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Thierry Essamba accumulait les médailles d'or sur 110 mètres haies lorsque la Fédération camerounaise d'athlétisme l'a exclu de ses rangs, sans recours possible. Il n'a plus participé à aucune compétition internationale depuis 2014.

Personne n'applaudit plus Thierry Essamba lorsqu'il s'élance hors des starting-blocks. Dans le stade désert de Yaoundé, la capitale du Cameroun, l'ancienne star du 110 mètres haies s'entraîne seul, obstinément, presque en cachette. En 2014, alors qu'il était le Camerounais le plus rapide de sa discipline, la Fédération nationale d'athlétisme l'a accusé d'homosexualité et exclu de ses rangs. Depuis cinq ans, il n'a plus participé à aucun grand meeting d'athlétisme, mais une invitation de l'ONG Avocats sans frontières Suisse va lui permettre de revenir enfin dans une compétition internationale, le meeting d'AtletiCAGenève.

Huit foulées, puis voler par-dessus les obstacles pour avaler le 110 mètres haies en moins de 14 secondes: il faut une technique millimétrée pour ramener la jambe d'appel, ne pas toucher la barre et reprendre de la vitesse.

-«Je reste véloce entre les haies, c'est mon point fort. Lorsqu'on reprend pied après le saut, on ralentit. Moi j'accélère. Il faut être fluide et avoir une trajectoire horizontale, frôler la barre et revenir au sol sans un à-coup, les deux jambes presque au même moment, explique-t-il. Surtout il ne faut pas mélanger vitesse et précipitation, car à la moindre erreur le rythme est cassé, et tout s'emberlificote.»

En 2014, aucun adversaire ne semble pouvoir lui résister. Il a attendu, mûri avant de connaître la gloire, et après sa victoire aux Championnats d'Afrique centrale, à Brazzaville, au Congo, il se voit titiller les meilleurs. Fort de sa médaille d'or, le détenteur du record camerounais du 110 mètres en 14 secondes sait qu'il peut, veut, participer aux Jeux du Commonwealth. Il doit encore se qualifier, ce qui pour lui n'est qu'une formalité car il n'a pas d'adversaire à sa taille au Cameroun. Depuis plusieurs années, il domine sa discipline au niveau national de la tête et des épaules:

- «La reconnaissance était arrivée tard, mais en 2014, à 33 ans, je jouissais d'une belle notoriété. Les gens me saluaient dans la rue, j'étais un modèle pour beaucoup.»

Le 24 mai 2014, il s'apprête à s'élancer dans son couloir. C'est sa dernière course avant les Jeux du Commonwealth qui ont lieu deux mois plus tard à Glasgow. Il sait que la victoire et, avec elle, la qualification lui sont promises. Mais le directeur technique de la Fédération prend le micro pour faire une annonce solennelle. Tout s'arrête, le public fort d'un millier de spectateurs retient son souffle: l'annonce doit être importante.

- «Devant tout le monde, il a presque hurlé un discours de haine contre les homosexuels qui avaient pénétré et sali l'athlétisme camerounais. Selon lui, je m'étais livré aux pratiques sexuelles du diable et j'avais en plus initié mes camarades à cette sexualité satanique. J'étais en fait l'instigateur. Tous les yeux étaient braqués sur moi, je ne comprenais pas, je me sentais tout petit, couvert de honte et je pleurais, se souvient-il. Pour éviter les regards et cacher mes larmes, je me suis enfui à travers le stade. Je me suis dirigé vers une tribune en balcon avec l'idée de sauter pour disparaître complètement, mais un grillage en bloquait l'escalier.»

Thierry Essamba est exclu de la Fédération. Il doit dire adieu à une participation aux Jeux du Commonwealth ainsi qu'à toutes les compétitions internationales.

- «Je pense qu'un ancien entraîneur, mécontent que j'aie mis fin à notre contrat, s'est vengé en me dénonçant aux autorités sportives et cela a suffi pour que je sois saqué sans aucune preuve», précise-t-il.

A partir de là, toute sa carrière sportive s'écroule, son entraîneur ne peut plus le soutenir ouvertement, le monde du sport se détourne de lui, il perd tout, y compris ses revenus. C'est une descente aux enfers qu'il ne sait comment arrêter sinon en mettant fin à ses jours.

Un fardeau d'être Gay ?Where stories live. Discover now