PARTIE 4 : LUNE

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« Un de ses élèves, Côme Le Blanc le père, disait qu'il arrivait à imiter toutes les inflexions de la voix humaine : du soupir d'une jeune femme au sanglot d'un homme qui est âgé, du cri de guerre de Henri de Navarre à la douceur d'un souffle d'enfant qui s'applique et dessine, du râle désordonné auquel incite quelques fois le plaisir à la gravité presque muette, avec très peu d'accords, et peu fournis, d'un homme qui est concentré dans sa prière. »
Pascal Quignard, Tous les matins du monde

Tous les matins du monde sont sans retour, toutes les nuits du monde sont sans détour. Il ferme les yeux, écoutant le son paisible des flocons de cotons qui valsent sur le manteau marmoréen déjà épais. Il est trop tard pour reculer.

Il a agi sur un coup de tête, sous une impulsion, mais maintenant, il le regrette. C'est plus douloureux que prévu. Il se prend à rêver de ne jamais l'avoir rencontrée. Il pense qu'il aurait été plus heureux car il aurait ignoré son existence. Il aurait continué sa vie sans qu'elle ne soit jamais chamboulée de la sorte.

Elle ne lui aurait pas manqué, car ce qu'on n'a jamais expérimenté ne peut pas nous manquer. Il se serait protégé et n'aurait pas l'impression d'avoir le cœur qui éclate en silence, dans l'indifférence générale. Même s'il ne veut pas que ça se sache, il aimerait bien être réparé aussi. Pour le moment, il n'a pas la force de le faire lui-même, de demander à la musique de l'aider. Il a peur de ce qu'il pourrait trouver. Il voudrait qu'on lui donne l'illusion qu'il en est capable.

Le silence que lui murmure la nuit froide est vertigineux. Les paillettes qui scintillent dans la rue ressemblent à des comètes tombées trop tôt. Elles ont peut-être brillé trop fort.

Il craque. Un stylo se retrouve dans ses mains, et le voilà avec un carnet aux pages vierges, face à la pâle lumière de la lune d'hiver. S'il ne peut pas composer maintenant, il peut toujours écrire. Écrire jusqu'à ce que ses doigts cessent de brûler et de s'impatienter, avides de mots et de mélopées.

Parfois, il lui arrive d'écrire les paroles avant les airs. C'est rare, mais ça arrive. D'habitude, il utilise plutôt la musique pour s'exprimer. Les notes, les sons.

Il ne sait pas encore ce que deviendra ce texte. Peut-être qu'il le gardera pour lui. Peut-être qu'il le corrigera. Peut-être qu'il le chantera. Peut-être qu'il le rallongera et l'adaptera. Tellement de possibilités et aucune d'entre elles ne lui paraît probable.

Mes pensées sont des papillons,
Mon cœur brisé est mon seul compagnon.
J'ai des flèches dans la poitrine.
Elles n'ont même pas frôlé tes épines.

Oh, j'ai découvert que tu étais une rose avant même que tu me piques.
Tu ne l'as pas fait exprès, j'aurais dû être plus prudent.
Mon cœur coule facilement.
Ce n'est pas toi qui a tiré cette flèche antique.

C'est Cupidon, monstre des amours, enfant des étoiles.
Il a fait de mon cœur son pantin rabougris.
Je ne devais le donner à personne.
Pourtant, si tu me le demandes, je te le donnerai sans hésiter.

Il arrête d'écrire, perplexe. Ça n'a plus beaucoup de sens. Peu importe, l'essentiel est de se sentir un peu mieux et de pouvoir trouver la quiétude. Il ferme le carnet et tire les rideaux. Sous les couvertures, il pense à éteindre son cœur. Et puis, juste avant de tomber dans les nuages cotonneux des rêves, un fil, aussi transparent que de la soie, le retient.

Une idée, aussi fugace qu'une étoile, germe dans son esprit.

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PLAYLIST

Replace You, Dead by April
Youngblood, 5 SOS
More, 5 SOS

Le temps d'une chanson (3)Where stories live. Discover now