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     Cette entrée sera peut-être la plus importante de toutes jusqu'alors. En effet, ici sera couché l'élément qui occupe le plus mes pensées, depuis que le couperet est tombé à mes six ans, jusqu'à aujourd'hui. 

     Surdoué. Précoce. HPI. Zèbre. Grosse tête. Superdotado. Gifted child. Tant d'appellations que les adultes ont utilisé à mon égard. Pourtant basé sur une futile supposition, je n'ai de souvenir jamais passé de WISC ou de WAIS. Enfin, je garde cependant en mémoire une série de tests, avec une femme paraissant méprisante aux yeux de six ans que je possédais alors. Mais de ce test ne réside aucune trace, bilan, rendez-vous. D'où ma solide idée que rien n'est concrètement établi quant à cette situation.

     Dans ma courte existence d'une vingtaine d'années, j'ai bien dû consulter plus d'une douzaine de psychologues différents. Pédopsychiatres, neuropsychologues, spécialisés dans les enfants hyperactifs et surdoués de tout âges, ou parfaits charlatans. Aucun n'en est venu à la même conclusion. Surdoué. Pas surdoué. Asperger. Pas asperger. Surdoué et asperger. Surdoué à tendance autistiques. Gamin qui ne fait que son intéressant. Juste TDAH. Et j'en passe des meilleures. Et aucun de cette liste n'a eut le bon sens, à ma connaissance, de proposer de passer un test psychométrique pour confirmer ou infirmer leurs suppositions, qui à chaque fois tombaient tel une guillotine, un nouveau marquage au fer rouge remplaçant l'ancien à peine cicatrisé. Et de cette multitude de diagnostique découle une incertitude complète dans mon esprit. Qu'est-ce que je suis, bordel ?

     Alors j'ai simplement choisi de ne plus rien croire. A mes yeux, je ne suis ni surdouée, ni asperger, ni alien, ni autruche ou quoi que ce soit d'autre. Pourtant le monde entier ne cesse de me le rappeler depuis que je suis née. Et en analysant mon évolution dans ce monde, dans un milieu scolaire ou familial, certains éléments pourraient coïncider avec ce fade tableau peint de la surdouance. "Comme tu es intelligent !", me répétais sans arrêt mes parents. Comme tous les parents à leurs enfants, d'ailleurs. Mais dites ça à n'importe quel enfant dont le QI est inférieur à environ 115, il sentira une bouffée de fierté presque étouffante et se sentira intelligent, fera tout au mieux pour continuer à satisfaire cette image de dotation intellectuelle. Dans mon cas, ce n'est que succession de lassitude, de "arrête de te voiler la face, je n'ai fait qu'empiler trois pauvres cubes en bois", et d'envie de tout échouer pour ne plus entendre cette suave formule dégoulinante de fausse bonne volonté, totalement écœurante.

     Vient l'école. La sociabilisation avec des enfants de mon âge, la confrontation aux premières règles, la seconde vitesse du bourre-crâne, le rejet de la non-conformité. Dans mon cas, ce n'était pas la meilleure période de ma vie. Aucun ami, cela va de soi, les adultes s'inquiètent. "Pourquoi ne joues-tu pas dehors avec les autres enfants ?", "Leurs règles sont débiles. Leurs jeux sont débiles. Les enfants sont débiles. Je ne les aime pas, et c'est réciproque". Je me souviendrais toujours de ce court échange avec un instituteur de primaire. Sa tête se décomposant lentement, me fixant d'un air aussi perplexe que terrifié, avant de courir vers le bureau de l'infirmière scolaire. Depuis, une certaine attention à mon égard s'était répandue dans le cadre enseignant. Toujours basé sur quelques mots, aucune preuve concrète. C'est peu de temps après que se situe le souvenir vague d'un semblant de test de QI précédemment évoqué.

     En CE2, un nouvel élève était arrivé. C'était le seul qui n'était pas arriéré ici-bas, je m'entendais plutôt bien avec lui, ainsi que sa famille un peu plus tard. Surdoué diagnostiqué, c'est à partir de là que les doutes n'en étaient plus pour les adultes. Personnellement, je m'en fichais. J'étais au début de ce qui deviendra par la suite un état de dépression sévère et chronique, causé par, à l'époque, déjà cinq ans de harcèlement scolaire assez violent, qui n'est pas le sujet ici. C'est à cette même période que j'ai remarqué préférer la compagnie des personnes plus âgées et matures à celles de ma tranche d'âge. J'avais plus d'affinité envers les enseignants qu'envers les élèves. Les enseignants, ma famille ainsi que celle de cet ami, chacune de ces têtes était persuadée du fait que je sois surdoué.

     Pour mon entrée au collège, mes parents avaient pris la décision de m'envoyer dans un établissement expérimental, à pédagogie alternative Freinet. Là où, en somme, tous les gamins surdoués, aspergers, neuro-atypiques et autres anormaux étaient envoyés. Et dieu ce que je m'y sentais bien ! Les enseignants, habitués à des élèves de ma trempe, étaient eux-aussi majoritairement surdoués, ou tout du moins compréhensifs et ouverts sur le sujet, les élèves étaient pour la plupart fascinants, et j'ai noué avec eux de véritables amitiés, qui sont pour certaines toujours à l'oeuvre huit années plus tard. Sur les trois personnes rencontrées là-bas avec qui je garde toujours contact, aucune n'est en deçà d'un quotient intellectuel de 125 (supposés). Un signe de ma propre douance ? M'est avis qu'il ne s'agit que d'une simple sélection, leur QI supérieur à la moyenne n'est qu'un simple hasard à mon sens. Pour les autres, c'est une évidence.

     Poursuivant par trois années de lycée dans cette même pédagogie Freinet, je me suis réfugié dans une période de mutisme doublée des années les plus fortes et les plus intenses de cette dépression, accentué car arraché à ce bout de paradis. Là encore, les élèves étaient les mêmes figures que précédemment.  C'est en ce lieu que j'ai rencontré mon premier et unique petit-ami. Surdoué. Lui est issu d'une famille tout aussi zébrée, et fermement convaincu de mon haut potentiel. Quelques têtes de plus convaincues sans raison, m'est avis. Mais en comparant ma cognition à celle de cette personne, je me retrouve bien en deçà de ses facultés de raisonnement, découlant de cette analyse la conclusion suivante : je ne suis pas surdoué. Si son QI est, comme prétendu, de 131, et que le palier pour être considéré HPI est de 130 (anciennement 120), alors toutes ces personnes convaincues d'une certaine intelligence se fourvoient allègrement.

     Et même sur Internet, mon entourage est en grande partie constitué de surdoués. Un ami dans le déni de ses propres facultés mentales, bridé par une situation intelligicide, un autre bien plus jeune, dans une situation mentale similaire à la mienne quelques années plus tôt. Bien que dans leur cas, le diagnostic n'est pas posé, il semblerait que j'ai une certaine capacité à "détecter" les zèbres. Il est vrai que je m'oriente instinctivement vers eux : quand je travaillais au Département, la seule personne avec laquelle je m'entendais naturellement était une personne de mon âge, diagnostiquée THPI (145, de souvenir). J'ai appris l'espagnol majoritairement en échangeant avec des zèbres natifs espagnols sur un forum d'adultos superdotados (paradoxalement, je fuis ces mêmes forums en français par crainte de donner raison aux gens).

     Voici pour le premier point : la sélection de mon entourage, exclusivement des zèbres, doublé d'une sorte d'aversion pour les gens normaux. Un autre élément est l'anticipation. Nombre de fois ma réflexion dépasse ou diffère complètement de celle des autres. Où les réactions d'autrui sont tellement prévisibles qu'elles sont d'une lassitude déconcertante, comme si la vie était un film nanardesque dont le scénario se trouverait juste sous mes yeux. De même pour les jeux : les déplacements sont trop prévisibles, et le seul moyen pour moi de faire match égal est de jouer la carte du hasard en espérant perdre. Ça ne marche pas vraiment.

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     Ce sujet est le plus important à aborder dans ce livre, et paradoxalement celui qui, vous l'aurez compris à la lecture, me rebute le plus. Parce que, bien que je ne nie pas l'existence d'une réelle distinction entre neurotypiques et surdoués, je reste fermement convaincu que l'intelligence ne peut être mesurée avec un test de 4h enfermé dans une salle à entourer des carrés sous le regard méprisant d'un psychologue.

Bribes d'un Esprit TourmentéWhere stories live. Discover now