⇝ Chapitre 52

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   Pour la première fois depuis des mois, pas une seule mélodie ne coule dans mes veines. Pas une seule note, pas une seule émotion que je voudrais confier, pas une seule phrase que j'aurais aimé dire. Rien, mis à part une peur terrible qui s'est imposée à moi dès que l'absence d'inspiration est apparue.

  Et si mes meilleurs textes étaient déjà derrière moi ? Et si, finalement, je ne suis pas faite pour cela ? Pourrais-je seulement y survivre ? Je secoue la tête pour m'éclaircir les idées. Il me faut un sujet, une impression, une image, quelque chose sur lequel me baser.

   Je n'ai plus rien. Au moment de me coucher, hier soir, mon cerveau fourmillait d'idées, tant et si bien que je ne savais pas laquelle développer. Maintenant que je peux y travailler, les laisser grandir, elles se sont évaporées, ne laissant derrière elles qu'une brume épaisse de doutes et de lointains souvenirs dont l'image floue s'envole à chaque fois que l'on tente de s'en approcher.

   Dépitée, je décide de quitter ma chambre pour le salon, où Jay, Caitlin et Kit sont en train de se préparer, sûrement pour aller faire de l'escalade. Luke et Freddie se sont enfermés depuis ce matin dans le studio, avec quelques idées et une profonde envie de s'entraîner mutuellement à atteindre des notes qu'ils ne parviennent habituellement pas à atteindre. Quant à Mike et Alice, ils sont dans la salle de musique, si je me réfère au martèlement de la batterie et aux notes basses, bien en rythme avec la batterie, qui s'échappent de la pièce.

  Bref, je ne sais pas à qui parler de mes inquiétudes, et c'est sur cette pensée que je descends les marches, tombant sur Caitlin en train de se battre avec un baudrier.

— Emmy ! Tu viens avec nous ? questionne-t-elle, arrivant (enfin) à desserrer les sangles et à l'enlever.

— En réalité, je cherchais un peu de compagnie, avoué-je. Mais tout le monde a l'air occupé.

— Je croyais que tu écrivais des chansons dans ta chambre... tu as besoin d'avis ? interroge Kit en rangeant le baudrier de Caitlin.

Je me mords la lèvre, hésitante.

— Quelque chose ne va pas ? s'inquiète Caitlin.

— En fait, je n'arrive pas à écrire quoi que ce soit. Ou bien tout s'emmêle et il m'est impossible d'écrire le moindre air ou la moindre phrase, ou bien mon esprit est aussi vide que... que...

— Qu'un atome ? suggère Jay.

— Un coquillage ? propose Caitlin, en s'adossant à la porte.

— Tout ça à la fois, grimacé-je. Rien ne sort, c'est comme si j'avais perdu toute capacité de pouvoir créer quoi que ce soit. J'ai beau forcer, rien de bon n'en ressort. Vous croyez que c'est fini, que j'ai brûlé la chandelle par les deux bouts ?

— Tu sais, j'ai mis des années à comprendre ça, mais la créativité et l'inspiration sont comme des batteries. Ça se recharge, m'explique gentiment Kit, une lueur compréhensive dans le regard.

— Vraiment ? demandé-je, parce que c'est terrifiant qu'une aussi grosse part de moi ait disparu si vite. J'ai l'impression de ne pas être complète...

Il me manque quelque chose, je le sens à chacun de mes pas, tel un trou béant dans mon âme. La cavité est un cruel rappel de l'absence des portées et mélopées qui agitaient les flots de mon esprit.

— Tu bloques un peu, analyse Jay. Ce n'est pas grave, c'est même plutôt normal. Beaucoup d'attentes sont placées en toi.

— Tu crois que je me mets la pression ?

— J'en suis persuadé, confirme Jay. Tu devrais venir avec nous : ça t'aérera l'esprit.

— Je n'ai jamais fait d'escalade, avoué-je, plus pour la forme qu'autre chose.

Le temps d'une chanson (3)Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon