Chapitre 38

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En début de semaine, j'ai la surprise d'apprendre que j'ai droit à quelques jours de congés que je pose pour le vendredi et lundi qui arrivent afin de profiter d'un long week-end. Le travail s'accumule et un peu de repos ne me fera pas de mal. Surtout que mon cerveau ne s'arrête plus depuis l'annonce de Chloé. Mon esprit est focalisé sur son procès et je parviens difficilement à penser à autre chose.

Le mercredi, je ne croise Chloé qu'à trois occasions. Une fois en arrivant, puis lors d'une concertation avec Joanne à propos de notre potentiel client du 8 mars, et enfin quand elle prend congé à 18 heures. Le point commun à ces trois épisodes est sa tension palpable depuis les îles Fidji. Ses yeux n'ont jamais été aussi cernés, elle était totalement déconcentrée, et j'ai cru qu'elle allait tout simplement exploser, ou s'effondrer, au choix. J'ai hésité à essayer de la dérider un peu, mais aucune phrase n'a su se former correctement pour éviter d'avoir l'air de me mêler de ce qui ne me regarde pas.

Mes pensées à son propos sont confuses et embrouillées, mais maintenant, je possède un élément de compréhension. Élément que je passe la soirée à retourner dans tous les sens dans mon esprit pour essayer d'en tirer quelque chose, en vain. Sa situation est délicate, et je suis désolée pour elle, mais pourquoi est-ce que ça me prend aux tripes à ce point ? Pourquoi j'ai l'impression que c'est mon histoire qui se joue à la place de la sienne ? Mon estomac en est tellement noué que je finis par aller me coucher sans rien manger.

La journée du jeudi, quant à elle, se révèle interminable. Impossible de me concentrer sur mon travail. Une partie de mes pensées sont dirigées vers Chloé, je l'imagine toute petite dans un grand tribunal, face à la raison affreuse qui l'a emmenée là, et ça me tord les boyaux. L'autre partie angoisse pour ma rencontre de ce soir et je regrette plus que jamais d'avoir proposé à ma mère de me rejoindre. Je n'ai aucune idée de ce que je vais lui dire et mon esprit est bien trop encombré pour que je lui accorde toute mon attention.

Le soir venu, je conduis jusqu'au lieu de rendez-vous et arrive bien trop en avance. Je commande un café en m'installant à une table près de la baie vitrée. Avec vue sur la rue, je pourrais l'apercevoir en premier si elle se décide à venir. Mais les minutes s'égrènent et je me sens désespérément seule. Je savais que c'était une erreur, elle ne viendra pas. Il n'est même pas encore 19h05 que je suis persuadée qu'elle m'a posé un lapin. Habituellement elle ne veut même pas me parler alors qu'est-ce qui la motiverait à conduire à une heure de chez elle pour voir sa fille ?

Je tapote la table du bout des doigts en regardant la vie se dérouler devant mes yeux. Je ne connais pas bien Albertville, n'y étant allée que de très rares fois. Le café donne sur une petite place occupée par une église entourée d'arbres. C'est bucolique. Je vois une femme sortir de sa voiture et serrer son manteau contre elle. Un peu plus loin, un homme tient la main de son gamin, vêtu d'un blouson rose pâle et de bottes de neige à fleurs. Un autre homme les dépasse en marchant rapidement, le téléphone contre l'oreille, ses lèvres bougeant à toute vitesse à mesure qu'il parle.

L'heure est presque écoulée et la serveuse me demande si je désire autre chose, mais je secoue la tête en souriant faiblement. Alors que je commence à me lever pour décrocher mon manteau de la chaise, ma mère se matérialise devant moi, légèrement essoufflée.

– Désolée... Je n'ai pas pu me libérer avant, s'excuse-t-elle doucement.

Je l'ai vue il y a quelques mois seulement à l'anniversaire de mon grand-père, et pourtant j'ai l'impression que cela fait des années que je ne l'ai pas réellement observée. Elle possède les même yeux verts que moi, sous de longs sourcils qui semblent toujours haussés, comme si son expression naturelle était l'étonnement. Elle est maigre et frêle, mais je sais qu'elle est résistante. Elle est peut-être d'une passivité affligeante, mais elle n'a jamais flanché, à s'occuper des courses, de la maison, de nous, enfin surtout de mon frère et ma sœur. Elle tenait l'intendance et les comptes bien qu'elle ne ramenait pas d'argent à la maison. Je ne sais pas si elle a jamais pris un seul instant pour elle dans sa vie.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant