6 - Pas si exceptionnelle [Corrigé]

Start from the beginning
                                    

« Je pensais avoir été plutôt clair, hier. Je t'ai dit de ne pas faire de conneries. Tu t'attendais à quoi en agissant ainsi ? Tu veux vraiment que je te fasse du mal ?

Mais bien sûr, j'attends que ça. Il plisse les yeux en me dévisageant, de toute évidence assez mitigé quand à la suite, puis finit par secouer la tête.

— Prends ça comme un avertissement. Nous sommes de dangereux criminels en fuite alors que tu n'es qu'une brebis égarée. Fais encore un coup du genre et je m'assurerais que tu ne retournes pas de sitôt à ta petite vie bien rangée.

Si je n'étais pas aussi effrayée, j'aurais sans doute ris. Moi, une petite vie bien rangée ? C'est la preuve qu'il est loin d'avoir tout compris à mon sujet. Pourtant, ce semblant de rire s'éteint vite en voyant son expression. Il est réellement terrifiant. James, derrière lui, l'interpelle :

— Hé, frangin. Viens, faut qu'on cause. »

Tyron se retourne à moitié pour interroger son grand frère du regard. Une discussion silencieuse semble se dérouler entre eux dont je ne comprends rien. Le lien qui les unit me stupéfie encore une fois. Ils semblent vraiment ne faire qu'une seule et même personne dans deux corps différents. Ils se comprennent d'un regard, sont sur la même longueur d'onde. Tout cela me dépasse. Je suis fille unique mais j'estime avoir une relation plus que fusionnelle avec John. Nous sommes complices, presque comme frères et sœurs. Pourtant, ça n'a rien à voir avec ces deux-là.

Tyron hoche la tête et s'éloigne de moi pour aller discuter avec son frère à voix basse. Je ferme les yeux un instant et respire à nouveau maintenant qu'il s'est éloigné. Je tremble encore. Pourquoi la vie a-t-elle choisie de s'en prendre ainsi à moi ? Je n'ai jamais rien demandé de tout ça ! Déjà mon hypermnésie et les galères au quotidien, puis les histoires avec ma mère, mon père, mes désastreuses aventures du collège, du lycée et...

« « Allez Morgane, fais pas ta chochotte ! »

Je secoue la tête avec nervosité, les mains tremblantes. Plutôt mourir que de monter là-haut. Je ne suis pas du genre particulièrement peureuse, mais la hauteur me terrorise. On est en deux-mille onze, j'ai à peine quatorze ans et Annie et Ryder veulent que je grimpe en haut de cette falaise. Subitement, des bras entourent ma taille et Ryder sourit, sa bouche tout contre mon oreille :

« Alors Lolita, on a peur ? »

Je lève des yeux inquiets vers Charlotte, en haut de la falaise. Elle m'adresse un sourire rassurant qui ne fait que me terroriser un peu plus. Je me tourne contre le garçon derrière moi et geins :

« Ryder... tu sais que j'ai le verti...

— Chuuut.

Il pose un doigt léger contre mes lèvres en secouant doucement la tête. Il plonge son regard azur dans le mien :

— Je ne veux plus jamais t'entendre dire que tu as le vertige, Lolita. C'est juste une excuse. Une astuce sociale que la société nous a imposés pour nous empêcher de franchir nos peurs et pouvoir mieux nous contrôler. C'est ce que tu veux peut-être ? C'est ce que tu es ? Un pantin de la société ?

Il ne me laisse même pas le temps de lui répondre qu'il reprend :

— Je serai derrière toi, d'accord ? Tu n'as pas le vertige. Tu as juste peur de grimper, et c'est normal. Mais tu vas le surmonter. Vas-y, montre-moi que tu as confiance en moi. »

Je sonde ses yeux et finit par hocher la tête. Si Ryder dit que je peux le faire, c'est que je peux. J'enfile mes gants et me positionne en bas de la falaise. Falaise est un bien grand mot puisque le mur n'est pas très haut, même s'il me semble insurmontable. Je dois escalader près de trois mètres de roche abrupte sans mousquetons, sans cordes, sans aucune autre aide que mes faibles mains.

Sentant le regard pesant de Ryder dans mon dos, je commence à escalader. En théorie, ce n'est pas bien compliqué, il y a de nombreux endroits où poser les pieds et les mains. Seulement, je ne suis jamais monté aussi haut. Malgré ma peur, je ne m'arrête pas. Je grimpe, grimpe, garde les yeux sur chaque nouvelle prise qui se présente. Une certaine joie commence à m'envahir en voyant que j'arrive au bout. Plus qu'un demi-mètre... je vais réussir. Trois prises et je suis en haut. Sans réfléchir, je baisse les yeux pour adresser un sourire à Ryder. Je blêmis. Ryder aurait dû être juste derrière moi et, pourtant, la falaise est déserte. Je baisse encore un peu les yeux et contemple le sol tout aussi désertique. Il a disparu. Je suis seule.

Au-dessus de moi, Charlotte m'encourage à continuer en me tendant le bras, sa voix résonnant dans le vide. Mes mains commencent à trembler sur la pierre. Je suis si loin du sol ! La panique me submerge comme une vague et ma vue se brouille, tandis que la tête me tourne. La dernière chose que je vois est le visage effrayé de Charlotte, avant que mon pied ne glisse et que je ne tombe en arrière. »

Je me redresse brusquement en me rappelant ce choc terrible qui a failli me briser les os alors que j'avais à peine quatorze ans et prends une grande inspiration. Je sens encore la panique de ce jour-là vibrer dans mes veines et mes mains sont moites. Une telle peur m'avait envahie quand j'avais remarqué l'absence de Ryder ! Je rejette mes cheveux en arrière d'un mouvement de tête et me stoppe dans mon geste. Les deux bandits, sur le lit du bas, me fixent avec des yeux ronds. James est toujours allongé, une main crispée sur son ventre et semble sérieusement surpris. Tyron, quant à lui, est assis à ses côtés et me fixe, la tête penchée sur la droite.

Je me dandine légèrement sur ma chaise en baissant les yeux. Je sais que ça fait toujours bizarre aux gens autour de moi quand je fais des crises. Oui, j'appelle ça des crises. Comme certains font des crises d'hypoglycémie ou d'épilepsie, je fais des crises de mémoire. John m'a déjà expliqué que je garde les yeux dans le vide, que je pâlis, que ma bouche est entrouverte, en bref, qu'on voit parfaitement que je ne suis plus dans l'instant présent et dans ce monde-ci. On m'a dit plusieurs fois que j'avais l'air possédée, ce qui n'a franchement pas aidé à ma réputation de sorcière. Pour ma part, pendant ce temps, c'est le vide totale. Je suis coupée de tout, embarquée dans ma mémoire.

Pourtant, on ne m'a jamais regardé comme cela. Les deux hommes ne me dévisagent pas comme si j'étais folle, ils ne se foutent pas de moi et ne me traitent pas de sorcière. Mais ils me regardent avec une telle curiosité, une telle volonté apparente de vouloir décrypter chacun de mes mystères que c'en est presque dérangeant.

Après tout, je ne suis pas si exceptionnelleque ça.
Si ?


                                                                                       ***

Salut à tous ! 😊

Comment allez-vous ? Que pensez vous de l'histoire, jusque là?

Sinon, vous commencez à être pas mal à suivre les aventures de Morgane. Alors dîtes moi tout, je veux en savoir un peu plus sur vous. Vos prénoms ? Votre âge ? Vos études ? Vos passions ? Vos métiers, peut-être ? Je veux tout savoir !

Et bien sûr, n'hésitez pas à me donner votre avis sur Mémoire en Cavale. Ce que vous avez aimé ou non, ce que vous auriez aimé voir, ce que vous espérez/ attendez pour la suite. Sérieusement, je suis curieuse, dîtes moi tout :)

Bises !

Mémoire en CavaleWhere stories live. Discover now