64 - Avenirs incertains

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Non, ça n'allait pas du tout, et Tyron ne semblait pas comprendre d'où venait ma soudaine anxiété. Car la réalité venait de me rattraper à plein fouet. Si ces trois semaines dans cette maison m'avait permis d'oublier et de ne plus penser au passé, j'en avais aussi oublié mon futur. Peut-être simplement parce que je n'avais pas de futur. Que je ne voulais pas de celui que me promettait Tyron. Oui, je l'aimais. Je le voulais, lui. Mais je n'avais jamais voulu tout le reste.

- Morgane, répéta Tyron en me serrant la main. Qu'est-ce qu'il se passe ?

Je ne répondis pas et me levais, puis enfilais mes vêtements de la veille sans un mot. Un seul mot tournait en boucle dans mon crâne. Enfants. Nos enfants. J'avais besoin de prendre l'air. De respirer. J'avais l'impression d'étouffer ici. Comme si j'étais déjà en prison. Comme si ma liberté venait de disparaître, entourant tout mon esprit d'un voile sombre. J'avançai vers la porte mais Tyron vint me bloquer la route. Il avait simplement enfilé un jean et attrapa mes poignets pour m'arrêter.

- Hé, je ne te laisserais pas sortir sans savoir ce qui ne vas pas. C'est à cause de ce type sur la photo ? Je t'ai déjà dit que j'étais désolé. Tu trouves que je suis pas assez bien pour toi ? C'est ça ?

- Ça n'a rien à voir.

Je ne pouvais le laisser se tromper ainsi. Ça n'avait rien à voir avec lui, mais plutôt avec sa vie. Avec ce qu'il imaginait de notre futur. Je pense qu'inconsciemment, j'avais voulu repousser ce problème le plus longtemps possible. Mais il était temps d'affronter les choses.

- Tu parles d'enfants, finit-je par dire. De nos enfants. Merde Tyron, regarde les choses en face. On est des criminels en fuite. On est recherchés par tout l'état. On a quatre-vingt-dix pourcents de chances de finir nos vies au fin fond d'une cellule. Et tu me parles de gosses ... ! Putain j'ai dix-neuf ans, et tu me parles de gosses. Tu es le premier à dire comme notre monde est pourri, et tu voudrais infliger ça à des enfants, qui grandiront sans doute orphelins ? Crois-moi, ça n'a rien de drôle pour un gamin d'aller voir ses parents en tôle !

Le visage de Tyron se décomposait au fur et à mesure que je parlais. Il se pinça les lèvres et hésita un moment, avant de me regarder d'un air désolé. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux.

- Je pensais que... enfin pas tout de suite. On aurait pu quitter le pays. Aller dans un endroit exotique où personne ne nous connaît. Refaire notre vie là-bas. Je me suis dit que... tant qu'on était ensemble, tout s'arrangerait.

Un rire sans joie s'échappa de ma bouche et je passais une main dans mes cheveux, hallucinée.

- Mais tu te crois dans un film ? lançais-je avec véhémence. On est pas Bonnie and Clyde. Tu n'es pas un super robin des bois. Tu es juste un putain de meurtrier ! Et juste toi et moi, ça suffit pas. Tu t'es juste un peu demandé ce que je voulais, moi ?! Je n'ai jamais voulu tout ça. Rien de tout ça. Toi, tu as choisi toi-même ton destin en butant ton père. Je... je voulais juste acheter du chocolat merde !

J'avais l'impression qu'un barrage venait de casser, de se briser, et qu'une tonne d'eau s'écoulait sans pouvoir s'arrêter. Je savais mes paroles cruelles. Je le voyais dans le regard de Tyron. Mais je ne pouvais empêcher ces paroles, ces pensées qui me torturaient depuis le début, de s'écouler.

- Je t'aime Morgane, asséna-t-il. Et tu m'aimes. On s'en sortira.

Il semblait profondément convaincu de ce qu'il disait. Profondément convaincu que l'amour suffisait. Que c'était naïf ! Je secouais la tête d'un air navré, mes yeux embués au bord des larmes.

- Ce jour où tu m'as prise en otage, Tyron, tu as volé mon avenirs entier. Tout mon futur. Mes études. Mes amis. Mes parents. Tu m'a tout pris. J'avais des rêves. Des envies. Des besoins. Tu as tout réduit en cendre. Et voilà que... tu m'as prise en otage, frappée, hurlé des horreurs, tu as essayé de tuer mon meilleur ami, tu m'as tiré dessus et maintenant... je suis amoureuse de toi. T'as pas l'impression qu'il y a putain de problème dans ma tête ? Un de plus. Je vais te dire, on appelle ça le syndrome de Stockholm. Rien qu'une maladie, qui fait que je me sois attachée à toi. Alors non Thomas, toi et moi ça ne suffit pas.

Je pleurais à présent. Lui aussi. Je m'en voulais d'ores et déjà pour la peine que je lui causait, mais je n'en pouvais plus. Je ne voulais pas de cette vie. Je ne voulais pas être une criminelle. Je croyais être prête à tout accepter pour lui. Mais là, c'était trop. Je n'étais pas prête à assumer cette vie. Je vis Tyron s'adosser au mur, semblant tout à coup très faible comme si je venais de lui donner un coup fatal. Je n'arrivais pas à tarir les larmes sur mes joues.

- Non, finit-il par dire. Tu... ce qu'il y a entre nous dépasse de loin une maladie. Ça n'a rien à voir. Il n'y a aucune problème dans ta tête, je t'en prie crois-moi. De toute façon... qu'est-ce que tu veux faire ? C'est trop tard. Mais on va s'en sortir. On a plus le choix.

- C'est bien ce que je te reproche ! hurlais-je, hors de moi. Je n'ai jamais eu le choix ! Jamais ! Et je sais bien que c'est trop tard. Et c'est ce qui me tue. Je n'aurais jamais de vie normale. Je ne peux plus aller au restaurant. Je ne peux plus aller boire un café au caramel le matin dans le bar du coin. Tu ne m'inviteras jamais au cinéma. Je n'iras plus jamais rencontrer des gens en boîte de nuit. C'est... toutes ces choses infimes, que je ne connaitraient jamais ! Ma vie n'a plus aucun sens. Tu ne lui donnes aucun sens.

Sans un mot de plus, je l'écartais pour ouvrir la porte. Il se laissa tomber le long du mur, pleurant autant que moi, mais je n'eus pas la force de rester. J'avais besoin de respirer. D'un grand bol d'air frais. Je sortis dans le couloir vide, au seul son de mes pleurs. D'une fenêtre, j'aperçus tous les autres, faisant une bataille de boule de neige à l'extérieur. Ils riaient. S'amusaient. La vie paraissait tellement simple pour eux. Une vie qu'ils avaient tous choisis. Tous, sauf moi.

Les jours qui suivirent furent pour le moins glacial, et je ne parlais pas du temps. Tyron ne bougeait plus de son lit et, chaque fois que je le voyais, il semblait perdu dans ses pensées. Il se rongeait les ongles jusqu'au sang, de toute évidence anxieux. Pour ma part, j'essayais lentement de me remettre. Chaque jour qui passait me faisait regretter mes paroles cruelles envers Tyron. Quand nous discutions, nous évitions soigneusement le sujet. Comme si tout n'était que divertissement jusqu'à ce que l'un ou l'autre ose aborder le problème.

Nous ne le fîmes pas. Un orage semblait planer au-dessus de nos têtes, nous menaçant de son obscurité. J'avais peur, à nouveau. Peur du futur. Peur de notre prochaine discussion avec Tyron. Peur de dire des choses que je ne pensais pas, et encore plus, de lui dire ce que je pensais. Trois jours après notre discussion envenimée, Tyron vint me rejoindre dans la chambre et me fit l'amour comme si c'était la première fois- et la dernière. Prenant cela comme un gage de paix, un signe de pardon, je l'acceptait volontiers.

Le lendemain matin, il se réveilla aux aurores, et me secoua légèrement pour me réveiller.

- Morgane ? Allez, lève-toi. Je dois t'emmener quelque part.

- Hein ? répondis-je d'une voix ensommeillée. Où ça ?

- Surprise.



...

Oui, tout ce passait trop bien.

Je vous aimes.

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant