Dans un univers où les vivants peuvent absorber l'énergie environnante, les plus doués sont nommés "Cultivateurs" et ont accès à une puissance quasiment divine, à quoi ressemble le quotidien d'Esh ?
Difficile à dire, car à la veille de ses treize...
Après lui en avoir longuement expliqué les risques, son père venait de transmettre à Esh le manuel de double cultivation.
De manière générale, cultiver sa spiritualité était plus dangereux que cultiver son physique : une mauvaise manipulation pourrait endommager son embryon de noyau qui, contrairement à sa cultivation Physique, était quasiment impossible à réparer. Nombreux étaient ceux ayant fini fous après avoir subi une déviation lors d'une séance de cultivation spirituelle. Le noyau était connecté à l'âme, et l'âme était directement responsable du soi, aussi décrit comme connecteur entre le physique et la vie.
Mais la double cultivation était encore plus risquée : elle demandait aux Cultivateurs de cultiver leur spiritualité et leur physique en même temps, l'équivalent de nettoyer une cheminée alors que le feu y était encore allumé. Il suffirait d'un seul moment de déséquilibre ou d'inattention durant une séance de cultivation, pour que la balance entre les deux facettes se dérègle et qu'Esh explose de l'intérieur.
Heureusement, son père allait pouvoir l'aider à stabiliser son flot énergétique, surtout au début, la période la plus critique où il allait devoir conformer sa cultivation déjà acquise, à la méthode de double cultivation. Mais ceci n'était qu'une partie du problème : fusionner les deux facettes au moment de devenir Moumré était considérablement risqué, et le manuel indiquait même que seulement une personne sur dix y survivait. Au moins, Esh avait l'avantage d'avoir vécu le procédé grâce au souvenir de Pisga.
Quand je pense qu'il y était parvenu sans technique de double cultivation, et une fois déjà Moumré, réalisa-t-il, en appréhendant enfin le talent choquant que possédait le lion royal. J'espère que Shelly sera de la même trempe.
Vu qu'il devrait attendre que son père soit disponible pour commencer à cultiver, il continua de travailler sur ses lois grâce à la peinture. Jusqu'à maintenant, il n'avait peint que deux tableaux, et ceux-ci représentaient les concepts de chaleur et de mouvement de la loi du feu. À chaque séance, il retouchait l'un deux, et à chaque séance, ceux-ci gagnaient en complexité.
Cette fois-ci, il avait jeté son dévolu sur le tableau du concept de chaleur. L'œuvre qu'il avait commencé à réaliser dans la classe de Kitour, ne représentant au départ qu'une simple flamme, affichait désormais une cheminée, dans laquelle brûlait un feu à peine visible.
Ce tableau avait beau paraître simple, il dégageait autant de chaleur que si Esh utilisait ce concept à son plein potentiel. Certes, les traits n'étaient pas des plus réalistes, mais la chaleur l'était belle et bien.
Quand Kitour avait évalué ses progrès, il l'avait même complimenté, choquant le reste des élèves présents, surtout au vu de l'habituelle mauvaise foi du maître peintre. Bien sûr, après avoir remarqué l'ébahissement général au sein de la classe, il s'était raclé la gorge, avant d'ajouter qu'Esh se devait d'améliorer son réalisme médiocre s'il espérait augmenter l'effet du tableau.
Après avoir passé à peu près deux heures à peindre, Esh poursuivit ce qui était devenu sa routine. D'abord, il partit près du bosquet avec Shelly pour jouer avec lui. Après tout, le lionceau avait beau être intelligent, il était jeune et avait besoin de se dépenser tout en mettant en pratique ses instincts animaux ; pour cela, chasser du gibier était parfait.
De plus, il avait lui-même besoin de se détendre. Il avait beau être motivé à avancer sur le Chemin, une consécration constante n'était pas réaliste, surtout avec ses difficultés de concentration. Bien sûr, il restait toujours à la périphérie du bosquet et repartait deux heures avant le coucher du soleil. Par conséquent, il n'avait fait qu'apercevoir une créature spirituelle au loin, avant qu'elle se fasse faucher par un patrouilleur quelques instants plus tard.
Une fois Shelly défoulée, il rentra chez lui afin de continuer à pratiquer le premier exercice du mur. Au départ, il croyait qu'exercer son physique et le cultiver étaient une seule et même chose, mais il n'en était rien. La cultivation était un amassement de puissance, alors que l'exercice était un affinement de la puissance amassée.
Le premier exercice du mur, par exemple, permettait d'améliorer son sens de l'équilibre, afin d'augmenter son efficacité. La première position consistait à tendre son corps vers l'avant, tout en restant stable, ce qui, au final, lui permettrait d'administrer un coup sans perdre son équilibre, et ainsi pouvoir plus facilement s'adapter à la réaction de son adversaire.
S'en suivaient ensuite d'autres positions s'appuyant sur le même principe. Cela pouvait paraître simple, mais chaque mouvement était rempli de détails minimes, demandant une grande concentration, tout en exigeant une énorme dépense physique, le laissant courbaturé toute la nuit, et même au réveil. Et sans son régime alimentaire... spécial, ce serait encore pire.
Après s'être exercé au sous-sol, il monta dîner avec sa sœur. Celle-ci paraissait particulièrement morose ce soir-là, mais il attribua son humeur à ses patrouilles qu'il savait compliquées. Voir les créatures, qu'elle avait combattues toute la journée, la suivre jusque dans son assiette, ne devait pas non plus aider.
Lui, avait par contre appris à apprécier la viande spirituelle. Certes, elle avait souvent un goût très fort, mais elle le laissait revigoré et plein d'énergie pour le lendemain. Il avait d'ailleurs conscience que, sans viande spirituelle, il serait incapable de maintenir sa cadence d'entraînement.
Après avoir fini de manger, et sans avoir échangé autre chose que des banalités avec sa sœur, il partit se coucher avec Shelly, ayant pris la (mauvaise ?) habitude de dormir dans son lit. Exténué, il s'endormit immédiatement. Demain sera une nouvelle journée de cours, suivis d'un entraînement intense, une routine qu'il était auparavant incapable d'imaginer, devenue son quotidien.
C'est ainsi que presque deux mois, quasiment entièrement constitués de journées telles que celle-ci, s'écoulèrent.
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