9 - Démons du passé [Corrigé]

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« Ry... Ryder ? »

John secoue à nouveau la tête et toute sa colère semble réapparaître. Il serre les poings et ses lèvres se pincent.

« Il n'as pas intérêt à se pointer ici ou...

— Ou quoi ? Qu'est-ce que tu vas faire, gamin ?»

Mon cœur s'accélère à l'entente de cette phrase et je me redresse sur les coudes avec moultes difficultés. Ryder est là, dans l'encadrement de la porte, plus beau que jamais, ses cheveux décoiffés et ses yeux pétillants. Il jette le même regard à John que celui qu'il jetterait à un rat sur son chemin avant que ses pupilles, oscillant entre le vert et le doré, ne me scrutent attentivement :

« Lolita, ça va ? »

Je hoche lentement la tête en silence, sans cacher le soulagement qui s'est emparé de moi à sa vue. Chaque cellule de mon corps semble ne pouvoir être bien que près de lui. John se retourne d'un bond, le visage rouge :

« Ne l'approche pas ! »

Et, sous mes yeux horrifiés, il lui fonce dessus. Ryder, de ses cinq ans de plus et ses trois têtes supplémentaires, le repousse sans effort d'un coup de poing dans le ventre. John tombe à terre mais se relève presque aussitôt et enfonce son poings dans le visage de Ryder. Celui-ci le repousse d'un coup de pied, le met à nouveau à terre et l'y rejoint pour le marteler de ses poings. Je pousse un cri qui s'étrangle dans ma gorge en regardant le spectacle, impuissante :

« Arrêtez ça ! John, Ryder, je vous en prie ! Arrêtez ! »

Ils ne m'écoutent pas et je suis incapable de bouger pour aller les en séparer. Je fonds en larmes en regardant Ryder continuer à donner des coups à mon meilleur ami qui ne bouge presque plus, étendu sur le sol. Un hurlement strident s'échappe de ma gorge :

« Ryder, arrête ! Tu vas le tuer ! »

Le jeune homme semble revenir à la réalité. Il lâche John, qui laisse tomber sa tête en arrière, le visage en sang et revient vers moi. Je renifle en les regardant, le corps parcouru de tremblements. Le vacarme causé semble enfin avoir attiré du monde puisqu'une dizaine de docteurs et infirmiers arrivent en même temps vers ma chambre. Ils se précipitent sur John mais celui-ci, avec difficultés, se relève. Son visage est en sang, il semble souffrir le martyr mais le regard qu'il m'adresse ne montre que de la tristesse, de la colère et de la déception. Il jette un coup d'œil à Ryder puis hoche lentement la tête avec amertume, avant de tourner les talons et de s'enfuir en courant au milieu des gens en blouse blanche.

J'ai envie de lui hurler de revenir, de se faire soigner et de rester près de moi. Lui crier que je l'aime et que je ne peux pas me passer de lui. Seulement, Ryder vient s'asseoir à mon chevet et me couve d'un regard qui me fait oublier tout ça dans la seconde. Il sèche mes larmes du bout du doigts et j'en oublie même de lui en vouloir pour ce qu'il vient de faire à John. Je renifle à nouveau :

« Ryder... tu étais où ... ? »

C'est tout ce que je réussis à dire et, derrière lui, le public inopportun sort de la chambre. L'homme replace une mèche de cheveux derrière mon oreille en m'offrant un sourire navré qui éclipserait la lumière de tous les soleils du monde. Un sourire qui désamorce toute la colère et le sentiment de trahison que j'ai pu ressentir devant son absence sur cette falaise. Avant même qu'il ne s'explique, je lui ai déjà pardonné. Il caresse ma joue du bout des doigts.

« J'ai été appelé en urgence au travail. Je suis inspecteur privé, tu sais que ça n'attends pas. Mais tu t'en sortais bien.

— Mais... je suis tombée...

— Tu as surmonté ta peur et c'est le plus important. Rappelle-toi que chaque échec te pousse vers le haut. Je suis fier de toi, Lolita. »

Il dépose ses lèvres sur mon front et une chaleur envahit mon ventre. Il est fier de moi. Tout ça valait le coup, finalement. Je n'aurais jamais dû tomber, j'aurais dû arriver en haut, pour lui.

« Désolée de t'avoir déçu. »

— C'est pas si grave, ça ira mieux la prochaine fois. » »

J'ai envie de hurler, voire de me cogner la tête contre le mur le plus proche. J'ai cette envie à chaque fois que je me rappelle mon histoire avec Ryder - et Dieu sait que je m'en rappelle. J'ai une envie furieuse d'attraper la moi-du-passé de quatorze ans naïve comme une cruche et en stupide besoin d'attention et de la secouer par les épaules pour qu'elle se réveille avant qu'il ne soit trop tard.

Je hais Ryder. Je croyais l'aimer mais je l'ai toujours détesté. Aujourd'hui, je le hais de chaque parcelle de mon être. Et pire encore, je me déteste d'avoir cru à toutes ses belles paroles, à ses sourires craquants et ses mots doux pour excuser des actions irresponsables. Non, en fait, pas tant pour les excuser puisqu'il n'a pas une seule fois prononcé le mot « pardon » que pour m'expliquer qu'il avait plus important à faire. Il ne se remettait jamais en cause et, guidée par sa confiance en lui-même, je ne le remettais pas en cause non plus.

Encore aujourd'hui, j'ignore comment il a fait pour que je sois autant attachée à lui. J'aimerais dire qu'il m'a forcée et contrainte, mais ce serait faux. Il m'a porté de l'attention quand j'en manquais cruellement, il m'a réconforté, il m'a redonné confiance en moi et il m'a aimé à une époque où je croyais que c'était impossible. Il était à la fois mon dieu, ma drogue et mon air. Je le vénérais, lui pardonnais absolument tout, lui donnais tout ce qu'il voulait. Et pourtant, au final, je n'ai été qu'une poupée entre ses doigts experts de marionnettiste. Notre relation était ambiguë, à la fois amicale, amoureuse et paternelle.

C'était malsain. Aujourd'hui, je peux m'en rendre compte : c'était malsain. Il avait cinq ans de plus que moi et alors que je n'étais qu'une ado prépubère pleine d'hormones et d'envies de rébellions, il était déjà un homme qui connaissait tout de la vie. J'étais la marionnette rêvée pour ses jeux de pervers. Et John, John qui avait tant de fois essayé de m'avertir, de m'en éloigner, qui avait lutté de nombreuses années pour me faire voir la vérité, avait finit par abandonner. Oui, à la fin, il était parti, ne supportant pas de me voir ainsi.

Mais le pire dans cette histoire ce n'était pas ça. C'était que, si c'était à refaire, je le ferais sans hésiter. Il détient une telle emprise sur moi, encore des années après, que je replongerais sans doute aussitôt dans ses bras.

Je me dégoûte.

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant