Chapitre 62 - Attraction(s) !

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Les marches en pierre qui menaient aux remparts paraissaient interminables. Rien n'aurait pu égayer les environs de quelques couleurs, rabrouées par les sinistres croassements des corbeaux au loin. Ses corbeaux. Qui peut-être, de loin, depuis leur grande volière, l'avertissaient du danger imminent.
La sorcière ramassa les pans de sa longue robe sombre et poursuivit son escalade. Quand elle fut parvenue au sommet, elle s'arrêta un instant sur la vision de ce lac et de cette forêt embrumée. Les élèves avaient interdiction d'y poser le pied au risque de le payer de leur vie. Soudain, elle aperçut les ailes noires de l'un de ses compagnons percer le voile du brouillard et la rejoindre sur le très haut muret. L'oiseau pencha la tête après s'être juché sur les pierres humides et fit cligner ses fines paupières sur ses yeux d'ambre. La main de la sorcière lui proposa un support, qu'il accepta dans un nouveau raclement.

- Ne me quitte pas... lui murmura-t-elle.

Puis, elle élança son bras et le corbeau déploya ses ailes pour reprendre son envol. Il suivit d'un regard intéressé l'avancée de sa maîtresse encapuchonnée le long des remparts. Les tuiles de la tour qui surplombait l'endroit lui servirent de perchoir de fortune. Il y atterrit en les piétinant avec ses serres, les ailes encore entrouvertes et lâchant un croassement aigu.
Plus loin, une autre silhouette immobile était apparue. Elle réunissait à elle seule toutes les couleurs volées à la nature noyée par la brume. Sa faste cape verte était bordée de fourrure blanche et attachée par une broche d'or. Sa robe pourpre laissait apparaître un discret soulier avancé. Et sa chevelure de cuivre était accommodée d'une tiare chatoyante. La femme resplendissait d'orgueil. L'endroit semblait lui appartenir, de droit royal.
La sorcière de l'ombre s'arrêta, fébrile.

- Tu as demandé à me voir ?

Sa question ne fit pas réagir son interlocutrice immédiatement. Les cheveux ondulés de cette dernière volaient au vent.

- En effet. Merci d'être venue si vite...

La première sorcière soupira. Elle refusait de croire que le mal pouvait s'abattre sur elle. Du moins, pas de la main de son amie. Elle reprit confiance et leva la main pour tirer sa capuche, dévoilant son teint pâle et ses cheveux noirs, comme si toute teinte lui avait également été subtilisée. Seuls ses deux yeux de saphir reflétaient une intelligence qui ne trouvait que peu d'égale en ce monde. Alors, l'altière sorcière se tourna vers elle et articula avec un demi-sourire :

- ... Cliodna.

La druidesse demeura impassible face à la reine Maëva qui la dévisageait. Cependant, ce regard, de plus en plus intense, la déstabilisait. Elle commença alors à craindre que les mauvais augures ne s'accomplissent hélas...

***

Le manque d'air provoqua le réveil brutal d'Electra, qui ouvrit des yeux écarquillés pour reprendre un souffle bruyant et douloureux. Elle prit le temps de se calmer. L'air chaud n'était en rien comparable aux dehors frais et humides des remparts qui ne cessaient de la hanter. Car elle connaissait l'issue de ce rêve, elle refusait de le vivre de nouveau.
Ses mains encore tremblantes caressèrent les draps légers dans lesquelles elle s'était à peine glissée à cause de la chaleur ambiante. Reprenant lentement ses esprits, Electra se redressa en se frottant le front et les tempes d'une main qu'elle espéra apaisante. Mais cela ne lui suffit pas. La Sorcière Bleue se leva sans bruit et glissa jusqu'à la fenêtre, qu'elle ouvrit afin que l'air extérieur s'engouffre dans la pièce étouffante et charrie les reliques de son cauchemar. Elle observa un moment les toits de Londres, du Chemin de Traverse et de l'Allée des Embrumes, sans se soucier des éventuels voyeurs qui auraient pu ainsi la découvrir à guetter depuis son haut étage, entièrement nue.
Puis, son regard se leva graduellement vers les étoiles, à peine visibles à cause de la lumière de la capitale britannique. Les astres n'avaient pas changé en vingt ans. Ses cours d'astronomie lui revenaient parfois. Qu'est-ce que cela avait pu la passionner, fut un temps. Ses tiroirs d'étudiante avaient fini par craquer sous le poids de ses cartes, de ses trajectoires, de ses calculs et autres almagestes. Mais à quel macabre spectacle avaient-elles pu assister, ces étoiles. À la déchéance d'une jeune sorcière rêveuse qui aurait bien désiré faire d'elles son métier. Son ancienne perspective d'avenir la fit sourire. Que serait-elle devenue sans son Don ? Sans l'existence de Kate ?
Le bruit des draps rejetés l'arracha à ses pensées, mais elle ne cilla pas, se contentant d'observer la statue de dragon dorée, gardienne du portail de Gringotts, refléter le faible éclat du croissant de lune. Les pas grincèrent sur le vieux plancher. Puis, une main délicate glissa sur son flanc, tandis qu'une autre dégageait les cheveux de sa nuque, afin qu'un baiser puisse être déposé dans son cou.

Ludo Mentis AciemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant