Sans même se retourner, elle se sèche les mains et disparaît dans une petite pièce vers l'entrée. Déboussolée, je débarrasse la table, sans vraiment savoir où me mettre.

J'aurais pu parier que ça serait bizarre. Je n'aurais pas dû rester. Et ce qui m'emmerde le plus, c'est que je ne me pose d'habitude jamais ce genre de question après une nuit pareille !

– Je vais me doucher, lance-t-elle en réapparaissant. Les clés du portail sont sur le buffet, donne un tour et mets le trousseau dans le pot à côté quand tu pars.

Cette fois-ci, elle me regarde dans les yeux, mais toute lueur joueuse ou chaleureuse a disparu. La Chloé ouverte, bavarde et gorgée de désir s'est évaporée, fermée comme une huître, et je me sens comme une merde. Génial.

– Ok, réponds-je décontenancée. De toute façon je vais y aller.

***

Mon retour à l'agence le lendemain s'avère plutôt violent. Moi qui avais pris l'habitude d'essayer d'avoir confiance en mes actions et de ne laisser personne altérer celle-ci, j'ai l'air bien amochée. J'ai décidé d'arriver tôt, encore une fois, pour éviter tout le monde. Je retourne cette situation dans ma tête depuis que je suis rentrée chez moi hier, et je suis parvenue à la conclusion suivante : le pire ne réside pas dans le fait d'avoir couché avec ma référente, non. Le pire, c'est de l'avoir fait après lui avoir livré la partie la plus sombre de moi. Et c'est ça que j'ai du mal à gérer. Elle pourrait littéralement faire n'importe quoi avec ça. J'ai bien conscience que je ne suis pas une meurtrière, et qu'il n'est finalement rien arrivé de grave à mon père. Que le coma a été provoqué uniquement par l'accident et pas par mon manque de réactivité – quoique... Mais si je ne l'ai dit qu'à deux personnes dans toute ma vie – trois maintenant – c'est qu'il y a une raison. Une raison toute simple : les gens gèrent très mal les erreurs des autres. Les sombres secrets attirent autant qu'ils repoussent. On a très envie de les connaître, presque par curiosité malsaine, et dès qu'on nous les livre, on doit faire face à la réalité et le poids de ces révélations.

Est-ce que Chloé a les épaules assez fortes pour accepter le fardeau que je porte, ou va-t-elle s'empresser de distiller des morceaux d'information à droite et à gauche ? Je travaille dans cette agence depuis moins de trois mois et elle a soudainement tout le pouvoir de pourrir ma réputation.

Quelle conne je fais ! Tout ça parce que je n'ai pas su fermer ma gueule.

Allez, Charly, reprends-toi ! Quand elle arrivera, tu iras lui dire bonjour comme si de rien n'était et tu resteras professionnelle avec elle.

J'ai l'impression de revenir à mon premier jour de travail, sauf que maintenant j'ai une idée assez claire de ce que Chloé a dû ressentir à ce moment-là...

J'inspire longuement et souffle un bon coup pour reprendre le dessus sur le charivari de mon cerveau. J'entends la porte du bureau d'en face s'ouvrir et ce simple bruit agit comme un détonateur. Je lève les yeux, le cœur dans la gorge et la sensation de manquer d'air pendant une demi-seconde. Je sens mon sang battre dans mes tempes et mon corps semble paralysé. Mais dès que j'aperçois une masse blanche s'engouffrer dans la pièce, toute la pression retombe.

Je laisse passer quelques minutes afin de me recomposer un visage normal et de lui permettre de prendre ses quartiers, et je me lance. Mais en sortant de mon bureau, elle est déjà repartie.

Tant pis.

Je retourne plus sereinement au travail, sans pouvoir m'empêcher de garder un œil sur la porte d'en face. Je réalise que je me ronge les ongles depuis mon arrivée et m'arrête immédiatement, bien que je me boufferais littéralement la main entière si je le pouvais.

Hating, Craving, FallingWhere stories live. Discover now