22 - En province

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1867, les Aubépines

Derrière le château, un cheval lancé au galop soulève les mottes de terre de la vaste pelouse. Louise ne lève pas la tête. Elle est absorbée dans la lecture d'une lettre, se balançant tranquillement dans le fauteuil de la terrasse. Son ventre rond l'oblige, à huit mois de grossesse, à rester tranquille. Depuis quelques semaines, elle se sent plus fatiguée, mais comme il fait beau, elle préfère être dehors, avoir les beaux jardins de la propriété sous les yeux alors qu'elle lit, écrit, peint ou reçoit.

Le pas du cheval ralentit, il passe au trot et Louise imagine parfaitement son cavalier tirer sur les rênes pour l'arrêter devant la terrasse où elle se tient.

– Maman !

Louise lève la tête et regarde son fils de neuf ans qui ressemble tellement à son père. Elle se redresse un peu et lui fait signe de venir.

– Ne crie pas ainsi, vient plutôt près de moi, Charles.

Le garçon saute à bas de son cheval et gravit vivement les cinq marches qui le séparent de sa mère. La monture, délaissée, s'en va goûter aux parterres affriolants. Louise secoue la tête à ce spectacle.

– Maman ! Savez-vous où est passée Anne-Cécile ? Elle m'avait dit qu'elle viendrait avec moi !

– Ta sœur était fatiguée, elle dort. Mais ton père, n'est-il pas avec toi ?

– Si mais, il s'est arrêté à la rivière pour pêcher. Je m'ennuyais un peu. Il m'a dit qu'il allait ramener des poissons gros comme ça !

L'enfant ouvre largement les bras en une exagération évidente. Louise sourit et se lève. Elle ébouriffe les cheveux de son fils.

– Allez ! va attacher ton cheval avant qu'il ne mange toutes les fleurs, ensuite tu prendras un verre de citronnade, et Anne-Cécile t'accompagneras. Vous direz à votre père que nous avons reçu une lettre de sa cousine.

Charles obéit, puis suit sa mère à l'intérieur, vers les cuisines. Louise demande à une domestique de réveiller Anne-Cécile et de la préparer pour monter à cheval.

– C'est une lettre de tante Sophie, que nous avons reçu ?

– Non, de ta marraine, sœur Virginie.

– Et les D'Aubert, ils viennent quand maman ?

– Ils seront là ce soir, ne soit pas si impatient.

Ils arrivent en cuisine, et la cuisinière donne un grand verre de citronnade au « petit monsieur », qui dit « merci » en retour.

– Et qu'est-ce qu'il y a dans la lettre de sœur Virginie ?

– Elle donne des nouvelles du Couvent des oiseaux, des sœurs qui y vivent, et elle me demande ce que tout le monde devient.

– Mais pourquoi elle ne vient pas nous voir chez nous ?

– Parce qu'elle est religieuse, elle ne sort pas du couvent. Et en plus elle est à Paris, c'est assez loin, tu sais.

– Je la verrai, un jour ?

– Bien sûr, Charles. C'est ta marraine, alors nous irons la voir ! Mais en attendant, voici ta sœur, vous irez dire tout cela à votre père. Et ne tardez pas trop à revenir, les Berthier et les D'Aubert ne vont pas arriver en retard tout à l'heure. Il faudra que vous soyez prêts.

Les deux enfants quittent la demeure en courant, et plus lentement, Louise rejoint son fauteuil à bascule sur la terrasse, elle reprend la lettre un peu dérangée par le léger vent, et poursuit sa lecture. Son amie, religieuse dorénavant, avec qui elle entretient une correspondance fournie et très enrichissante, lui demande des nouvelles de toute la famille : comment se porte Charles ? suit-il bien les cours de ses précepteurs ? Est-il toujours aussi turbulent ? Et Anne-Cécile est-elle bien remise de sa grippe ? Etudie-t-elle bien également ? Ne va-t-elle pas bientôt faire sa première communion ? Et le petit Georges, le petit monsieur de la famille qui n'a pas encore un an, grandit-il vite ?

Amours & cupiditésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant