Trost

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Six mois s'étaient écoulés depuis que j'avais fui le QG d'investigation. Je n'aurai su dire si cela faisait de moi un déserteur, ni si le Bataillon était à ma recherche. Au fond, cela ne changeait rien au fait que je devais vivre en rasant les murs, tête baissée. Après réflexion, j'avais décidé de m'installer à Trost, où je travaillais dans un orphelinat ayant gracieusement accepté de me loger. Ma logique était sûrement tordue mais comme je devinais Walsh informé de ma fugue, et dans l'hypothèse où le Bataillon était également à ma recherche, je supposais que Trost était le dernier endroit où on penserait à me chercher. Et si jamais je me trompais, j'avais la possibilité de rallier rapidement le QG du Bataillon et de plaider ma cause directement auprès du major Smith.

Je me réveillai en sursaut ce matin là. Sans surprise, je découvris qu'un petit occupant s'était discrètement glissé dans mon lit pendant la nuit. Il dormait à poings fermés et le bruit régulier de sa respiration m'apaisa. Je passai une main dans ses boucles noires en bataille :

- Adam, réveille toi mon grand.

L'enfant, âgé de six ans, chouina, poussa un profond soupir et ouvrit des yeux fatigués.

- Qu'est-ce que tu fais encore ici, bonhomme ?

Honteux, Adam se cacha le visage dans la couverture. Je n'attendais pas de réponse de sa part car le garçon était mutique depuis son arrivée. Dieu seul savait ce qu'il avait vécu avant de débarquer ici.

- Tu as encore fait des cauchemars ?

L'enfant hocha la tête en guise de réponse.

(Eh bien, tu n'es pas le seul mon grand!)

Je passais de nouveau une main dans ses cheveux avant de prendre une voix qui se voulait pleine d'entrain :

- Et si tu venais m'aider à réveiller le dortoir ?

Adam me regarda en affichant un large sourire canaille. Mon cœur se serra. Quand il me souriait ainsi, c'était comme si je retrouvais mon souffle après une apnée interminable. Pourtant, l'inquiétude allait grandissante. Ces dernières semaines, je sentais que je m'attachais à cet enfant. Pire encore : lui s'attachait à moi. Or je n'avais rien à lui offrir, rien qui contribuerait à son bien ou à sa sécurité. Je me levai brusquement, le pris par la main et nous nous dirigeâmes ainsi vers le dortoir pour réveiller le reste de la maisonnée.

Plus tard, dans la matinée, je quittai l'orphelinat pour faire quelques commissions, laissant les enfants aux soins de Rina et d'Ysaline, les deux gouvernantes. C'était une chaude et belle journée. L'orphelinat était situé près de l'artère principale, à quelques mètres de la porte extérieure de la ville, celle que l'on ne franchissait plus depuis la chute du mur Maria hormis les hommes du Bataillon. Lorsque je mis le nez dehors, des exclamations de joie me parvinrent depuis l'avenue. Intriguée, je me rapprochai et me fondit discrètement dans la foule entassée sur les bas côtés. Quand soudain, je les aperçus : Erwin, Petra, Erd, Gunther, Auruo ... Livaï. Mon cœur loupa quelques battements. Ils étaient tous là, sur leurs montures, et remontaient l'avenue vers la porte extérieure sous les acclamations des badauds.

(Une nouvelle expédition ?)

Une bulle d'émotions explosa dans le fond de ma gorge : tristesse de les avoir quitté, joie de les revoir, amertume de ne pouvoir les rejoindre, angoisse de ne pas les voir revenir vivants ... Je me sentais impuissante et inutile. A bien y réfléchir, je n'avais aucune envie de les voir passer cette sinistre porte. Après m'être extrait de la foule, je rejoignis les petits rues adjacentes qui étaient maintenant désertes. C'était mieux ainsi.

Une heure plus tard et les commissions faites, je m'autorisai à prendre le temps de déambuler dans les rues de Trost pour me changer les idées avant de rentrer à l'orphelinat. Soudain, le bruit puissant d'une déflagration se fit entendre tandis que le sol se mit à trembler sous mes pieds. Je regardai dans la ruelle autour de moi : nous étions tous hébétés. A quelques mètres de moi, une femme se mit à crier en pointant quelque chose du doigt. En suivant son geste, je découvris un visage écarlate et monstrueux qui dépassait du mur extérieur.

(Putain, c'est quoi ça ?!)

Sans réfléchir un seul instant, je m'élançai vers l'artère principale pour tenter de comprendre ce qui se passait. Je vis une brèche immense à l'endroit où la porte de la ville aurait du se tenir, solidement fermée.

(Non !)

Cinq ans après l'attaque du Mur Maria, voilà qu'un Titan menaçait le Mur Rose. Avec cette brèche gigantesque, Trost était maintenant à la merci des monstres qui s'y engouffreraient, et ils ne manqueraient pas de le faire dans les minutes à venir. Après un instant de flottement et de sidération, la panique saisit les habitants et un mouvement de foule se forma. Tous se ruaient vers le nord pour rejoindre la porte intérieure et se réfugier derrière le Mur Rose. Le tocsin se mit à sonner. Mon sang se glaça : j'étais terrifiée à l'idée qu'il arrive malheur aux hommes du Bataillon, là-bas au dehors, et aux enfants de l'orphelinat, ici, à quelques mètres seulement de la porte. J'essayai de retrouver un semblant de calme pour mettre de l'ordre dans mon esprit. Je ne pouvais rien au sujet du Bataillon, mais je devais bien pouvoir faire quelque chose pour les enfants !

(Fuir les Titans avec une dizaine d'enfants ? Impossible ! C'est du suicide!)

Sans écouter la voix de la raison, je m'élançai à contre courant de la foule. Il me fallait remonter l'artère principale sur cinq cent mètres et ce n'était pas une mince affaire. Sur mon chemin, je croisai Ysaline que j'attrapai par le bras :

- Les enfants ? , criai-je.

Elle me lança un regard parfaitement hagard avant de s'enfuir sans un mot. Je serrai les dents et repris ma route. Tant bien que mal, j'arrivai devant la bâtisse et m'engouffrai à l'intérieur en criant à plein poumon.

- Les enfants !

Pas de réponse. Avaient-ils été alertés ? Avaient-ils pris la fuite ? Et si oui, est-ce que quelqu'un les accompagnait seulement ? Ysaline était seule lorsque je l'avais vu. Pour en avoir le cœur net, je rentrais dans toutes les pièces, continuant de les appeler, quand tout d'un coup le bruit d'un sanglot me parvint depuis l'intérieur de l'armoire de ma propre chambre. Je l'ouvris et découvris Adam, terrorisé et recroquevillé sur lui-même.

(Dieu merci!).

Je pris Adam dans mes bras et le serrai contre moi.

- Écoute moi, bonhomme, il faut qu'on parte d'ici en vitesse, tu comprends ?

Le garçon hocha la tête, ses grands yeux noirs remplis de terreur. Je le pris par la main et nous nous dirigeâmes vers la porte d'entrée. Avant même d'avoir traversé le seuil, le sol se mit à trembler sous nos pieds. Je jetai discrètement un œil : au bout de la ruelle se dressait un Titan. C'était la première fois que j'assistais à ce spectacle et cette vision me paralysa. Par chance, lui ne semblait pas nous avoir repéré. Mais soudain, depuis l'intérieur de la maison, j'entendis Adam se mettre à pleurer bruyamment. Je me ruai vers lui, le pris dans mes bras et lui collai ma main sur la bouche pour étouffer ses cris. Mon esprit s'affola, désespérément en quête d'une solution. La fuite n'était plus une option possible, alors que faire ?

(La cave!)

Adam toujours dans les bras, je me mis à courir jusqu'à la trappe située dans le cellier. Lorsque je la soulevai, l'échelle de meunier apparut. Nous la descendîmes jusqu'à nous enfoncer dans l'obscurité humide de la cave, creusée profondément dans le sol de Trost. Je me dirigeai à l'aveuglette vers le coin le plus reculé. Là, acculée avec Adam, je n'avais plus qu'à prier pour qu'aucun Titan ne nous trouve. 

Monstre / Livai x readerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant