Réception

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Alors que je pénétrais dans la salle de réception, le major et le caporal sur les talons, je fus prise d'une sensation de malaise indéfinissable. Un frisson me parcourut l'échine sans que je puisse (encore) en saisir l'origine. Était-ce le brouhaha des discussions officielles ? L'atmosphère pesante qui régnait dans la salle ? Ou la simple sensation de ne pas être à ma place au milieu de ce "beau monde" ? Dans tous les cas, il était hors de question de s'éterniser ici. Je fis un pas de côté et, avec une timide révérence, laissai passer les deux hommes. Le major Smith me remercia poliment avant de disparaître dans la foule, tandis que le caporal s'arrêta à ma hauteur. Son regard parcourut rapidement la salle bondée d'officiels, de hauts gradés en tout genre, de généraux et de représentants du gouvernement. Je l'entendis pester : "Tch ..." et ne pus réprimer un sourire devant l'expression de dégoût ostensiblement placardée sur son visage. Le caporal n'avait aucune espèce d'envie d'être là et il comptait le faire savoir.

Soudain, un nouveau frisson me gagna. Sans demander mon reste, espérant effectuer une sortie aussi discrète que mon arrivée, je tournai les talons. C'est à ce moment qu'une voix s'éleva :

- Mon Révérend, pourquoi cette charmante jeune femme ne resterait-elle pas avec nous ?

Je n'entendis pas la réponse de Nick. Tout mon être se figea au son de cette voix : chacun de mes muscles, chacune de mes pensées, mon cœur, mes poumons, et même mes perceptions. Je ne bougeais plus, ne pensais plus, ne respirais plus, n'entendais plus, ne voyais plus. Il n'y avait que le vide, l'obscurité et cette voix qui résonnait, assourdissante. La voix amusée et carnassière du prédateur qui a trouvé sa proie. Ou plutôt, retrouvé, pour être exacte. Car cette voix, je ne la connaissais que trop bien. L'angoisse enfla du fond de ma poitrine, se mit à gronder, menaçant de tout engloutir sur son passage.

C'est alors que je sentis une pression sur mon épaule qui me fit sursauter. Nick me tendit une flûte de champagne en m'adressant un "s'il vous plaît" qui m'obligeait. En réalité, le Pasteur se fichait pas mal que cela me plaise ou non : lui comme moi n'avions pas d'autre choix que d'obéir pour éviter tout incident diplomatique. Je me retrouvais prise au piège des réceptions officielles où les vendettas des puissants se jouent jusque dans les détails les plus insignifiants. Me retournant, j'attrapai machinalement le verre que Nick me tendait. Je sentais les regards peser sur moi mais ne pouvais détourner le mien du sol, incapable que j'étais de me confronter à son visage, qui était là, quelque part, au milieu de la foule.

Nick, reconnaissant, posa de nouveau une main sur mon épaule puis s'éloigna. Dans la salle, les conversations reprirent de plus belle. Pour la plupart, je n'étais qu'un détail. Après de longues minutes à fixer mon verre de champagne (sans avoir le cœur d'y porter les lèvres) je me risquai à lever les yeux. Instinctivement, mon regard se dirigea vers la personne la plus proche de moi, à quelques mètres seulement. A ma grande surprise, il s'agissait du caporal, qui n'avait pas bougé d'un iota. Son corps était tourné vers moi mais son regard était occupé ailleurs. Sans réfléchir, je tournai la tête dans la direction de ce qui semblait accaparer son attention ... et je le vis. Là, au milieu d'un groupe d'officiers portant l'uniforme des Brigades Spéciales, il me regardait. Ses yeux noirs me dévisageaient avec un plaisir qu'il ne prenait même pas la peine de dissimuler, et lorsque enfin nos regards se rencontrèrent, un rictus déforma le coin de ses lèvres. De nouveau, la terreur me submergea. Mes mains et mes jambes se mirent à trembler. Mon esprit n'avait plus qu'une obsession : fuir.

Avait-il lu dans mes pensées ? Car soudain je le vis glisser quelques mots aux officiers qui l'entouraient avant de les quitter pour s'avancer dans ma direction. Tous mes muscles se contractèrent, prêts à bondir vers la porte. Mais mon mouvement de recul fut stoppé par une main posée fermement dans mon dos. Dans ma panique, je n'avais pas senti le caporal s'approcher. Je le fixai d'un air suppliant mais aucun son ne parvenait à sortir de ma bouche.

- On se reprend , dit-il à voix basse

Il y avait dans le ton de sa voix, dans la pression de sa main dans mon dos, dans sa simple présence, une force qui me redonnait un peu de contenance. Des larmes me montèrent aux yeux.

- C'est pas ce que j'appelle se reprendre , murmura le caporal à mon attention, alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres de nous.

Monstre / Livai x readerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant