*Confidence 5

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La pièce est exiguë. Six mètres carrés à peine. Un matelas, un tapis, une télé, un ventilateur et deux valises pour les vêtements. Alassane et Bachir (1) ont emménagé en septembre dans cette chambre, non loin du centre de Dakar. Une planque. Question de sécurité, malgré le loyer faramineux.

-«On ne peut plus rester chez nous, en banlieue, explique Alassane, le leader de l'association Aides Sénégal. Nos familles sont maintenant au courant et tout le monde nous connaît.»

Les deux compagnons et sept autres jeunes Sénégalais sont sortis de l'anonymat le 7 janvier 2009, bien malgré eux. A l'issue d'une audience expéditive, le tribunal de Dakar les avait condamnés en première instance à huit ans de prison ferme. Motif ? Homosexualité. Alassane en est encore abasourdi.

- «On n'avait rien fait. On tenait une réunion dans mon appartement, raconte-t-il, assis en tailleur, les mains nerveuses posées sur ses genoux. A 22 heures, les policiers ont fait irruption. Ils m'ont dit :

- "Il paraît que vous êtes des gays."» Il s'interrompt, détourne le regard puis poursuit.

- «Ils nous ont arrêtés, déshabillés, frappés pendant une heure et ont tout saisi : mes affaires, les papiers et nos téléphones portables sur lesquels se trouvaient des photos personnelles.»

Après cinq jours au poste et vingt coups de matraque quotidiens, les neufs amis sont déférés devant le parquet. Au Sénégal, pays à 95% musulman, l'homosexualité est officiellement interdite. Un crime passible d'une peine allant de un à cinq ans d'emprisonnement. Cette fois pourtant, le juge est allé bien au-delà de la sentence requise par le procureur. «Huit ans», a-t-il tranché pour «conduite indécente, actes contre nature et association de malfaiteurs».

L'affaire fait grand bruit. La presse se déchaîne et titre : «Non aux pédés». A la radio, on va même jusqu'à parler de «ceux qui ont deux noms», pour ne pas employer le terme de goordjiguen, «homme-femme» en wolof. De jeunes homos prennent la fuite par dizaines dans les pays voisins. La communauté internationale s'émeut et tente d'intervenir au nom des accords sur les droits humains ratifiés par le Sénégal. Amnesty International, Aides, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) dénoncent la peine. Nicolas Sarkozy, et Rama Yade, alors secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, montent au créneau. Quant aux avocats des neuf jeunes, ils font appel de la condamnation. Le 20 avril 2009, la cour invalide la condamnation pour vice de forme.

Une année a passé, mais le procès n'en a pas moins marqué les esprits, symptôme d'un profond changement dans la société sénégalaise. Car depuis deux ans, les scandales se multiplient. En février 2008 déjà, une dizaine de jeunes avaient été arrêtés, interrogés puis relâchés suite à la parution de photos d'un mariage gay clandestin dans le magazine people sénégalais Icone. Après leur libération, des imams ont manifesté leur colère dans les rues de Dakar. Quelques mois plus tard, la famille d'un danseur homosexuel s'est vue refuser une sépulture à deux reprises, dans les cimetières musulmans de Diourbel, une ville du centre du pays. Faute de mieux, le corps a été enterré à la sauvette dans un champ, à la sortie de la ville. Puis déterré par des villageois en colère. Un projet de loi «visant à combattre l'homosexualité et les comportements impudiques» est déposé à cette époque à l'Assemblée nationale, pour durcir les peines. Il est resté sans suites, mais les gays sont devenus des boucs émissaires.

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Un fardeau d'être Gay ?Where stories live. Discover now