Je l'entends à peine reprendre sa respiration. J'ai l'impression qu'elle subit le même sort que moi et qu'elle a gardé tout ça en elle tellement longtemps que ça a fini par exploser. Je ne lui ai pas demandé de m'expliquer, mais ses pensées n'avaient plus assez de place à l'intérieur. Et sa tourmente n'a d'autre choix que de déborder en dehors de ce que son cœur peut contenir. Alors elle libère toutes ses émotions, tous ses ressentis, et je m'efforce de les accueillir pour qu'ils ne s'envolent pas dans l'oubli.

– Ma meilleure amie était toute ma vie. On a grandi ensemble, on a tout fait, tout partagé, chaque instant de nos existences. Et du jour au lendemain, on m'a dit que j'allais la perdre. Qu'un jour, je devrais avancer dans ma vie sans qu'elle n'en fasse partie. C'était totalement inconcevable pour moi.

Elle renifle et passe sa main sous son nez pour l'essuyer. La rage et la tristesse semblent se battre pour savoir quelle émotion prendra le plus de place.

– Je m'en suis rendue malade. J'en voulais au monde entier. J'aurais préféré que ça arrive à n'importe qui plutôt qu'à elle. J'aurais préféré que ça soit moi, chuchote-t-elle.

Le silence emplit l'espace et je ne peux que comprendre sa volonté. Si une chose pareille arrivait à Pauline, je formulerais probablement le même souhait.

– Mais je ne pouvais pas vraiment dire ça à Zoé, reprend-elle en levant les yeux sur moi. Du coup, mon corps a fini par l'exprimer à ma place.

Mon incompréhension doit se lire sur mon visage, car elle tend soudainement sa main et attrape une mèche de ma chevelure pour la laisser glisser entre ses doigts. Ce simple geste brise la paroi invisible qui nous sépare et fait vriller mon cœur.

– Quand on était en première, ses difficultés respiratoires ont empiré rapidement, et elle a fait une décompensation pulmonaire. Elle n'avait plus assez d'oxygène pour fonctionner normalement. Elle a failli y rester, et est restée deux mois à l'hôpital dans une sorte de coma avec aide respiratoire avant de finalement s'en sortir. C'est à cette période que j'ai commencé à perdre mes cheveux.

Mes yeux s'écarquillent, mais j'essaie de ne pas transmettre d'émotions pour laisser la place aux siennes. Je ne veux pas qu'une de mes réactions la réfrène dans son besoin de parler.

– Je possédais une longue tignasse brune à l'époque, révèle-t-elle avec mélancolie, un peu comme la tienne. Une épaisse chevelure qui faisait la fierté de ma mère. Ultra-coopérative, ne s'emmêlant jamais, le rêve de tout parent, j'imagine. Mais d'un coup, je me suis mise à perdre des touffes entières. Dès que je les brossais, ça en ôtait la moitié. Ça a duré quelques semaines, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien.

Elle se passe la main sur le crâne, comme égarée dans le souvenir de son cuir chevelu disparu. J'essaie de l'imaginer chauve, mais en vain. J'ai envie de réagir, de lui dire que ce n'est pas possible. Comment peut-on perdre ses cheveux du jour au lendemain ? Par pur réflexe, je plonge ma main dans les miens, comme pour vérifier qu'ils sont bien toujours là. J'attrape à mon tour une de mes mèches et l'entortille autour de mon index. Je me remémore alors la manière dont elle m'avait contredit quand j'avais évoqué une potentielle perruque. Pourtant, je ne vois pas comment le contraire peut s'avérer possible si elle a tout perdu. Je résiste à l'envie de caresser ses cheveux en découvrant enfin le secret de cette tignasse blanche comme neige.

– Pendant deux ans, j'ai été complètement chauve. Ça arrive parfois, ça s'appelle l'alopécie. Les médecins ont statué sur une réaction vive au choc psychologique qui s'est traduite comme ça.

Je hausse les sourcils. Je n'en avais jamais entendu parler.

Ce qui ne veut pas dire que ça n'existe pas, Charly.

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now