Bon sang, qu'est-ce que je l'aime !

– Prends tes clés ! crié-je à Charly depuis la voiture.

– Ce ne sont pas les miennes, rechigne-t-elle en déboulant dans le hall.

– Alors, prends les clés que je te prête humblement tous les jours pour accéder à ma demeure dans laquelle tu passes cinquante pour cent de ton temps, tandis que je passe les cinquante autres chez toi. Et après tout ça, tu continues de prétendre qu'on n'habite toujours pas ensemble.

Elle fait mine de ne pas relever et attrape le trousseau accroché à un Lego dans l'entrée.

– Tu sais que j'ai raison, lui soufflé-je en l'embrassant passionnément.

Elle lève les yeux au ciel en me rendant mon baiser.

– Tu as de la chance que je t'aime, toi.

– Quoi ? demandé-je au-dessus du bruit du claquement de la portière.

– J'ai dit : tu as de la chance que je t'aime, répète-t-elle un peu plus fort.

Je fais vrombir le moteur pour couvrir ses mots tandis qu'elle s'installe sur le siège passager.

– Quoi ?

– Tu as de la chance... articule-t-elle à nouveau avant de s'arrêter en voyant mon hilarité.

– Tu ne connais pas l'ironie, toi !

Elle grogne à mon petit jeu auquel elle se fait toujours avoir. Je la regarde tendrement et lui caresse la joue.

– Je t'aime aussi, alors vivons ensemble ! ajouté-je joyeusement.

– Nope ! lance-t-elle en posant son anorak sur ses genoux.

Je hausse les épaules en souriant, actionne la marche arrière et sors de l'allée.

Un grand soleil baigne le paysage et se reflète sur la neige tandis que nous descendons de notre montagne.

Je pourrais passer mes journées entières à taquiner Charly sur le sujet. C'est d'ailleurs le cas, en fait. Je ne cherche pas à la presser, je connais sa position sur l'engagement. Et habiter sous le même toit est un pas énorme pour elle. Je prends donc les choses à son rythme, et ne lui impose rien. À force, j'ai bien compris comment elle fonctionne. Et j'ai beau estimer que ça serait quand même plus pratique, je sais qu'il s'agit d'une liberté à laquelle elle n'est pas encore prête à renoncer.

Cette dernière année n'a pas toujours été simple pour nous, malgré la force du lien qui nous unit. Nous n'avons aucun doute concernant l'amour que nous partageons, mais sur le reste, c'est une autre histoire. Nous nous sommes lancées dans cette aventure à cœur perdu, après nous être rendu compte qu'on ne pouvait plus continuer à emprunter des chemins différents. Tout nous ramenait toujours sur le même sentier, et malgré mes casseroles bruyantes et ses bagages qui prennent bien trop de place, on a chacune accordé un peu d'espace à l'autre pour créer notre cocon.

Le passé a laissé ses marques en nous, et au lieu de lutter contre, nous essayons de l'apprivoiser un peu plus chaque jour. Elle a morcelé ses relations avec sa famille, n'en tirant que le meilleur pour exclure la toxicité de son père. Elle a ainsi renoué avec ses cousines et sa tante et reprend peu à peu sa place légitime à la table tandis que la haine de son géniteur se retrouve étouffée par la pression des pairs. On ne peut pas le changer, alors elle a décidé qu'il ne représenterait plus un obstacle à son bonheur, et elle ne m'a jamais rendue aussi fière que quand elle l'a remis en place de toute sa hauteur.

De mon côté, je me reconstruis un peu plus chaque jour, acceptant de lui faire confiance et de croire qu'elle ne se retournera jamais contre moi. Il faut dire qu'elle sait exactement ce dont j'ai besoin au moment où j'en ai besoin. Elle me rattrape lorsque je sombre et je la relève si elle s'affaisse. Nous sommes chacune le soutien de l'autre quand nous n'avons plus la force de nous porter toutes seules.

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now