Chapitre 41

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– Tu te souviens du message que je t'avais envoyé par erreur ? C'était destiné à Zoé, ma meilleure amie. Depuis sa mort, son numéro n'a toujours pas été réattribué. Au début je l'appelais pour entendre sa voix sur son répondeur. J'étais devenue accro, jusqu'à ce que ses parents finissent par couper son abonnement. Alors j'ai commencé à lui écrire des textos et lui raconter ma vie, mes peines, et parfois ma colère qu'elle ne soit plus là.

Sa voix est comme une lame s'abattant sur mon cœur qui se contracte jusqu'à menacer de se briser. Je ressens tout à coup une vague d'émotion m'emporter. Je ne tente même pas d'envisager Pauline quittant ce monde bien trop tôt. Elle est mon socle et je n'ose concevoir une vie sans son existence au quotidien. Je ne peux qu'essayer d'imaginer sa peine et je m'en trouve bien incapable, la seule idée me coupant toute respiration.

– Je suis désolée, murmuré-je après avoir repris assez d'air pour formuler une phrase à haute voix.

Elle secoue la tête et triture le coin de la boîte de mouchoirs avec ses ongles pendant un long moment.

– Ne le sois pas, finit-elle par déclarer. Ce n'est pas comme si c'était de ta faute. Tu n'y peux rien. Je n'y pouvais rien non plus.

Elle prend une grande inspiration et se met alors à me raconter toute l'histoire. Sans s'arrêter, elle déverse toute la peine que porte son cœur et m'en explique les moindres détails. Le jour où sa meilleure amie a appris qu'elle était malade, que ce mot effrayant est tombé et qu'on lui a collé cette étiquette sur le front marqué « mucoviscidose ». Celui où Chloé a compris que Zoé ne pourrait jamais mener une vie normale. Celui où elle a réalisé que du jour au lendemain, on pourrait lui enlever une des personnes les plus chères à son cœur.

– Elle a su qu'elle était malade quand elle avait douze ans. Maintenant c'est obligatoire, mais dans les années 90, on ne dépistait pas systématiquement les nouveau-nés. La plupart du temps, ça se déclare dans la première année de vie, mais ça peut se diagnostiquer plus tard, dans l'enfance, l'adolescence, ou même à l'âge adulte dans de rares cas, mais c'est pour des formes moins graves.

Cette maladie me parle vaguement. Je me souviens d'un chanteur de mon adolescence qui en est mort et qui avait été très médiatisé. C'est comme ça que j'ai appris l'existence de la mucoviscidose, mais à part que c'est incurable, je ne sais pas grand-chose d'autre.

– Chacun développe sa propre forme de la maladie car elle attaque plusieurs organes, donc on ne savait jamais vraiment à quoi s'attendre. Zoé avait une grosse atteinte respiratoire, mais aussi digestive. Quand le diagnostic est tombé, les médecins lui ont donné cinq ans à vivre. Elle ne m'a avoué ce détail que plusieurs années après. Elle vivait avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les traitements prolongent la durée de vie, mais ne guérissent pas. Elle était au courant qu'elle allait mourir, mais elle n'avait aucune idée de quand ça allait arriver, le pronostic changeait au gré de l'évolution. Et je crois que c'est ça le pire. Ne pas savoir. Ou plutôt justement si, de savoir que demain, peut-être, ton existence s'effondrera pour toujours.

Chloé semble se vider de ses émotions comme si rien ne pouvait l'arrêter.

– Le truc vicieux avec cette maladie, c'est qu'en règle générale, elle ne se voit pas de l'extérieur. Pas tant que tu n'es pas relié à de l'oxygène ou que ton état n'est pas critique. Mais à l'intérieur, c'est la débandade en permanence et ça bouleverse complètement ton quotidien. Zoé prenait entre cinq et dix cachets par repas, faisait de la kinésithérapie respiratoire tous les jours, et si elle loupait ne serait-ce qu'une séance, le lendemain lui faisait durement payer. Elle toussait parfois jusqu'à en saigner, jusqu'à s'épuiser, jusqu'à paralyser ses membres temporairement tant ça lui prenait de l'énergie. Parfois elle s'absentait une, deux, trois semaines pour aller en cure. Là-bas, elle était raccrochée à une perfusion pour recevoir des antibiotiques matin, midi et soir. Elle revenait généralement en meilleure forme, pour mieux rechuter plus tard. Elle faisait le yoyo, et ça me faisait complètement flipper.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant