⇝ Chapitre 62

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Les notes pleuvent de mes doigts comme il pleure sur la ville. Luke, Ludovic, Mike et Caitlin sont en train de se promener, malgré la pluie. Néanmoins, les gouttes rafraîchissent l'atmosphère générale et j'imagine qu'ils doivent en être heureux. J'ai préféré rester jouer un peu, pour profiter du fait que la salle de musique soit vide pour y interpréter ce qui me passe par la tête. J'ai quelques bouts de morceaux, quelques parties de chanson, mais rien de terminé. Ce n'est pas grave : le flou ne m'effraie plus. J'ai au contraire appris que les chansons se forment au fur et à mesure. C'est quelque chose que j'expérimentais peu, avant d'avoir signé le contrat, tant j'avais peu de temps pour composer et tellement j'avais de sentiments et messages à partager. Une fièvre coulait alors en permanence dans mes veines, me poussant à écrire de plus en plus, au détriment de mon sommeil et du reste.

Aujourd'hui, c'est ce que je dois faire tous les jours, et si cela a été terrifiant durant quelques temps, mon âme s'est vite acclimatée. Jamais je ne me suis sentie aussi légère, épanouie et... heureuse. Je grimace quand une note désaccordée retentit. Non, cet enchaînement n'ira pas !

Je reprends ma litanie, bien décidée à la travailler jusqu'à obtenir quelque chose qui transmette exactement ce qu'il faut. Au rythme des gouttes qui tambourinent délicatement la fenêtre, je songe à Alice, qui a intérêt à m'expliquer en détails sa journée avec Kit. Si elle ne m'en touche pas un mot, je jure de trouver le moyen de la faire parler. Elle n'en a parlé à personne : tous deux sont partis tôt ce matin et ont laissé un mot indiquant qu'ils passaient la journée à Galaxidi.

— J'espère que c'est un date ! s'était exclamée Caitlin. Je n'en peux plus, de les voir se tourner autour depuis des mois !

— Que veux-tu que ce soit d'autre ? avait répondu Jay, en la jaugeant d'un air amusé.

— Je ne sais pas, une sortie entre amis ? avait suggéré Mike. Certains ont une définition particulière de l'amitié !

Il m'avait ensuite jeté un coup d'œil, ce qui m'avait mise terriblement mal à l'aise, sans que je ne sache vraiment pourquoi.

— Pas Kit, s'était immiscé Freddie. Il avait l'air très embarrassé et stupidement heureux hier soir, quand il est venu me demander s'il pouvait m'emprunter ma voiture.

— Tu aurais dû refuser juste pour voir sa tête, avait plaisanté Luke.

— Et risquer de le voir s'abandonner dans une longue tirade ? Non merci, je ne suis pas le meilleur ami de Roméo ! avait protesté le chanteur de Dark Fate.

— Shakespeare n'a qu'à bien se tenir ! Je suis sûr que sa déclaration aurait été formidablement lyrique !

Je n'avais pas pu m'empêcher de rire, imaginant un instant la scène : Freddie avec un air renfrogné, et Kit, agenouillé, en train de le supplier.

— Tu les aurais maudits tous les deux, avait renchéri Mike en riant aussi.

— J'en aurais probablement fait une chanson, avait corrigé Freddie, un sourire narquois sur les lèvres.

— Tu ne chantes pas beaucoup de chansons d'amour, avait pourtant observé Caitlin.

Freddie avait haussé les épaules.

— Je n'en ai pas encore eu l'occasion.

Il avait dit ça en évitant soigneusement de regarder qui que ce soit. Mon cœur s'était pincé et j'avais songé qu'il m'était insupportable d'attendre plus longtemps notre discussion. Mais je n'avais pas eu le cran de le mettre devant le fait accompli :

— D'ailleurs, vous avez avancé dans votre album ? l'avais-je questionné.

— On a deux EP et quelques chansons, avait répondu le chanteur en me jetant un coup d'œil indifférent.

Le temps d'une chanson (3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant