Survivre

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Je ne sais combien d'heures j'attendis ainsi, immobile, dans l'obscurité. Cela faisait maintenant plusieurs minutes que je n'entendais plus rien au-dehors et que je ne percevais plus de vibration dans le sol. Seule la respiration d'Adam s'élevait depuis le creux de mes bras : épuisé, il s'était endormi. J'avais beau retourner le problème dans tous les sens, une évidence s'était progressivement imposée à moi : il n'était plus possible de rester terrés ici. Cela n'était qu'une solution à court terme et, maintenant, il fallait absolument nous risquer dehors pour tenter de rallier le nord de la ville. C'était notre seule chance de survie.

Je réveillai Adam en douceur et lui expliquai mon projet d'une voix calme. Je sentis son petit corps se mettre à trembler, mais le garçon ne pleura pas. Est-ce qu'il essayait de retenir ses larmes, de contenir sa peur ?

- Tu es un bonhomme très courageux, remarquai-je. Allez, on y va, ensemble.

Lorsque nous sortîmes de la maison, la ruelle était déserte. Le ciel s'était couvert et l'après-midi semblait déjà bien avancée. Nous remontâmes progressivement la ville, nous glissant de ruelles en ruelles, longeant discrètement les murs. Parfois, je m'arrêtais pour tendre l'oreille ou pour cacher les yeux d'Adam lorsque nous passions à côté d'un cadavre. Les rues n'en manquaient pas ! Je poursuivais ma route, résolument. Mon passé m'avait habitué à ces spectacles sinistres ... du moins, autant qu'on puisse l'être. Soudain, une plainte me parvint :

- Au secours, s'il vous plaît ! Aidez-moi ! , fit une voix au milieu de décombres de l'autre côté de la rue.

Hésitante, je mis Adam à l'abri avec l'ordre de ne pas bouger, avant de traverser la ruelle. En cherchant l'origine de la voix, je découvris une jeune femme couverte de sang, dont la jambe droite était prise au piège d'un énorme bloc de pierre. Je ne pouvais rien pour l'aider, mais elle me suppliait pourtant. 

- Je ... ne ... bafouillai-je.

Un cri, derrière moi, me fit faire volte face : Adam, livide, était sorti de son abri et pointait quelque chose très haut au dessus de moi. Mon sang se glaça. Je suivis son geste et découvris un Titan qui m'observait de ses yeux vides.

- Cours ! , ordonnai-je à Adam. Et ne te retourne pas !

Après quelques secondes d'hésitation, il obéit. Mon cœur se serra à en avoir la nausée. La main du géant se dirigea vers moi mais je ne bougeai pas. Si j'avais fui avec Adam, nous serions morts tous les deux. Mais si j'acceptais de mourir ici, Adam avait encore une infime chance de s'en sortir.

(Je n'ai pas envie de mourir).

La voix de Livaï résonna une fois de plus à mes oreilles : « survivez ».

Des larmes roulèrent sur mes joues.

(Je veux vivre!)

Soudain, j'entendis des sifflements métalliques familiers, ceux des manœuvres tridimensionnelles. Deux militaires firent leur apparition autour du monstre, ce qui les rendait ridiculement petits. Le bras que le Titan avançait vers moi s'arrêta, du sang gicla quelque part au-dessus de sa nuque et le géant vacilla. Je n'attendis pas qu'il s'écrase au sol et courrai comme un dératé pour retrouver Adam. Je remontai la ruelle jusqu'à son point d'intersection avec l'une des avenues principales de Trost. Mon sang se figea dans mes veines. Adam était là, immobile, au milieu de l'avenue. Devant lui, à quelques mètres seulement, se dressait un Titan.

(Tu peux encore le sauver, [T/P])

Le sauver ? La seule solution qui s'offrait à moi me terrifiait. Elle consistait à devenir ce monstre que j'avais toujours refusé d'être. J'avais passé ces cinq dernières années à combattre l'idée, à refouler ce pouvoir. Je n'avais même pas songé à y avoir recours pour sauver ma propre peau quelques instants plus tôt. Mais pour Adam, c'était différent. Le voir ainsi à la merci de ce Titan faisait voler en éclats toutes mes certitudes. Un relent d'amertume dans la gorge, la rage affluant dans les veines, je m'élançai vers le garçon et le Titan. J'acceptai tout. J'acceptai de devenir ce monstre. J'acceptai mon sort, même s'il faudrait en subir les conséquences. Finalement, j'acceptai même de mourir de la main de ce Titan. Mais Adam, lui, devait vivre.

Alors qu'il me restait à peine quelques mètres à couvrir, le Titan approcha sa gigantesque main du visage d'Adam.

(C'est maintenant où jamais!)

Mes pupilles se dilatèrent et une décharge électrique me couru le long de la colonne. Un cri de rage sortit du fond de ma gorge :

- Noooon !

La main du géant se stoppa net, immobile : le Titan ne bougeait plus. Dans mon élan, je saisis Adam dans mes bras, fis volte-face et me mis à remonter l'avenue à toutes jambes. Au-dessus de ma tête, deux soldats voltigeaient vers le monstre pour s'occuper de son cas.

(Des hommes de la Garnison ? Du Bataillon ?)

Du coin de l'œil, je vis un troisième homme, de petite stature, suspendu à son grappin le long d'une façade de l'avenue. Je ne distinguai pas son visage abrité sous son capuchon, mais il était clair qu'il me fixait du regard. Depuis combien de temps était-il là ? M'avait-il vu ? Ou plutôt qu'avait-il vu ? Pas le temps de réfléchir, je détalai en direction de la porte nord et l'atteignit sans rencontrer d'autres embûches.

* * * *

Derrière le mur Rose, fondus dans la masse, Adam et moi étions sains et saufs. Nous étions installés avec les autres réfugiés sur une grande place pavée, où les secours s'organisaient progressivement.

(Que faire maintenant ?)

Le garçon était à bout de force, choqué, épuisé. Je me mis en quête de nous trouver à manger, mais Adam n'arrivait plus à mettre un pied devant l'autre. Quant à moi, je n'avais plus la force de le porter.

- Adam, je vais nous trouver de quoi faire un bon festin pour ce soir, dis-je dans un sourire forcé. Qu'en dis-tu ?

Le garçon s'agrippa à ma manche.

- Ne t'inquiète pas, bonhomme. Je n'en ai pas pour longtemps. Et tu es en sécurité ici. Regarde tous ces hommes de la Garnison ! , dis-je.

Une femme, assise à côté de nous, du avoir pitié de mes tentatives de négociation.

- Je peux veiller sur lui pendant que vous vous absenterez , fit-elle d'une voix douce. Adam, c'est ça ? Regarde, je te présente Livia, ma fille ; et Samuel, mon fils. Est-ce que tu veux jouer avec eux ?

Adam, tout farouche qu'il était, réussit à décocher un timide sourire.

- Merci infiniment , dis-je à la femme avant de les quitter. Je n'en ai pas pour longtemps. Avez-vous besoin que je vous ramène quelque chose ?

Lorsque je revins vingt minutes plus tard, je trouvais la femme et ses deux enfants, mais Adam avait disparu. Mon cœur loupa quelques battements. La femme accouru vers moi :

- Oh ! Je suis désolée, désolée ! Il y a eu un bruit fort, il y a un instant de ça. Adam a pris peur et il est parti en courant. J'ai essayé de le rattraper, de l'appeler mais ...

Je n'attendis pas la fin de sa phrase et je me mis à chercher nerveusement le garçon dans cette foule dense :

- Adam ! Adam ! , criai-je désespérément, la gorge serré.

Tout à coup, je le vis. Au milieu de tous ces inconnus, je vis son petit visage rond, rougis par les pleurs, et ses boucles noires toutes ébouriffées. Je me précipitai vers lui et le serrai dans mes bras. Il s'agrippa à moi et éclata en sanglots.

- Si vous vouliez passer inaperçue, c'est foiré ! , fis une voix au-dessus de moi. 

(Non!)

Je n'avais pas besoin de relever la tête pour savoir de qui il s'agissait, mais je dus bien m'y résoudre :

- Caporal-chef, dis-je simplement en plantant mon regard dans le sien. 

- Fini de jouer à cache cache, maintenant. Vous me suivez, c'est un ordre ! 

Monstre / Livai x readerNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ