– C'est drôle finalement, j'avais déjà fait la distinction dans mon dressing, mais pas dans mon esprit...

En effet, ses habits quotidiens s'empilent, impeccablement superposés les uns sur les autres, sur les étagères de gauche, tandis que de grands éclats de couleurs et de formes indéterminées inondent la penderie à droite.

Elle sort un à un chaque vêtement, l'essaye ou se contente de le poser sur elle et me demande mon avis avant de faire son choix.

– Garde ce qui te plaît, Chloé. Ce n'est pas à moi de te dire ce que tu dois porter.

– Exact. Mais j'ai juste envie de savoir ce que tu aimes bien, répond-elle avec désinvolture.

Je remarque que la pile de ceux que j'apprécie rejoint vite l'étagère tandis que le reste est mis au rebut dans un sac plastique. Serait-ce important pour elle de me plaire ? Je veux croire à cette idée, car je ne suis pas encore prête à lâcher l'affaire, et tout prête à penser que quelque chose de nouveau se crée entre nous. Pourtant, je ne peux m'ôter cette désagréable sensation de marcher sur des œufs.

Ce temps que l'on passe ensemble, en dehors du cadre du travail, nous rapproche indéniablement, et au-delà de notre claire intimité physique, notre complicité s'est profondément développée. Nous volons des instants du quotidien, partageant des éléments de routine qui ne nous appartiennent pas. Des petits éclats de ce que pourrait être une vie passée ensemble, chacune aux côtés de l'autre. Parfois même, j'oublie que ce n'est pas – encore – le cas tant tout semble naturel entre nous. Et quand son rire résonne tous les soirs dans mon esprit, et que son sourire illumine systématiquement le chemin qui me mène à Morphée, la seule pensée qui m'anime est la perspective de la retrouver le lendemain.

Et dire qu'il t'a fallu 27 ans pour découvrir le sens du mot « aimer »...

Nous parlons de tout et de rien à chaque fois que l'on se voit, et désormais, je ne peux plus dire que je ne sais rien de Chloé. Je pourrais épingler sur une carte du monde tous les endroits qu'elle a visités, et elle pourrait énumérer le nom de tous les amis que j'ai pu me faire dans ma vie. Cependant, un seul sujet reste sous le tapis.

Étalée sur le canapé, un verre de vin à la main, Chloé semble apaisée par le passage de son frère un peu plus tôt. Après avoir vidé sa penderie, la soirée se déroule calmement et je me rends compte que l'on adopte déjà quelques habitudes, comme si mes visites après le travail étaient coutumes depuis bien plus d'une semaine. J'ai remarqué qu'elle commence toujours par me proposer un verre d'eau ou un café. Café qu'elle me sert systématiquement dans la même tasse, qu'elle m'a attribuée dès ma première visite. Une tasse blanche sur laquelle sont représentées deux femmes enlacées, qui se dénudent sous la chaleur de la boisson. Cadeau d'anniversaire de sa meilleure amie il y a cinq ans. Puis nous nous adonnons à une activité comme du rangement, un jeu ou une petite promenade. Selon l'envie et le contenu de son frigo, nous cuisinons ensemble. Et enfin, après manger, nous nous installons sur son canapé, un verre à la main, pour discuter de choses et d'autres. Chaque soir un peu plus proches. Chaque soir un peu plus intimes. Mais sans jamais laisser la passion nous consumer. Comme si voler trop près du soleil allait nous brûler les ailes.

Foutu Icare, il a fallu que tu cherches à t'évader de ta prison dorée...

– J'ai gagné le procès.

Je redresse la tête, incertaine d'avoir correctement entendu.

– Je n'ai pas voulu t'en parler avant parce que j'avais besoin de gérer cette information d'abord, mais mon avocat m'a appelé lundi matin. J'ai gagné le procès.

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now