7 - La rencontre

1K 112 47
                                    

10 novembre 1855, demeure des De Vard

"Ma chère Louise,

Il s'est passé une chose terrible cette semaine. Le fiancé d'Élisa a totalement disparu. Il s'est volatilisé. Je jure que si jamais cet effronté réapparaît, s'il n'a pas une bonne excuse, je lui ferais passer un très mauvais quart d'heure. Ma sœur est effondrée. Elle passe ses journées dans sa chambre, elle sanglote chaque fois que quelque chose lui rappelle Sylvien ... J'ai toutes les peines du monde à la distraire.

Je regrette que Nicolas ne revienne pas plus tôt des Amériques. Tous les ans, il passe par Paris, à la mi-décembre environ pour nous saluer et ensuite, il rejoint mon oncle et ma tante. S'il était là, je suis sûre qu'il saurait lui changer les idées s'il était là ..."

Nicolas de Valgrâce. Jeune homme de 26 ans, cousin des Verfeuille. En lisant la lettre, de joyeux souvenirs d'étés reviennent à Louise. Elle revoit Nicolas, la première fois, sur son arbre, jetant des boulettes de papier à ses cousines qui faisaient le siège au pied du tronc. Son visage fin, ses cheveux sombres, ses beaux yeux noirs ... Louise abandonne sa lecture pour s'immerger dans la douce évocation du jeune homme.

Elle se plaît à penser qu'ils sont devenus amis au cours des séjours passés en province. Au début de cette histoire de testament, elle a pensé à lui. Peut-être, s'il était en France, s'il apprenait sa situation, peut-être viendrait-il ? Mais l'idée n'est pas raisonnable, il y a trop de "si" et de "peut-être". Alors elle n'y a plus songé. Nicolas est en Amérique, et il ne pense certainement pas à elle.

Louise le chasse de ses pensées et revient à la lettre qu'elle termine. Virginie se contente d'ajouter quelques considérations sur le temps à Paris et de lui souhaiter bonne chance. La jeune fille range le papier dans son secrétaire, puis s'avance vers la fenêtre. Elle soulève le rideau de sa main gantée de blanc. Dehors, il fait nuit. Et froid. Dans la cour, en bas, les valets d'écurie attellent les chevaux au carrosse. Une pensée sincère de compassion la touche pour Élisa. Mais on l'appelle depuis le rez-de-chaussée. Il faut partir pour une autre réception.

Au bout de quelques minutes, revêtue d'un manteau bien épais en fourrure, elle monte dans le carrosse, à la suite de la comtesse et fouette cocher ! les voilà parties pour le bal des De Vard.

Samedi dernier, entre la Toussaint et le premier dimanche de novembre, il n'y a rien eu : ce n'est pas une période qui incite à la fête. Louise en a profité pour retourner sur la tombe de son père. Son deuil n'est pas terminé ; il lui arrive encore de s'effondrer, en pleurs, dans les bras de la comtesse tant l'absence de son père lui paraît insurmontable. Et pourtant, la vie continue, elle ne s'arrête pas. Louise se rend compte de cela aussi. Sortir tous les samedis, la tire de ses tristes pensées ou l'y replonge tour à tour. Elle met toujours son collier noir, personne ne semble avoir remarqué encore. Tout le monde évite de lui parler de son père, tout le monde agit comme si elle n'était pas en deuil. Ce soir, elle a le sentiment que le cœur n'y est pas. Elle aurait aimé rester aux Aubépines, à écrire une réponse à Virginie, tranquillement.

A la place, elle va devoir sourire à tous ces gens, très gentils et attentionnés au demeurant, et plus particulièrement aux garçons, nombreux, que la comtesse appelle ses "prétendants". Louise a l'impression qu'une ruche, dont elle serait la reine, a pris forme autour d'elle. Ce sont les frères de ses amies, des jeunes gens du voisinage, bien nés pour certains, fortunés pour les autres, les deux parfois. Ils ont les codes, le charme, mais une certaine pudeur semble les retenir. Il leur manque quelque chose. Si au moins l'un d'eux se détachait du groupe, osait défier les conventions pour tenter un rapprochement plus rapide que ce qui est habituellement permis, elle serait heureuse de lui donner sa chance. Mais rien. Après chaque bal, elle se résigne donc un peu plus à perdre Rosebrune. C'est un sentiment d'abandon qui s'accentue d'autant que son oncle et sa tante, qu'elle aime comme un autre père et une autre mère, n'ont toujours pas donné signe de vie. Sa tante, peut-être plus que son oncle, lui manque. Marie-Iphigénie de Rosebrune l'avait prise en charge, à Paris, à la mort de sa mère. Pourquoi ne sont-ils pas ici alors que son père vient de mourir ?

Amours & cupiditésWhere stories live. Discover now