Chapitre 39.5 - Descendants

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Le couloir paraissait sans fin, et leur seul repère était des bruits de pas au loin. Mais bien que le rythme des pas parût lent à l'oreille, Esh et Evelle ne parvenaient pas à rattraper l'individu ouvrant la marche, et ce, quelle que soit leur vitesse.

Cela continua de longues minutes, avant qu'ils n'atteignent finalement une porte grande ouverte. Ils la franchirent sans hésitation et arrivèrent sur le toit d'une tour, suite à quoi la porte se referma et disparut.

Ils furent aussitôt pris de court par la nuit noire régnant dehors alors qu'à peine quelques minutes s'étaient écoulées depuis qu'ils avaient franchi la porte sous un soleil au zénith. Devant eux se trouvait une personne aux longs cheveux noirs, entièrement vêtue d'une robe de la même couleur, et portant un masque représentant un spectre blanc aux yeux rouges, décoré de larmes de sang, et affichant un large sourire.

̶ Qui êtes-vous ? ne put s'empêcher de demander Esh, impressionné par l'aura contradictoire que dégageait le masque.

̶ Excusez mon frère, il n'a aucune manière, s'empressa de dire Evelle, tout en poussant Esh dernière elle. Merci infiniment de nous avoir sauvés. Nous allons nous débrouiller à partir de là, ajouta-t-elle, en pointant du doigt vers le sol en signe de remerciement.

La naïveté d'Evelle était de l'histoire ancienne, et elle ne savait que trop bien qu'au sein de la capitale, une personne agissant par pure bonté était aussi rare qu'un dragon à neuf têtes. De plus, même si le marchand ayant voulu les asservir n'était que menu fretin à l'échelle de la capitale, il appartenait forcément à la Guilde des Marchands, une entité si gigantesque que seuls les deux autres Piliers pouvaient se permettre de se mettre en travers de leur route. Que les Cultivateurs en noir soient allés jusqu'à les tuer, lui et le reste de leurs poursuivants, avait des implications terrifiantes sur leur statut.

̶ Ne vous inquiétez pas, nous ne vous voulons aucun mal. Nous nous sommes juste trouvés au bon endroit, au bon moment. Contrairement au reste de cette ville, les Tséétsas ne se contentent pas de fermer les yeux devant l'injustice, répondit la personne voilée, d'une voix féminine et étonnamment jeune, contrastant fortement avec son masque. Le marché duquel vous vous êtes enfuis se trouve dans la direction opposée de la lune, à moins de dix minutes de marche d'ici. Si un jour vient où vous avez de nouveau besoin d'aide, brûlez ceci, finit-elle par ajouter, avant de disparaître de la même manière que la porte.

Le seul souvenir de son passage était une carte de seulement quelques centimètres. Esh la ramassa malgré l'objection de sa sœur. Bien qu'Esh ait foi en Evelle, qui ne lui faisait de toute évidence aucunement confiance, cette personne venait de leur sauver la vie, et il désirait en savoir plus sur son organisation. La carte avait un fond noir et n'affichait qu'un mot écrit d'une calligraphie blanche particulièrement sobre : « Tséétsa ».

̶ Esh, n'accorde jamais ta confiance à quiconque au sein de la capitale. Cet endroit est un nid de vipères, où tes ennemis portent des masques d'amis avant de te poignarder dans le dos avec un sourire similaire au masque de cette agent des Tséétsas. Si tu comptes survivre tes années au sein d'une secte, il te faudra être plus vigilant et d'offrir à tes proches du doute avant tout autres choses, l'avertit Evelle.

̶ Je ne suis pas aussi niais que tu le penses, mais je fais confiance à mes instincts. Et bien que je doute que cette personne nous ait aidés sans arrière-pensée, je ne crois pas qu'elle nous veuille du mal. Ne dis pas à Père pour la carte, finit par demander Esh, d'un ton si confiant qu'Evelle fut légèrement déstabilisée.

C'est alors qu'une personne vêtue d'une robe grise difficilement méconnaissable fonça vers eux à toute vitesse.

Quand on parle du loup... se dit Esh, au moment où il finit par discerner de qui il s'agissait.

̶ Que s'est-il passé ? demanda le Grand Prêtre, d'un ton si intransigeant qu'une chose était claire : il voulait entendre la vérité, et toute la vérité.

***

Au final, ce fut Evelle qui lui conta les événements. Au moment où elle expliqua ce qui s'était passé avec Shelly, Yashar l'examina avec son sixième sens.

̶ Elle va bien. Je suis pratiquement sûr que le lion royal lui a légué un héritage racial. Cela ne m'étonnerait pas qu'elle en tire des bénéfices conséquents, les rassura-t-il.

Evelle continua de raconter leur mésaventure. Mais au moment où elle en vint à la révélation de l'organisation venant de les sauver, elle fit une courte pause, et « omit » de révéler l'existence de la carte.

Leur père les fixa un moment, avant de soupirer. Il avait, de toute évidence, un avis sur ce qui venait de se passer, mais ne comptait pas le partager avec eux. Ses enfants n'avaient pas agi de manière inconsciente, et avaient juste été victimes de « malchances ».

En attendant, cet événement avait des conséquences bien concrètes : on avait vu le visage d'Esh, la Guilde des Marchands pourrait tenter de le retrouver pour obtenir des réponses. Heureusement pour eux, le village avait, par le biais de Neééman, développé des relations avec une famille influente justement en conflit avec la Guilde des Marchands : Les Toshiya, la famille contrôlant la politique de Kerah, avant que les Olamote ne les évincent. C'est donc là-bas qu'ils partirent se réfugier.

En arrivant sur place, Esh ne put s'empêcher d'être impressionné par leur manoir familial : il était aussi grand que l'arène de l'Équilibre, et même en pleine nuit, des milliers de lumières scintillaient autour du bâtiment débordant d'activité.

Même si, pour des raisons de discrétion, ils ne purent rentrer par la porte principale, ils furent extrêmement bien accueillis. Chacun reçut une chambre dotée d'un lit massif, et l'héritier de la famille, sauvé par Nééman, était même venu les remercier personnellement.

Des salles d'entraînement furent aussi mises à leur disposition et, tout à coup, l'idée de rester enfermé dans leur manoir les trois prochains jours ne paraissait plus si terrible pour Esh. Ce ne fut pas la seule bonne nouvelle. On lui avait également promis de l'amener devant le maître d'arme familial, afin qu'il puisse enfin en trouver une lui correspondant.

Esh partit donc se coucher avec Shelly, toujours inconsciente, mais totalement paisible. Elle était même en train de ronronner.

Il eut néanmoins du mal à s'endormir, incapable de cesser de penser aux événements de la journée. Il avait beau avoir été averti, l'injustice au sein de la capitale l'avait pris au dépourvu. Après tout, un marchand avait bien failli les enlever en plein jour devant des dizaines de témoins, et à seulement quelques mètres d'une patrouille de gardes. Pourtant, personne n'était intervenu. Plus malheureux encore : l'inaction des prêtres présents, ayant pourtant juré de protéger les faibles et les innocents.

Au final, l'aide est venue de là où l'on ne l'attendait pas, se dit-il, en pensant à la mystérieuse Tséétsa.

Cette nuit-là, Esh fit un rêve particulièrement réaliste : il était un membre de Tséétsa, chargé de veiller à ce que la justice règne au sein d'Ithak. La ville avait, de toute évidence besoin d'un héros, et il l'incarnait, entièrement vêtu de noir, prêt à défendre les valeurs auxquelles il croyait. 



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Les Pions de l'ÉquilibreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant