Chapitre 21

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Les jours se suivent et se ressemblent. J'ai l'impression de porter un petit nuage au-dessus de l'épaule. Au mieux de ma forme, il est d'un gris clair et silencieux, mais quand de sombres pensées envahissent mon esprit sans que je ne puisse m'en dépêtrer, il vire au noir et lance des éclairs qui me donnent mal à la tête.

Quand j'étais enfant, j'avais une manière très figurée de voir les choses et chaque émotion était retranscrite en image dans mon esprit. C'est encore un peu le cas aujourd'hui, mais je n'éprouve plus trop de difficultés à mettre des mots sur ce que je ressens. Pourtant, ces derniers temps, les mots ont disparu et les images ont fait leur retour. À la manière de mon enfance, dans ma tête, un petit vélo progresse sur une jolie route goudronnée et organisée grâce aux traces peintes en blanc. Mais depuis quelques jours, ma route semble toute cabossée.

J'avance avec recul, je marche sur des braises et je change constamment de direction. J'ai subitement peur de trop en dire ou pas assez. Je dissimule ma tourmente sous un masque de fatigue passagère qui semble pourtant ne jamais vouloir déguerpir.

À l'agence, le mode automatique a pris le relais et je fais en sorte d'accorder suffisamment d'attention à mon travail pour ne pas enchaîner les boulettes comme lundi. Cependant, Chloé a de nouveau brillé par son absence et je ne l'ai pas vue depuis plusieurs jours. Par contre, Betty, elle, est revenue de son périple espagnol et je suis vraisemblablement la première personne sur laquelle elle s'est jetée en arrivant au travail mardi.

– Charly, Charly, ma jolie Charly ! Alors, raconte-moi tout ! m'a-t-elle crié en s'élançant pour me prendre dans ses bras.

Enfermée dans ma bulle, je n'avais pas pris conscience de la tornade Betty avant de sentir sa peau contre la mienne. Je me suis écartée d'elle, plus par réflexe qu'autre chose, et elle s'est immobilisée dans sa lancée.

– Ça ne va pas ?

– Si, si !

J'ai répondu avec une véhémence non voulue, ce qui a provoqué le froncement de ses sourcils. Elle s'est alors assise sur le rebord de mon bureau pour me dire qu'à son avis, ça n'y ressemblait pas.

Je me suis difficilement retenue de lui balancer que son avis ne m'intéressait pas, mais je ne voulais pas la blesser, et cela aurait été injuste de déverser ma rancœur sur elle alors qu'elle n'y était pour rien. Du coup, je me suis contentée de la congédier le plus gentiment possible en me justifiant d'un monticule de dossiers à traiter.

Pourtant, quand nous nous sommes recroisées plus tard, elle ne s'est pas attardée. Je sais que je devrais aller la voir pour en parler ou m'excuser, mais pas maintenant.

***

Je m'enfonce dans le boulot tous les jours, évitant même d'aller partager ma pause de midi avec mes collègues. Le soir, j'alterne entre le bar de Sallanches et l'Onyx où j'ai fini par prendre mes marques. Comme je suis un minimum professionnelle et que je ne tiens pas à me faire virer, j'ai troqué la bouteille contre les filles et ce n'est pas plus mal. Je me perds dans le sexe comme dans une drogue, en tirant un plaisir éphémère, mais presque sincère, me permettant de m'évader et reprendre du poil de la bête.

Et aujourd'hui, enfin, lorsque j'arrive à Extra'Time en rentrant d'un rendez-vous, mon petit nuage semble avoir retrouvé son chemin vers le ciel. Sans raison apparente, je ne ressens plus son poids sur mon épaule et mon corps me paraît moins pesant. L'idée de croiser mes collègues s'avère même tentante. Je décide donc que cette fois-ci, ma pause de midi ne se déroulera pas dans la solitude la plus complète. Et pour cela, la première étape est d'aller voir Betty.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant