste de mettre de l'eau à bouillir.

Pour remédier à sa remarque sarcastique, Kate se précipita vers lui pour lui offrir la bise avant d'en faire de même avec sa mère.

— Désolée ! Mais je suis si heureuse !
— Eh bien ! Tu as beaucoup de chance d'être aussi pétulante dès le saut du lit, s'étonna Phil en délaissant sa gazette. Beaucoup en rêveraient... Moi le premier...
— Tu as reçu une bonne nouvelle ? s'intéressa sa mère, qui lui servit ses œufs au plat. Ta lettre de Poudlard ?
— Non, tu n'y es pas du tout ! Maggie m'invite à aller voir la coupe du monde de Quidditch avec elle ! C'est merveilleux, non ?

Mais alors qu'elle s'attendait à une réaction enjouée de ses parents, ou tout du moins positive, elle se retrouva face au sourire maladroit de sa mère qui ne connaissait pas grand-chose au Quidditch et aux tressaillements des sourcils de son père.

— Que je me rappelle bien... la coupe du monde se déroule à Singapour cette année... souffla Phil, englobant son mug au griffon de ses deux grandes mains.
— O-oui, bredouilla Kate, encore crainte et joie.

Phil adopta une expression curieuse, affichant un sourire grimaçant étrangement peu rassurant.

— Il est hors de question que tu t'y rendes, ricana-t-il en secouant la tête.
— Quoi ?! s'étrangla Kate. M-mais papa ! C'est la coupe du monde de Quidditch ! Je ne peux pas rater ça !
— Bon, laisse-moi réfléchir deux secondes. Hmm. Non.
— Ton père a raison, Kate, intervint Grace en revenant vers la table, serrant la ceinture de sa robe de chambre bleu clair. Tu es encore jeune. Singapour est à l'autre bout du monde... ! Ce n'est pas la plus sage des idées.
— Rien n'est loin pour des sorciers ! se défendit-elle. Je suis sûre qu'il y a des moyens rapides pour s'y rendre !

Elle attaqua avec une rage retenue les pauvres œufs de son assiette, perçant l'opercule flasque du jaune qui se répandit.

— Tu as l'air d'oublier, ma chère fille, que ton âge n'est pas forcément l'idéal pour te rendre seule à ce genre de festivité...
— Mais je ne serai pas seule ! Il y aura Maggie et sûrement ses parents.
— C'est censé me rassurer ?
— Tu n'as qu'à venir avec moi papa ! Je suis sûr que ça te plairait ! Tu verras, ça sera génial ! Carrément inoubliable !
— Au temps pour moi, je ne savais pas que tu avais trouvé un sac de gallions sous ton oreiller entre hier et aujourd'hui...
— Papa, écoute-moi, arrête de faire l'idiot...
— Ah. Bien, d'accord.

Le visage de Phil se figea une expression si froide, le regard appuyé par le gris acéré de ses yeux, que Kate vint à en regretter ses paroles.

— J'écoute tes arguments, moujingue.
— Les parents de Maggie sont très... euh. Ils ont les moyens ! Ils pourront nous payer le voyage ! Et le logis sur place !
— Je n'ai pas envie de dépendre de quiconque pour des frais, asséna Phil, grave en se pinçant les lèvres. Il est hors de question qu'ils nous paient quoi que ce soit...
— Mais Maggie m'a dit que ça ne leur poserait pas de problèmes... !
— C'est à moi que ça en pose un... ! Si on part, ça sera avec notre argent. Or, comme tu l'as remarqué... Nous n'en sommes pas à louer un dragon pour notre chambre fort à Gringotts... Nous n'avons même pas assez pour nous offrir un elfe de maison cul-de-jatte... !
— Tu auras sûrement l'occasion d'aller à d'autres coupes du monde, ma chérie, la raisonna sa mère en frictionnant son épaule. Qui seront moins loin que Singapour...
— M-mais... c'est Maggie qui m'a invitée ! clamait Kate, acharnée et déçue. Je ne peux pas refuser ça !
— Si tu veux, je peux m'occuper d'écrire moi-même la réponse, elle sera mieux en mesure de comprendre, marmonna Phil en avalant une grande gorgée de café. En attendant, il n'est même pas envisageable que tu t'y rendes... D'autant plus que le monde sorcier reste encore dangereux et imprévisible en ce moment...

Saisie par un élan de colère qui empourprait son visage, Kate se leva et, ne prenant même pas la peine de terminer son petit-déjeuner, quitta la table sur quelques mots criés :

— Au cas où tu ne saurais pas, papa, la guerre est terminée ! J'ai le droit de vivre ma vie !
— Bah voyons...

La fillette retourna dans sa chambre, essuyant quelques sanglots disséminés le long de ses pas. Perplexe, Phil souffla.

— Elle comprendra, l'accompagna sa femme dans un même soupir en haussant des épaules. Elle est encore jeune pour se rendre compte de la réalité du monde, encore plus en ce qui concerne celui des sorciers.
— Oh, je ne m'inquiète pas, elle s'en remettra.

Au même instant, comme une flèche brune, Littleclaws, qui s'était introduite par la fenêtre entrouverte dans un pic de vitesse, tournoya dans la cuisine avant de se poser sur la table, ses griffes dérapant à la surface du bois alors qu'elle tentait de s'approcher de son maître.

— Toujours aussi hygiénique que de voir un oiseau qui se nourrit de charognes de souris sur la table du petit-déjeuner, nasilla Grace pour taquiner son mari.
— Parce que tu penses qu'il existe mieux ?
— Chez les pauvres Moldus que nous sommes, cela s'appelle le service postal. Ça nous épargne les plumes dans l'assiette et les piaillements intempestifs !
— Ne l'écoute pas, ricanait Phil en retirant les lettres portant le sceau du ministère que Littleclaws lui apportait en s'adressant à sa petite chouette. Elle ne profère que des vilénies...
— Encore et toujours ! lança Grace dans un unique éclat de rire, tout en débarrassant la table.

Phil passa en revue le courriel adressé par le ministère, plus précisément du Service des Nuisibles du département de contrôle et de régulation des créatures magiques : il s'agissait des renseignements collectés par les sorciers afin de l'orienter vers les affaires sur lesquelles il aurait à régler ce jour-là dans la circonscription dont il avait la responsabilité en tant que Nettoyeur. Des incidents impliquant le plus souvent d'innocents Moldus... Les urgences demeuraient rares, mais il arrivait à Phil d'être réveillé au beau milieu de la nuit par une lettre de Littleclaws concernant l'attaque d'une Banshee sur une ville entière peuplée de Moldus. Ce à quoi il fallait impérativement réagir dans l'immédiat, au risque de se retrouver le lendemain avec une banderole défilante aux informations moldues à propos de nombreuses disparitions inquiétantes !

— Tiens, un Licheur, ça fait bien longtemps que je n'en ai pas eu... !
— C'est tout ce que tu as comme mission pour aujourd'hui ?
— Oh non, d'autres petites commodités. Invasion de gnomes, un Niffleur qui s'est attaqué à un bijoutier... La routine, ma brave femme !

Lorsqu'il fut fin prêt à partir, Grace le rejoignit dans l'entrée et accompagna son baiser d'au revoir de quelques mots :

— Cesse de te faire du mouron, elle ne t'en veut pas... Elle comprendra ton choix vis-à-vis d'elle. Ce soir, ça ne sera que de l'histoire ancienne et elle te sautera dessus quand tu reviendras... !
— De qui me parles-tu ?
— De ta fille, grand dadais ! Je te connais trop bien depuis le temps...
— Ah, mes excuses. J'ai cru un instant que tu parlais de ma maîtresse !

Phil encaissa le poing que son épouse, aussi bien amusée qu'offusquée, lui avait enfoncé dans les côtes avec un sourire narquois.

— File avant que je ne pointe le fusil de chasse moldu de mon père sur ta tempe, vil sorcier !
— Oui, bonne journée à toi aussi, ma chérie !

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant