2. Un aller simple pour Thestias [ Automne]

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Lorsque j'ouvre les yeux, la première chose que je vois est une jeune fille, d'environ mon âge, assise dans un des sièges de la rangée d'en face. Elle a une coupe à la garçonne et ses lèvres sont recouvertes de piercings qui forment comme une barrière métallique autour de sa bouche. Elle remarque que je l'observe d'un peu trop près et me jette un regard noir. 

Je détourne les yeux et me concentre sur le bout de mes chaussures, usées par des journées à traverser le lycée de long en large. Je réalise que nous sommes dans un vaisseau lorsqu'une voix masculine se fait entendre dans toute la structure métallique.

" Nous allons décoller pour Thestias, ne vous attendez pas à de la douceur et je ne vous souhaite pas un bon vol."

Les battements de mon coeur perdent le peu de régularité qu'ils avaient, je vais partir pour Thestias. J'ai quitté ma famille et Jackson sans même avoir eu l'occasion de leur dire "au-revoir". De violentes secousses en provenance du sol me sortent de mes pensées : nous décollons. 

Je ne veux pas partir ! 

Je jette un regard affolé autour de moi, pour voir si tous les autres passagers partagent ma panique, mais non, ils semblent tous heureux de quitter leur maison pour aller sur une autre planète inconnue. Mes ongles rentrent dans l'accoudoir tandis que nous nous détachons peu à peu de la gravité terrestre. 

" On se détend en face, me conseille la fille assise devant moi.

- Je suis détendue, rétorqué-je."

Elle hausse un sourcil, puis se concentre sur un point par dessus mon épaule. Je me tourne autant que possible, et aperçois une fenêtre, dehors tout est de flammes. Comme si le ciel s'était transformé en un brasier digne de l'enfer. 

Nous prenons feu ! J'essaye de détacher ma ceinture, mais elle est bloquée, j'essaye de respirer calmement. Peut-être qu'elle fonctionne comme le filet du diable dans Harry Potter ? Mais rien n'y fait, je reste toujours autant compressée dans mon siège. 

" Relax, on sort juste de l'atmosphère, explique la fille aux cheveux courts.

- Ah ouais ! Et ça fait toujours ce bruit là ? M'inquiété-je.

- Oui, allez on se détend maintenant le monstre, tu vas finir par mouiller ton froc."

Je baisse instinctivement les yeux. Cela fait longtemps qu'on me l'avait pas faite celle là. Car oui, les gens me regardent mal quand ils me croisent dans la rue, ils évitent mon regard quand ils me parlent et me dévisagent à chaque fois que je leur dis "bonjour". Mes yeux sont la raison de tous ces problèmes, car ils sont bleu et gris. 

Pas bleus-gris comme les personnes "normales", bleus et gris comme les personnes aux yeux vairons, bleus et gris dans le sens où j'en ai un de chaque couleur. Toute mon enfance on m'a rabâché que je n'étais pas comme les autres et que je n'avais rien à faire ici. Mes yeux ont même failli m'envoyer à Thestias plusieurs fois, sans jamais y parvenir.

 Après plusieurs tests, ils avaient décrété que je voyais très bien, même avec mes yeux de couleurs différentes. La voix masculine se refait entendre : 

" Saut dans l'hyperespace dans 3...2...1..."

Une secousse que toutes les précédentes additionnées se fait alors ressentir, j'ai l'impression que tous mes membres veulent partir, chacun dans un sens différent. Mes yeux sont sur le point de jaillir de mes orbites et mon petit-déjeuner veut ressortir par ma bouche. 

Tout mon sang afflue jusqu'à mon cerveau, lui donnant envie d'exploser, je peine à retrouver mon souffle. Mais, d'un coup, tout s'arrête, le calme revient dans le vaisseau. 

Je jette un coup d'oeil discret à ma voisine, mais elle n'est plus là, tout ce qu'il reste d'elle est un tas de chair sanguinolente. Ses bras sont arrachés, comme les miens auraient pu l'être et sa tête est coincée entre son dos et le siège, coupant les veines de son cou. 

Mais le plus impressionnant est sa cage thoracique qui a complètement explosé, laissant un trou béant là où aurait dû se trouver son coeur. J'ai le mien au bord des lèvres, je me concentre donc sur l'homme qui vient dans notre direction, plutôt que sur le liquide rouge qui est presque sur mes chaussures. 

Il porte une combinaison bleue intégrale, ainsi qu'une casquette de la même couleur dont s'échappent quelques mèches grises. Il s'arrête au milieu de l'allée, les chaussures à quelques centimètre de la flaque de sang. 

" Au moins l'année dernière c'était propre, remarque-t-il en se tournant vers moi, toi, viens avec moi."

J'ai envie de lui dire que je ne peux pas me détacher, mais la ceinture s'ouvre d'elle même, redonnant à mon corps la liberté qu'il attendait tant. Je me mets debout sur mon siège, une main sur le dossier, pour garder mon équilibre, j'avance un pied sur le siège d'après, puis l'autre. Je pose pied à terre juste à côté de l'homme et du sang versé par ma mystérieuse voisine d'en face. 

" Bien, allez suis-moi," m'ordonne-t-il."

Il commence à marcher vers le coin opposé du vaisseau, qui est vide désormais. Je me place à sa hauteur, peinant à suivre le rythme que m'impose ses longues jambes. J'entends du bruit derrière moi, et me retourne, deux petits robots sont en train de nettoyer le sang qui commence à sécher. Je jette un coup d'oeil à l'homme qui n'a pas l'air plus préoccupé de ça par la mort de la jeune fille. Une de ses rares paroles me revient alors en mémoire. 

" Vous aviez dit que c'est arrivé l'année dernière aussi ? Demandé-je.

- Et toutes les autres années avant, répond-il.

- C'est horrible.

- Mais c'est le prix à payer pour voyager dans l'hyperespace.

- Elle ne le méritait pas. 

- Je n'ai jamais dit le contraire."

Nous arrivons alors en bas d'escaliers métallique que nous descendons. Nous pourrions croire que nous étions sur Terre si le ciel était bleu. Or, ici, sur Thestias, il est vert, vert comme la couverture usée du journal dans lequel j'avais l'habitude d'écrire toute sorte d'histoire avant. Mais l'homme continue sa route jusque dans un bâtiment, je suis sur ses talons. 

" Où va-t-on ? Interrogé-je.

- Armée 1219, là où tu es affectée, marmonne-t-il.

- Une armée ? 

- Oui.

- Pourquoi ? 

- Il t'expliquera."

Nous traversons un couloir dont les murs sont recouverts de portes sur lesquelles sont gravés toutes sortes de chiffres. Nous nous arrêtons devant la dernière où est écrit le fameux nombre 1219. L'homme ouvre la porte, me pousse à l'intérieur et la referme. 






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