La Souveraine (3)

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— Les arcanes ont entendu votre serment. Que votre règne soit long et prospère, et que vos désirs personnels jamais ne mettent en péril la population d'Helvethras.

Elle s'interrompit, et quand elle parla à nouveau, son ton cristallin résonna si proche des oreilles d'Eliane que cette dernière fut immédiatement et intimement persuadée d'être la seule à l'entendre. Elle s'étonna d'y percevoir une pointe de tristesse.

— Quant à toi, enfant de l'ombre, si tu poursuis dans la voie que tu t'es tracée, le prix que tu devras payer sera plus élevé encore que tous les tributs que tu as déjà versés. Mais, pour peu que tu ne dévies pas, ton âme transcendera le trépas et rejoindra le Temple.

La gorge nouée, la jeune femme acquiesça, intimidée pour la première fois de sa vie par quelqu'un d'autre que ses parents. La figure éthérée, immatérielle et pourtant écrasante de son calme souverain, la dominait de sa brûlante lumière. Pourtant, malgré toute sa réserve, la jeune reine ne put réprimer sa question, formulée dans un murmure à peine audible :

— Ma mère...?

La prêtresse esquissa une ombre de sourire.

— Elle a tracé sa voie parmi les vivants, et elle est des nôtres aujourd'hui.

La réponse, claire et simple, parvint à refermer enfin une vieille blessure que les plus puissants enchantements n'avaient su faire cicatriser. Apaisée, Eliane ploya le cou en guise de remerciement, ses yeux azurins toujours plantés dans ceux d'argent liquide de la prêtresse, qui sourit un peu plus visiblement, et proclama haut et fort :

— Longue vie aux souverains !

La foule répéta béatement la bénédiction et, aussi vite qu'elle était venue, la silhouette évanescente se dissipa, et la clarté de la nuit étoilée qui venait de tomber enveloppa l'assemblée. Tous relâchèrent un souffle qu'ils ne se rappelaient pas avoir retenu. Vilhelm se tourna vers Eliane, qui lui adressa un hochement de tête, les yeux brillants d'une tristesse refoulée. La blessure venait de se refermer, mais la cicatrice demeurait.

Zerrhus d'Ombre s'avança, portant sur un coussin de brocart les couronnes. Après une brève hésitation, Vilhelm saisit la tiare d'argent entre ses deux mains, précautionneux, la leva, et la posa sur la tête d'Eliane. À son tour, elle étendit les doigts en direction de la couronne de son roi et époux. La froideur de l'or la surprit. En se haussant sur la pointe des pieds pour la placer sur la tête de Vilhelm, une pensée incongrue la fit sourire : ils avaient si longtemps débattu de la couleur de son diadème. Laurus avait préconisé l'or par principe et symbolique, mais Eliane, consciente que ce n'était pas sa couleur, avait bataillé ferme jusqu'à obtenir gain de cause.

La couronne grandissait Vilhelm, réalisa-t-elle un instant seulement après l'avoir posée. Un jour, peut-être, se transformerait-elle en poids, mais pour le moment, elle le faisait paraître plus imposant. Les flammes des torches allumées par une armée de pages trouvaient leur reflet sur l'or poli et dans les profondeurs des joyaux bleutés qui décoraient l'ouvrage. Elle se prit à sourire, euphorique, réalisant qu'elle avait réussi. Elle avait atteint son objectif premier.

Puis, le constat la frappa, dur et réaliste : il restait tant à faire.

Elle chercha par réflexe le confort du regard de son père qui, par une simple – et imperceptible pour quiconque d'autre – inflexion des sourcils, parvint à la rasséréner. Elle songea aux mots de la prêtresse du Temple des arcanes, carra les épaules, et leva le menton. Il restait effectivement tant à faire.


Bien plus tard dans la soirée, la fête battait de son plein. Dans les rues, les gens dansaient, les ménestrels jouaient et les bardes déclamaient leurs fantasques histoires à la lueur des feux de joie, et leurs cris de joie parvenaient jusqu'à la cour du château, où avaient été organisées les festivités pour la noblesse. Rassérénée après le bain de foule qu'elle avait pris après le couronnement en compagnie de Vilhelm, Eliane était partie se changer pour arborer, selon les traditions, une allure un peu plus festive et dansante. Libérée de sa lourde et volumineuse robe noire, désormais vêtue de volants bleu pâle fluides et légers, elle termina la traditionnelle première valse avec Vilhelm, enchaîna une brève danse avec son nouveau beau père malgré la colère instinctive qui lui hérissait le poil, puis, tandis que Vilhelm s'éloignait avec Alyssa d'Ombre, nouvelle épouse de Zerrhus, bascula dans les bras de son propre père.

Dynasties / ElianeWhere stories live. Discover now